Sibelle, les Anglais et le canoë
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
Depuis la guerre de Cent ans, qui en dura d’ailleurs… 116, nous entretenons des relations très particulières avec nos « amis » anglais. Ils ne font rien qu’à nous chercher des noises (et je reste poli), mais on finit toujours par leur pardonner. Ils ont relégué Napoléon à Sainte-Hélène mais ils ont accueilli le général de Gaulle à Londres. Ils ont brûlé Jeanne d’Arc mais ils ont inventé le football. Alors voilà. Que cette fichue pandémie aboutisse à un énième épisode de ce feuilleton interminable n’est donc pas une surprise. La Grande-Bretagne annonce jeudi imposer (dès ce samedi) une quarantaine de deux semaines pour les voyageurs en provenance de France ? Aussitôt notre gouvernement déclare qu’il en fera de même avec les Anglais souhaitant débarquer. « En espérant un retour à la normale le plus rapidement possible » a-t-il cependant nuancé par la voix de Clément Beaune, secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes, un poste où tout ce qui concerne de près ou de loin le Royaume-Uni est considéré comme hautement sensible.
Sibelle, que le simple mot de « quarantaine » effraie, comme tous nos compagnons à quatre pattes, observe cependant les événements avec philosophie. « Le temps n’est plus, heureusement, où le Prince Noir, fils du roi d’Angleterre, multipliait les chevauchées sanglantes dans notre région… Mais le temps n’est pas encore venu où un nouveau Churchill prendra ses quartiers au 10 Downing Street… » soupire-t-elle.
C’est que ma protégée féline voue un culte au célèbre Premier ministre qui aimait répondre « No sport » quand on lui demandait le secret de sa santé. Ma tigresse domestique apprécie aussi cette citation de Sir Winston : « Les chiens vous regardent tous avec vénération. Les chats vous toisent tous avec dédain. Il n’y a que les cochons qui vous considèrent comme leurs égaux. » Dans le Lot qu’ils sont nombreux à avoir adopté, les Anglais savent que les quarantaines y sont gourmandes et doucereuses. A base de foie gras, de cabécou, de pastis (le gâteau) et de malbec (le vin). Voire d’omelettes aux truffes et de carré d’agneau des Causses. Qu’ils sachent que nous comptons sur eux pour demeurer de fiers ambassadeurs du 46.
A l’heure où les professionnels du tourisme lotois disent que juillet n’a somme toute pas été mauvais mais que le nombre de visiteurs étrangers est en recul, l’attachement des sujets de Sa Majesté à notre terroir demeure vital. Avant même cette nouvelle montée d’adrénaline entre Paris et Londres, conjurant la canicule, avec Sibelle, nous avions constaté que la foule était au rendez-vous de certains classiques d’été dans le Lot.
Exemple : il faut s’y prendre à l’avance (plusieurs jours même) pour réserver une balade en canoë. Plus à l’aise pour disserter sur l’actualité que pour pagayer sur le Célé, ma belle n’était pas très enthousiaste quand je l’ai invitée dimanche dernier à me suivre. Elle a vite changé d’avis. Quand, le gilet de sauvetage orange fluo sur le dos, bien calée à la proue du frêle esquif, alors que j’étais à la manœuvre pour éviter les bancs de galets, choisir de fendre les eaux à l’ombre des falaises, ma belle, se moquant des regards éberlués des nageurs ou pêcheurs, se rêvait conquérant de nouveaux mondes, pas même distraite par les sauts des truitelles, les libellules qui folâtraient, les enfants qui s’essayaient, depuis la rive, au ricochet. Arrivés à bon port, à la base de Bouziès-Bas, Sibelle m’a confié être comblée. Et m’a, dans un souffle, dit son secret. Pendant plus de deux heures, elle n’avait pas imaginé conquérir autre chose qu’une forme d’éternité. Sa frimousse au vent, au milieu de la rivière, au-delà des clapotis, elle n’avait ce dimanche rêvé que d’un été qui ne finirait jamais. Je suis comme elle. Et je pique la formule à Giono sans scrupule : « Que ma joie demeure ! ». What else, comme diraient nos alliés d’outre-Manche ?
Visuel @DR