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Le Lot, « terre d’élevage » de grands politiques ?


Mars 1967. A l’occasion des élections législatives, le journal Combat dépêche un envoyé spécial dans le Lot pour sonder la France du terroir. Propos savoureux à la clé.

Mardi 7 mars 1967. Nous sommes dans l’entre-deux tours des élections législatives… Un peu plus d’un an avant les événements de mai 68, certains disent le pouvoir gaulliste usé. Deux ans plus tôt, à la surprise des observateurs, le général a été contraint à un second tour à la présidentielle. Dans ce contexte, le quotidien Combat que l’on sait plutôt à gauche a demandé à l’une de ses fines plumes, Jean-Claude Kerbourc’h, d’aller à la rencontre des hommes et des femmes de la France profonde. Ce jour-là, il raconte d’abord avoir fait étape à Saint-Flour, dans le Cantal, terre d’enfance et fief électoral du Premier ministre Georges Pompidou. A l’hôtel, on a même proposé au reporter de dormir dans la chambre réservée d’ordinaire à l’homme d’État. Après les monts et les puys du Cantal, Jean-Claude Kerbourc’h pousse jusqu’au Lot voisin. Il n’ignore pas que plusieurs personnalités nationales y sont implantées, de Gaston Monnerville à Maurice Faure en passant par un certain Bernard Pons qui y entame son cursus et Pierre Poujade qui y a débuté sa croisade syndicale puis antiparlementaire… Le journaliste rencontre des représentants de commerce, des artisans. Leurs propos sont « nature ». Et retranscrits avec gourmandise. Le reportage joliment troussé occupe quasiment toute une page. Nous en avons sélectionné quelques savoureux passages. Jugez plutôt.

« Jeudi 2 mars. Voici Saint-Céré et les tours de Saint-Laurent qu’habitait Jean Lurçat dont quelques somptueuses tapisseries ornent une salle réservée du casino. Saint-Céré, c’est aussi Poujade ; et nous voici passés de la peinture à la politique (…). Mais « Pierrot » n’est plus le grand homme du Lot, c’est encore Pompidou. En quittant le Cantal, je m’en croyais débarrassé. Erreur : le voici aussi omniprésent dans le Lot qu’il l’était à Saint-Flour. Je me souviens alors que Cajarc, où le premier ministre a sa propriété, est dans le Lot. C’est pourquoi Bernard Pons, le candidat U.N.R., a écrit sur ses affiches : « Pour l’expansion du Lot, pour son avenir, avec Georges Pompidou. »

« Le Lot me fait oublier l’amertume »

« Quel malheur d’avoir couché dans la chambre de M. Pompidou ! Il reste dans les murs, dans les objets, quelque chose de celui qui a vécu entre ces murs, qui a manié ces objets. Une sorte de mana. Les ethnologues comprendront. Ce « mana » est resté dans mes veines et l’ombre de M. Pompidou me colle à la peau. Suis-je condamné, comme les ivrognes, à voir M. Pompidou partout ? Mais la lumière du Lot, ses chemins, son intimité si particulière, ses petites femmes brunes, ses villages accrochés sur les hauteurs me guérissent vite de cette maladie, et, ce soir, le soleil qui se couche dans le canyon de Rocamadour me fait oublier l’amertume de M. Sagette (NDLR : suppléant du Premier ministre et candidat) et l’omniprésence de M. Pompidou »

« Vendredi 3 mars. — L’hôtel du Belvédère, où je suis descendu, a une vue superbe sur cet extraordinaire tassement de vieilles maisons, d’oratoires, de tours et de rocs qui dominent le canyon de Rocamadour. Mais ce matin, au moment du café au lait, je suis dérangé dans mes contemplations par une discussion politique. Il y a là un hôtelier, un serrurier et un garagiste. L’hôtelier est gaulliste, le serrurier a été gaulliste, le reste plus ou moins tout en ne l’étant plus tout à fait, et le garagiste est communiste. Pour comprendre cette conversation il faut savoir que quatre candidats se présentent dans la circonscription : M. Pons dont nous avons déjà parlé (UNR) et M. Juskiewenski (député sortant sans étiquette précise), et que l’on appelle familièrement « Juski », M. Thamier (communiste) et M. Jean Bonnafous (Fédération de la gauche). L’hôtelier. – Je suis gaulliste, oui, c’est exact. Un vrai gaulliste. Pas un gaulliste bidon. Je suis gaulliste depuis 40. Je l’ai payé cher : plusieurs années de déportation à Buchenwald. J’ai été secrétaire général du RPF pour la circonscription de Figeac. Cela dit, je ne suis pas d’accord avec le Dr Pons. Car j’estime que si j’ai été et reste gaulliste, lui ne l’est pas et ne l’a jamais été. Moi. – Vous n’êtes pas d’accord avec la politique du gouvernement actuel ? L’hôtelier. – Pas tellement. On m’a sollicité pour rentrer dans la « dissidence ». Mais j’ai refusé, pour ne pas augmenter « la pagaille ». Disons que je suis un « gaulliste de gauche ». »

« Un vieux pays de contestation »

