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1942-1944 : Tristan Tzara, un poète réfugié à Souillac


C’est dans le Lot que le fondateur du mouvement Dada s’est caché puis s’est engagé dans la Résistance.

C’était il y aura bientôt 81 ans. Sous le titre ô combien cynique « Encore un martyr », le 21 mai 1943, le sinistre « Je suis partout », hebdomadaire antisémite devenu évidement collaborationniste, publie une brève qui ne passe pas inaperçue, et pas seulement dans le Lot : « Depuis quelques semaines, un nouvel hôte s’est installé à Souillac, dans le Lot, fief de J.L. Malvy : M. Tristan Tzara en personne. Pensionnaire du principal hôtel de la ville, il y festoie, entouré d’une demi-douzaine de coreligionnaires, en gémissant sur la persécution fasciste et vaticinant sur la délivrance américaine. L’inventeur du dadaïsme s’était distingué durant la guerre d’Espagne en passant en revue les équipes d’assassins du Guépéou sur les Ramblas de Barcelone. Ce qu’il fait en France et quelles sont ses ressources présentes, voilà ce que l’on aimerait savoir aujourd’hui. Ils sont, comme cela, une tribu d’« intellectuels » qui vivent grassement en zone Sud ; citons également, près d’Arles, le margoulin de la peinture Waldemar George. Il faut croire que la conscience universelle est généreuse ; ou alors… » (1)

Une nouvelle page se tourne pour le poète d’origine roumaine (1896-1963), l’un des fondateurs du mouvement « Dada », en 1916, en Suisse où il s’était réfugié et où il adopta le français pour s’exprimer. Etabli après la guerre à Paris, il s’était lié puis brouillé, réconcilié et de nouveau fâché avec les surréalistes mais demeura, jusqu’en 1939, une des figures de proue de l’avant-garde artistique en général et littéraire en particulier. Les salauds de « Je suis partout » n’ont pas tort sur un point : en 1936, Tzara s’était engagé avec enthousiasme pour et aux côtés des républicains espagnols. Une fois la Seconde guerre déclarée, comme de nombreux écrivains et artistes, Tzara a gagné Marseille. Protégé un temps par le consul américain Varian Fry, artiste de gauche et juif, il attend un visa ou, à tout le moins, se sait en sécurité. Des amis l’accueillent ensuite à Aix-en-Provence, mais le danger demeure et l’étau se resserre.

Un fidèle client de l’hôtel Couderc

Fin 1942, le poète s’installe sous une fausse identité à Souillac. Tzara y loue un modeste logement au hameau des Cuisines et fréquente l’hôtel Couderc. Il apprécie la table, les propriétaires parvenant à se fournir auprès de paysans de la région. On sait désormais que Tzara, discrètement, continue alors d’écrire. Plusieurs de ses poèmes sont publiés clandestinement à Souillac même ou à Cahors. Il ne verse pas dans un style aussi directement « populaire » que d’autres poètes qu’il a côtoyés, comme Eluard ou Aragon. En revanche, a fortiori une fois l’articulet de « Je suis partout » paru, tout en redoublant de prudence, il tisse des liens avec la résistance de la région. Il y a des amis comme Jean Lurçat, Jean Cassou, et il y croise Roger Vitrac ou André Malraux qu’il a connus à Paris. A la même période, son fils aîné, futur physicien émérite, Christophe Tzara, a rejoint les FTP dans le nord de la France. Dans le Lot, un autre constat le console : nombre de maquis sont renforcés par l’apport de réfugiés espagnols qui ont repris les armes.

Il rejoint Toulouse en août 1944

A l’été 1944, le poète s’engage davantage encore dans la bataille finale. Plus tard, il écrira : « La poésie est plongée dans l’histoire jusqu’au cou ». Quand Toulouse est libérée, Tristan Tzara se précipite y rejoindre ses compagnons de l’ombre et ses futurs camarades (il ne prendra sa carte au PCF qu’en 1946). Mais il est déjà très présent pour organiser la lutte parmi les intellectuels : comme d’autres, le poète espère qu’après la Libération du pays, suivra une nouvelle révolution… Parallèlement, en liaison avec Louis Aragon, Tzara veut fédérer et travaille à l’unité au sein du Comité national des écrivains. Plus étonnant, lui qui n’avait aucun lien avec la région jusqu’alors se passionne pour la culture occitane, abandonnée sous Vichy aux régionalistes collabos. Il milite dès lors pour la constitution du Centre d’études occitanes.

Quand il retrouvera Paris, naturalisé français, il deviendra l’une des figures de proue de l’élite des artistes et écrivains communistes. Il publie de nouveau poèmes et études. Tzara bataille encore avec André Breton, qui s’était exilé aux Etats-Unis. Celui qui découvrira le Lot un peu plus tard se voit reprocher (ce qui est plus que discutable) de ne pas avoir résisté… Il est aussi (et d’abord) vilipendé parce qu’il a rompu avec le PCF bien avant la guerre pour rallier le trotskysme et parce qu’il goûte peu les poèmes de forme « propagandiste » de certains (même si c’était pour la bonne cause). Tzara n’ayant pas abandonné son style d’avant la guerre, pour sa part, dans ses écrits clandestins.

Le fondateur de Dada va rompre avec le parti en 1956, après les événements de Hongrie. On ignore s’il est revenu à Souillac avant sa mort, qui survient en 1963. C’est en tout cas dans le Lot que le poète persécuté trouva refuge, et qu’il a pu survivre. L’accueil des gens d’ici et le courage de Tzara ont été plus forts que la haine des Nazis et de leurs suppôts, comme les écrivaillons de « Je suis partout ».

Ph.M.

(1) On remarque évidemment la référence à Louis-Jean Malvy, maire de Souillac de 1929 à 1940, que l’extrême-droite dénonça (et une partie de la classe politique avec elle) pour avoir trahi en 1917. Il démissionna de ses fonctions ministérielles puis fut banni pour forfaiture. A son retour d’exil, il est réélu député du Lot en 1924 et sera de nouveau ministre en 1926.

Légende photo : Certificat de résistance signé du maire de Souillac à la Libération, Jaurès Chaudru. Source : Pierre Bergé & associés. Portrait de Tzara par Robert Delaunay.

Sources article : Site Gallica BNF, « Tristan Tzara » par François Buot (Grasset), notice du Dictionnaire Maitrot par Henri Béhar.

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