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Roger Vitrac, l’enfant terrible de Souillac 


Auteur dramatique passé par le surréalisme, trop tôt disparu, il a laissé un chef-d’œuvre et bien des regrets. 

24 décembre 1928. Drôle de réveillon de Noël à la Comédie des Champs-Elysées où est créée la pièce de Roger Vitrac, « Victor ou les Enfants au pouvoir ». Même la presse étrangère éditée en France va du reste s’en faire l’écho. Mais pas forcément dans le sens où l’aurait souhaité l’auteur… Ainsi, « The Paris Times » écrit quelques jours plus tard, en date du 2 janvier 1929, dans sa rubrique « Sur la rive gauche » : « Un des sujets de conversation au Deux-Magots et dans les bars de Montparnasse ces jours-ci est : « Qui a brûlé le soufre ? » Brûler du soufre est une façon inhabituelle de « saboter » une pièce de théâtre. « Victor », une pièce de Roger Vitrac, a été donnée en avant-première le 24 décembre. Vitrac étant un membre dissident du groupe surréaliste, les producteurs s’attendaient à des actes de sabotage et une équipe compétente de videurs, bien entraînés à la boxe et à d’autres disciplines, avait été mise à disposition. Les instructions étaient d’éliminer toute personne perturbatrice dans la salle. Mais il n’y eut aucun bruit dans le public. Cependant, pendant le deuxième acte, une odeur de soufre épouvantable se répandit. Une spectatrice occupant une loge faillit s’évanouir. La plupart des spectateurs pensèrent que le soufre (qui pouvait, par un élan d’imagination, être lié à un certain élément comique dans la pièce) faisait partie de la mise en scène. Ils ont jugé cela comme étant de mauvais goût de la part des producteurs. Cependant, les producteurs n’y étaient pour rien. Les émanations sulfureuses provenaient d’un « inconnu » qui, selon le témoignage du vestiaire, a brûlé des boules de bois dans le hall pendant le deuxième acte. Les invités dans les loges ont été les plus affectés. Le metteur en scène n’en a même pas été informé avant qu’on ne le lui dise après la représentation. Les videurs n’étaient pas au courant. Personne n’a été mis à la trappe, mais quelqu’un a été richement servi. Mais qui ? »

Le journaliste n’avait pas tort sur un point. Les surréalistes étaient friands de scandales durant les soirées de gala et ils étaient particulièrement féroces envers leurs anciens compagnons de route. Reste qu’au-delà de cet incident, la pièce ne connut pas le succès escompté (*). Elle était et elle demeure pourtant d’une rare modernité. Son propos était précurseur. Pour ne pas dire annonciateur des grandes théories de la pédo-psychiatrie : « Victor, le jour de ses neuf ans, décide de mourir pour ne pas devenir adulte. Grâce à sa terrible intelligence, il ridiculise chaque adulte de la pièce. Il les contraint même au suicide. » Voilà pour le résumé de Wikipédia, alors que Gallimard, qui a édité le texte de la pièce, est plus explicite encore : « Victor (alias Vitrac, NDLR) s’emploie à dénoncer les apparences, à révéler toutes les laideurs et tous les secrets, avec une terrible cruauté. Le langage lui-même s’emballe : tantôt vers le délire surréaliste, tantôt en créant des mots nouveaux, ou des images poétiques. Vingt ans avant Ionesco, c’est déjà le théâtre de l’absurde, ou celui de la cruauté cher à Artaud. Sous le rire, que suscitent les moyens les plus divers et les plus grossiers, cet enfant de Jarry laisse un goût de cendre. »

Il faut dire que la propre enfance de Vitrac fut agitée : né à Pinsac en 1899, il emménage avec les siens en 1901 rue Nationale _ actuel boulevard Malvy (**) _ à Souillac où son père vient d’acheter une charge d’huissier. Le père est joueur et volage, et la mère n’est pas dupe. Elle tente de préserver sa dot et sauve la maison de Pinsac (où Roger aimera revenir fréquemment, plus tard, se reposer). L’enfant est contraint d’assister à de terribles scènes de ménage. Dès 1910, grâce à l’entregent du député-maire Louis-Jean Malvy, le futur ex-huissier part pour Paris et y obtient un emploi de haut-fonctionnaire. La famille le suit dans la capitale.

