Sibelle et la défense du foie gras de chez nous
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
Strasbourg, Grenoble et désormais Lyon : les uns après les autres, les maires écologistes (EELV) bannissent le foie gras des réceptions organisées par les municipalités qu’ils dirigent. Et leur mentor Yannick Jadot, candidat à la présidentielle, tente de les défendre : « En Europe, les gens regardent la France sur la question du foie gras avec une grande interrogation. »
En clair, le gavage serait une maltraitance. Certains sourient, d’autres s’agacent et s’inquiètent. Avec Sibelle, nous avons choisi de ne prendre un peu de hauteur. La question est tout sauf anodine. Et pas seulement parce que nous sommes dans le Quercy, haut lieu de cette spécialité culinaire bien française. Je raconte à ma protégée que j’ai découvert cette pratique lors de mes premières vacances lotoises en famille, il y a plus d’un quart de siècle. Les propriétaires du gîte que nous louions, près de Gourdon, élevaient des canards. On les voyait se balader toute la journée ou presque, en famille eux aussi (les canards, hein, pas les proprios). Et je ne sais plus comment ni pourquoi, il nous a été donné l’occasion d’assister à une séance de gavage. Un peu à l’ancienne, certes. Mécanisée sans outrance. Simples spectateurs, il ne nous a pas semblé alors que les canards souffraient particulièrement. Ils ne se débattaient pas, ne geignaient pas. Et une fois l’affaire faite, ils s’en retournaient baguenauder dans la cour de la ferme comme si de rien n’était.
Plus tard, toujours lors de vacances, mais aussi en regardant des reportages à la télé, j’ai observé que dans certains élevages d’ampleur moins familiale, pour ne pas dire industrielle, les gestes semblaient plus rudes, et l’opération du gavage peut-être moins appréciée des canards ou des oies qui par ailleurs, le reste du temps, n’avaient pas non plus le même mode de vie… Pourtant, j’ai continué à déguster, de temps à autre, du foie gras. Comme j’ai continué à manger des œufs en sachant que je n’étais pas toujours certain que les poules qui les avaient pondus avaient un jour… vu la lumière du jour, à manger des crustacés que je savais avoir été jetés vivants dans de l’eau bouillante, ou tout simplement du jambon et des steaks dont je n’aurais pas juré qu’ils provenaient assurément de porcs ou bœufs élevés sereinement, dans des exploitations familiales, qu’on les appelait par leur petit nom pendant plusieurs mois voire plusieurs années avant un jour de les faire tuer dans des abattoirs n’ayant rien à voir avec ces lieux sordides que l’on découvre de temps à autres, filmés clandestinement.
« Et les scientifiques, que disent-ils ? » s’enquiert Sibelle. « Je crois que personne ne conteste plus le fait que des animaux puissent souffrir » suis-je amené à lui répondre. Cela tient même de l’évidence. Le problème est sans doute ailleurs. On sait que c’est le développement de certains modes de culture et d’élevage qui a permis au plus grand nombre (à monsieur et madame tout-le-monde), à partir des années soixante, de manger à sa faim. Et de manière diversifiée. Mais la course à la productivité et au rendement et ce que l’on nommera par facilité la loi du marché dans un monde… mondialisé ont conduit ici ou là à dépasser certaines bornes.
La question n’est donc pas seulement celle du bio ou du circuit court, de la traçabilité, du respect des normes. Mais elle est plutôt de savoir si 60 millions de Français (et on ne tient pas compte des exportations) pourraient manger à leur faim et à prix raisonnable si on faisait machine arrière et si l’on stoppait toute production de viande (ou de lait) risquant, même marginalement, de provoquer quelque souffrance animale.
« Au fond, notre foie gras fait figure de bouc émissaire. On nous jalouse » conclut Sibelle. Qui fait sienne au passage la célèbre formule de Maurice Faure : « Ils ne nous pardonnent pas ce constat : nous sommes pauvres mais nous sommes beaux. Et pourquoi ne s’indignent-ils pas de la souffrance des huîtres ou des homards, de celle de ces saumons qui jamais ne remontent le fleuve jusqu’à leur lieu de naissance, ou pourquoi n’entendent-ils pas le déchirant cri de désespoir de la truffe soudain extraite de la terre où elle sommeillait auprès d’un chêne ? » C’est toujours comme ça avec ma tigresse domestique. Elle en fait trop. Et elle finit par déraper. Comme certains écolos, qui par ailleurs ont pourtant raison sur bien des choses. Défendons notre foie gras. Le vrai. Celui de la ferme voisine. Ou même du supermarché, du moment qu’on a vérifié l’étiquette et sa provenance… Bref, le foie gras qu’on met de côté pour les fêtes. Ce qui importe à Noël, c’est que les enfants aient des étoiles dans les yeux et leurs parents les papilles (gustatives) en joie, non ?
Visuel @DR