Sibelle fait le mur
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
Bon d’accord, à défaut d’avoir la main verte, je suis capable de planter un rosier, de le tailler, et de sourire quand ses boutons nous offrent, au petit matin, le délicat spectacle d’une fleur naissante. Je peux aussi tailler des haies, soigner des hortensias, passer la tondeuse. En revanche, côté bricolage, c’est un désastre. Planter un clou pour installer un cadre, changer une simple ampoule ou remplacer le joint d’un robinet sont synonymes, déjà, de travaux d’Hercule, de quêtes improbables. Et s’achèvent généralement par des suées, des chapelets d’injures et, au mieux, quand il n’est pas nécessaire de faire appel à un professionnel pour reprendre tout à zéro, je dois appeler un ami (comme dans le jeu télé qu’animait Jean-Pierre Foucault) ou le voisin. La pire des punitions étant alors le sourire sardonique de ma protégée féline.
C’est dire que Sibelle, justement, et toute la maisonnée avec elle, ont écarté d’emblée que je puisse être d’une quelconque utilité quand décision fut prise de rénover les façades de notre demeure, sur les hauteurs du village. Nous avons ainsi sollicité un professionnel de la profession, un artisan, un vrai, un ancien compagnon, un expert. Et surtout un amoureux de la pierre. D’abord effrayée par le remue-ménage provoqué par le début du chantier, Sibelle, durant quelques jours, s’est éloignée de la maison, ne rentrant qu’en soirée, quand le calme était revenu. Puis, ma tigresse, par ailleurs fort curieuse comme tous ses congénères, a fini par consentir à observer les travaux. Et à être fascinée, à son tour, par l’adresse de l’homme de l’art. Une dextérité qui s’accompagne d’un discours tout aussi révélateur.
« Il murmure à l’oreille des murs » a joliment résumé ma protégée. « L’autre jour, ayant passé un coup de jet d’eau avant de commencer à poser les joints, en parlant des pierres, il a dit qu’elles avaient soif. Que cela leur avait fait grand bien. Tu te rends compte ? Il parle des pierres comme si elles étaient vivantes » a encore remarqué Sibelle, fascinée et admirative. « C’est peut-être aussi qu’elles le sont » ai-je répondu. Sans me rendre compte, sur le moment, que cette phrase banale pouvait en fin de compte tenir lieu de sujet de bac philo…
Des amoureux de leur métier, il y a en a d’autres, dans nos campagnes. Alors que débute ce week-end le Salon de l’agriculture, comment ne pas penser à celles et ceux qui toute l’année durant, se lèvent à point d’heure pour nourrir leur bétail, labourer, semer, moissonner, vendanger ? Si j’osais, je citerais Voltaire en élargissant son célèbre précepte. Les paysans cultivent un grand jardin : la France. On sait les difficultés qui sont les leurs, la dureté du labeur, les charges financières, le défi permanent qui consiste à produire suffisamment pour nourrir plus de 60 millions de Français (sans parler de l’exportation) tout en préservant les ressources. On sait enfin, aussi, hélas, que pour beaucoup d’entre-eux, la fin du mois commence avant la fin de la première semaine.
Faut-il qu’ils aiment leur métier pour continuer. Faut-il que de petits riens, au fil de leurs journées-marathons, apaisent un peu leur vague à l’âme. Comme notre maçon qui parle aux pierres, sans doute savent-ils parler aux agneaux nés dans la nuit qui tremblent encore sur leurs pattes et qu’il faut guider vers leurs mères, aux grappes généreuses qui seront plus tard foulées et vinifiées, aux épis de blé qui attendent un peu de soleil ou à leurs cousins de maïs qui ont soif. Il leur faut trouver les mots justes, les mots qui encouragent ou qui consolent. Faut-il qu’ils aiment leur métier et la nature qui les entoure. Faut-il que parfois, entre deux allers retours sur leur tracteur, une simple pause d’une petite minute, ici ou là, assis sur un muret de pierres sèches, la vue du causse, d’une rivière qui serpente dans la plaine ou l’ombre d’un hêtre qui garde l’orée d’un vaste champ suffisent à les combler. Ou, à tout le moins, les requinquer pour la journée.
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