Un beau duo avec Artaud

Après des études au lycée Chaptal, durant lesquelles il découvre et parcourt avec enthousiasme Lautréamont et Alfred Jarry, Vitrac se lie avec le mouvement dadaïste. Lequel aboutit au mouvement surréaliste. Vitrac rencontre Breton. Mais aussi un homme de théâtre et un poète que sa tragique destinée conduira plus tard à l’asile de Rodez, Antonin Artaud (qui mettra d’ailleurs en scène « Victor ou les enfants au pouvoir »). Le théâtre n’est pas la tasse de thé d’André Breton, pas plus que le journalisme auquel se plie Vitrac, car il faut vivre quand on ne gagne pas sa vie sur scène ou dans les coulisses.

A partir de 1936, le dramaturge et poète (ses écrits-là ne seront éditées qu’en 1964) lotois travaille aussi pour le cinéma, comme scénariste et dialoguiste. Sa santé décline durant la guerre. Devenu hémiplégique, il meurt en 1952, et sera inhumé à Pinsac. Il faudra attendre 1962 pour que « Victor ou les Enfants au pouvoir » connaisse enfin un franc succès, monté par Jean Anouilh… Auparavant, les pouvoirs publics lui avaient été reconnaissants et la Légion d’honneur lui avait été décernée, en 1950, comme auteur dramatique, fondateur du Théâtre Alfred Jarry avec Antonin Arthaud mais aussi comme résistant (il prêta sa voix à des émissions de propagande et clandestinement, mit en sécurité dans le Lot des œuvres d’art des musées de Nancy et de Montauban un temps cachées en Dordogne).

Comment ne pas penser à cet extrait de son œuvre majeure :

« Émilie. – Alors que comptes-tu en faire?

Charles.- Un sous-préfet. N’est-ce pas, Victor?  Un sous-préfet, hein? 

Victor. – Non, inutile.

Thérèse.- Dis ce que tu veux être, mon petit. Il ne faut pas contrarier la vocation des enfants.

Victor. – Je veux faire dans le genre carnivore. Enfant prodigue, cela ne me déplairait pas. »

Pourtant, outre sa trop courte vie, au-delà des bisbilles avec les surréalistes, demeure au sujet de Roger Vitrac un sentiment d’inachevé. Ce génie brillant était sans doute, sûrement, en avance sur son temps.

Ph.M.

Source : site Gallica BNF. Portrait par André Derain (l’un de ses amis peintre).

(*) En 1928, les critiques sont féroces. Comme ces extraits en attestent. Après la guerre, en revanche, elles seront plus flatteuses. Mais pour Vitrac lui-même, il est déjà trop tard…
« On a écouté tout cela silencieusement avec un sourire de pitié, un peu triste, celui qu’on aurait à Sainte-Anne ou à Bicêtre pour examiner, dans le cabinet du médecin – chef, les élucubrations graphiques des aliénés incurables. » Paul Reboux dans Le Journal du Peuple.

« La seule chose qui m’ait paru naturelle dans cette œuvre saugrenue, c’est le bruit postérieur que fait émettre par l’héroïne chaque fois qu’elle éprouve une émotion. Je vous assure que ce trouble d’esprit qui semble frapper M. Vitrac a quelque chose de contagieux. »
Paul Reboux dans Paris-Soir.

«  Vitrac n’a pas découvert un second Ubu Roi, mais une imitation un peu folle de On purge Bébé, avec la verve de Feydeau en moins. »
Pierre Lazareff dans Paris-Midi.

« L’auteur ne perd aucune occasion d’attaquer l’armée. Il met en scène un général ridicule. M. Roger Vitrac veut s’en prendre au Patriotisme. »
Fernand Nozière dans L’Avenir.

(**) Une plaque au n°46 où habita la famille a été apposée en 2024 à l’occasion du centenaire de la publication du premier « Manifeste du surréalisme » à l’initiative notamment de l’association des Amis de Roger Vitrac.

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