L’actrice et réalisatrice est l’invitée d’honneur des 41èmes Rencontres. Le festival se déroulera du 16 au 23 août.
Trois César et une filmographie foisonnante allant du rire à l’émotion la plus brute. Yolande Moreau a bâti, au fil des années, une œuvre singulière, nourrie d’humanisme et de poésie, toujours attentive aux marges et à ceux que le cinéma oublie. Voix traînante, silhouette de clown triste, regard perçant : elle imprime l’écran d’une présence unique. Vingt-et-un ans après Quand la mer monte, elle revient à Gindou. Cette fois en invitée d’honneur, pour une rétrospective consacrée à son travail d’actrice et de réalisatrice.
> Medialot : vous étiez déjà à Gindou en 2004 avec Quand la mer monte. Y a-t-il eu un élément marquant de cette première venue ? Et que ressent-on en revenant 21 ans après, en tant qu’invitée d’honneur ?
Yolande Moreau : je garde un excellent souvenir de ce festival, de la programmation, des gens, de l’ambiance. Je suis ravie d’y retourner et de découvrir de nouveaux films, car ce sont des cinéphiles qui organisent ces rencontres. Pour moi, c’est comme des vacances. Ça me flatte d’être invitée, bien sûr, mais en même temps je ne suis pas toute jeune, il y a des trucs derrière moi.
> M. : Gindou proposera une rétrospective de vos œuvres. Parmi vos longs métrages, y a-t-il un film que vous aimez redécouvrir à chaque projection ?
Y.M. : revoir un film, pour moi, c’est aussi chargé de souvenirs du moment du tournage : c’est se remémorer une période de ma vie, avec les rencontres que j’y ai faites. Je ne revois pas souvent un film dans lequel j’ai joué, mais quand je les revois, ce sont ces souvenirs qui remontent. Parmi mes films, il y en a des meilleurs que d’autres, bien sûr, mais j’aurais du mal à dire lequel je préfère. Séraphine a été important pour moi, car c’est ma rencontre avec Martin Provost (le réalisateur), avec un rôle qui a été un joli cadeau.
> M. : comment conciliez-vous les deux casquettes d’actrice et de réalisatrice ?
Y.M. : j’ai toujours travaillé à l’artisanal. Je viens du théâtre, je suis arrivée tardivement au cinéma. On met un pied devant l’autre, le fil rouge, c’est de raconter des histoires. Au moment même du tournage, la double casquette peut me poser des problèmes, car je ne me vois pas jouer. Mais ce qui est important, c’est de s’entourer d’une équipe. Il y a notamment ma fille, qui est scripte et qui garde un œil sur mon jeu, et puis tous les autres corps de métier. C’est un travail artisanal qu’on fait grâce à une équipe. C’est important d’avoir un regard extérieur. Au moment du tournage, j’essaie d’être dans le jeu, de ne pas vérifier, mais alors ça me joue de mauvais tours au moment du montage…
> M. : après trois longs métrages et un documentaire, qu’est-ce qui vous attire le plus dans la réalisation ?
Y.M. : par rapport à mon travail d’actrice, c’est plus complet : cela me permet de raconter ce dont j’ai envie, avec les moyens dont j’ai envie. Notamment dans La Fiancée du poète, je me suis permise différentes approches. Il y a quelque chose du théâtre de Pina Bausch dans ce que je fais. J’aime bien me dire qu’il n’y a pas qu’un seul moyen de narration possible au cinéma. Un film, c’est un gros bateau à traîner, mais on y raconte ce qu’on veut.
> M. : vos films reflètent souvent un regard poétique, empathique et engagé sur les marges de la société, ancré dans des territoires souvent stigmatisés. Qu’est-ce qui vous attire dans ces sujets et ces paysages ? Que dit, selon vous, le cinéma de ce qu’on choisit de montrer ou d’ignorer ?
Y.M. : je n’ai fait que trois films, mais à chaque fois je me pose une question qui me prend énormément de temps : pourquoi je veux raconter ça ? Qu’est-ce qui m’interpelle ? Et donc, effectivement, il y a parfois un côté un peu engagé, mais en même temps assez léger. Ce sont des films qui parlent de nos choix de société. Il y a souvent un rapport avec moi-même. Pour mon premier film, il s’agissait de quelque chose que j’avais vécu. Pourquoi cette envie d’aller au théâtre ? Quel est le rapport entre la vie qu’on veut rêver et la vie qu’on rêve au théâtre ?
> M. : dans le contexte actuel, pensez-vous que votre cinéma humaniste et féministe prend une résonance particulière ?
Y.M. : je le souhaite. On ne fait pas des films pour ça, mais on est quand même spectateurs de ce qui se passe. Mon dernier film se termine par l’idée qu’il faut prendre des risques autres que ce que la société nous dit de faire, marcher différemment, être avec les autres différemment. Je ne suis pas quelqu’un d’optimiste, mais le cinéma aide à ouvrir les yeux. L’unique but d’un film est qu’il soit vu. Faire un film, c’est une forme de lutte. C’est ce que j’attends d’un livre ou d’un film : qu’il m’éclaire sur le monde.
> M. : depuis quelques années, la parole se libère dans le monde du cinéma, notamment avec le mouvement MeToo. Vous avez tourné avec Gérard Depardieu (Mammuth, Séraphine) : comment avez-vous vécu cette période, et quelle est votre position sur ce débat qui divise parfois la profession ?
Y.M. : c’est un immense acteur, j’ai eu beaucoup de plaisir à tourner avec lui. C’est quelqu’un qui n’a pas sa langue dans sa poche, qui sort d’un milieu extrêmement difficile. J’aime le bonhomme, je ne changerai pas d’avis. Avec mes petites-filles, qui sont très tranchantes sur le sujet, c’est parfois tendu : elles sont presque aux larmes quand on en parle. Moi, comme d’autres, j’ai ri à certains propos de Depardieu. Je ne me suis pas sentie attaquée, mais je comprends le refus d’une partie de la jeunesse. Je comprends aussi qu’on n’accepte plus certaines attitudes, et c’est peut-être normal. Moi, qui suis plus âgée, je trouve bien que la parole soit ouverte et que certaines choses ne soient plus acceptées. Parfois, je trouve ça un peu extrême, mais je me dis que c’est peut-être nécessaire pour revenir à quelque chose de plus normal. Je n’ai jamais aimé les extrémismes. Je me sens complètement féministe, mais il y a aussi d’autres combats plus ignorés.