« Le serrurier. – Gaulliste, moi aussi je l’ai été. Mais je suis conseiller municipal d’un village, pas loin d’ici. Et je peux vous dire qu’on s’est bien foutu de nous. (…) Je pense que dans l’avenir, il va y avoir un gouvernement de toutes les tendances qui ne sont pas UNR, giscardiens, gaullistes de gauche, lecanuettistes, etc… et que ce re groupement mettra en échec les barons de l’UNR. Moi. – Vous pensez que les giscardiens et les gaullistes de gauche pourront segrouper ? L’hôtelier. – Pourquoi pas ? Et puis, dans le regroupement, l’important sera ce que l’on peut appeler « les franges ». Il y a là des hommes qui ne sont ni dans l’opposition inconditionnelle ni dans le « oui » inconditionnel. Moi. – Il m’a semblé que l’Auvergne était plutôt gaulliste. Et ici ? Le garagiste. – Ici, nous sommes plus « rouge ». Moi. – C’est un vieux pays de contestation. L’hôtelier. – Pour moi, le vrai gaullisme, c’est la contestation. Actuellement, il y a un chantage à la subvention qui est inadmissible. On nous dit : Votez Pons, et vous aurez ceci, cela, et encore ceci. Ne votez pas Pons, et vous n’aurez rien. »

« (…) L’hôtelier. – Remarquez, la politique, c’est une chose curieuse. Pourquoi, par exemple, le Bordelais est-il, avec Chaban-Delmas, gaulliste, et le Lot, avec Maurice Faure, plutôt anti-gaulliste ? Cela tient à presque rien. Maurice Faure m’a dit lui-même que le choix entre le gaullisme et l’anti-gaullisme en 58 lui avait provoqué une nuit d’insomnie. Il aurait aussi bien pu basculer dans le gaullisme. Il a fini par choisir l’opposition, mais, à mon avis, c’est une mauvaise carte. Moi : « Vous pensez donc que la bonne carte, c’est toujours le gaullisme ? ». L’hôtelier : « Toujours oui. Mais pas avec des hommes comme le docteur Pons. »

« (…) A quelques kilomètres de Rocamadour, Gramat, sur la route de Figeac, est un gros bourg où je vais acheter les journaux et le nouvel Astérix. A l’hôtel du Lion d’Or, on mange des spécialités du Quercy, arrosées de ce vin de pays, presque violet, qui a un goût de terre. A une table voisine de la mienne, quatre hommes parlent « télévision ». Ils commentent l’apparition de Mitterrand. « Il ne doit pas être rigolo tous les jours, ce gars-là », et de deux femmes, l’une gaulliste, l’autre de la Fédération. (…) Je m’approche. Il y a là deux représentants en aliments de bétail, dont l’un, costaud, carré, le verbe sonore, arbore une paire de superbes moustaches qui le font ressembler à Brassens. Le troisième est un revendeur d’aliments de bétail. Quant au quatrième, il vend des voitures, et, il me le dira au moment des alcools, il est « Pied-Noir ». « Bon, vous êtes journaliste. Bon. Dit d’une grosse voix le représentant entre ses moustaches. Bon. Eh bien, le Lot, c’est un pays d’habitudes antigouvernementales. Mais, cette fois-ci, il faudrait être bien malin pour dire ce qui se passera. Si Pons et Juski se maintiennent au second tour, Thamier, le communiste, peut être élu. C’est comme à Souillac. II y a une municipalité communiste, alors qu’il y a à peine 500 communistes dans le bourg. »

« Fernand Raynaud a bien vu ça »

« – On entend les gens se plaindre tout le temps, dit le revendeur. Et de Gaulle n’a pas fait ça, et de Gaulle n’a pas fait ci, et il faudrait qu’il fasse ça, mais de Gaulle, c’est pas le Bon Dieu, non ? Moi je constate qu’on ne vit pas si mal. La France n’est pas malheureuse. On mange bien, on dort bien, et on boit sec, ça, on peut pas dire le contraire. – Ce sont les paysans surtout qui se plaignent, dit le représentant. – Vieille habitude, laisse tomber le moustachu. – Vous connaissez l’histoire de la femme d’un agriculteur enceinte de six mois ? demande le pied-noir. Non ? Bon. Je vais vous la dire ; une fermière enceinte de six mois dit à son mari : « Je l’entends déjà qui pleure. Ça va faire un bon paysan » (rires). – Au fond, les paysans, ils vivent pas si mal, dit le moustachu. Oh, oh ! fait le revendeur. Il y a des paysans qui ne sont pas tellement riches. Mais se plaindre fait partie de leur tactique, c’est vrai. Fernand Raynaud a bien vu ça. »

« – On devrait, au lieu d’élever des moutons et des vaches, cultiver les hommes politiques ici, dit le moustachu. Il y a eu Gambetta, de Monzie, Malvy d’accord, mais maintenant il y a Monnerville, Maurice Faure, il y a eu Poujade. Ici, l’homme politique pousse bien, même s’il vient de loin. On accepte tous les parachutages. On ne voit pas ça tous les jours dans les autres départements. Remarquez, qu’il y a aussi d’autres vedettes que celle de la politique. Couderc, par exemple, c’est un camarade d’enfance. Je l’ai connu au lycée. Couderc, qu’est-ce qui lui a valu son succès ? Son petit accent du Sud- Ouest, ni plus ni moins. Mais le rugby, monsieur, je peux vous dire qu’il n’y connaît rien de rien. Il n’a pas le thorax. Il n’a pas non plus les guiboles. A la télé, d’accord, il fait le mariole. Mais s’il disputait le match France-Angleterre, il faudrait l’envoyer à la morgue. »

Source : site Gallica-BNF. Légende Photo : Maurice Faure et Gaston Monnerville à Laburgade pour l’inauguration de l’école en décembre 1956 (site de la commune de Laburgade).

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