Le pont Valentré : Avant son lifting, son histoire… sulfureuse
Bientôt restauré, emblème de la ville, le pont Valentré date du XIVème siècle. De sa première pierre à la légende qui l’accompagne, voici son histoire contée par un érudit ingénieur. Anecdotes à l’appui !
Appelé à bénéficier d’une cure de jouvence (il est toujours possible d’apporter votre concours via une cagnotte en ligne, sans compter un coup de pouce possible du Grand prix du patrimoine et du tourisme local – les votes sont ouverts jusqu’au 29 juin), le pont Valentré valait bien cette petite leçon d’histoire. Car on ne traverse pas les siècles sans collectionner quelques anecdotes.
Nous avons consulté un des ouvrages de référence sur le « Vieux Cahors ». C’est sous ce titre que Joseph Daymard (1846-1939) publia une somme en forme de synthèse de travaux antérieurs en 1909. Ingénieur de formation, natif de Sérignac, il fut tour à tour notaire auprès de son père, directeur d‘une agence bancaire, élu municipal, mais aussi pionnier de la promotion touristique du Quercy. Joseph Daymard est également l’auteur d’un recueil de chants populaires et d’une autobiographie jalonnée d’anecdotes savoureuses, si l’on en croit les Archives départementales.
Voici les extraits de son « Vieux Cahors » consacrés à l’histoire du Pont Valentré…
« Construction. – Primitivement, il y avait à l’ouest de la ville, un port dit de Valentré ou de Sainte Croix, où le passage de la rivière se faisait au moyen de bacs. Les consuls y percevaient un droit de péage sur les denrées. Ce port était un des plus fréquentés de la ville. Aussi, l’évêque B. de Houx conçut le projet de bâtir un nouveau pont à cet endroit (NDLR : le « Pont Neuf » existait déjà). Mais ce projet ne fut mis à exécution qu’une cinquantaine d’années après. C’est le dernier jour d’avril 1306, que les consuls assemblés dans la maison commune décidèrent la construction du pont. Il fut stipulé dans cet acte qu’il serait construit en leur nom et en celui de la communauté et qu’ils en auraient la seigneurie et la garde. »
« Et, aussitôt, on se mit à chercher des ouvriers et à réunir des matériaux. Enfin, le 17 juin 1308, G. de Sabanac, premier consul, posa la première pierre. Quelques mois après, en 1309, les consuls obtinrent du roi l’autorisation d’ouvrir un chemin convenable reliant la ville au pont ; c’est la rue actuelle du Lycée . Le port de Valentré, en effet, auquel on aboutissait par un vieux chemin, était situé un peu en aval du moulin du Périé. Voilà pourquoi il fallut ouvrir un nouveau chemin pour l’accès du pont. La commune pourvut aux premières dépenses avec ses ressources annuelles ; mais celles-ci furent bientôt insuffisantes, et les consuls durent obtenir du roi l’autorisation d’établir de nouveaux droits de barre ou de péage aux portes de la ville, pour en affecter le produit aux travaux de construction. Et comme cette autorisation n’était que pour quelques années, il fallut la renouveler plusieurs fois, notamment en 1313, 1320, 1323, 1328 ! »
« D’après Malleville, le pont était terminé en 1335, et, d’après Fouilhac il ne l’était pas encore en 1378. On ne sait rien à ce sujet. Quant à l’architecte, ou maitre de l’œuvre, l’histoire, malheureusement, n’a pas conservé son nom. Et, cependant, ses compatriotes lui avaient élevé un magnifique mausolée avec une épitaphe, dans l’église du couvent des Cordeliers de Cahors. Ce mausolée a été entièrement détruit lors du sac de la ville par les Huguenots en 1580. »
« Description. – Ce monument le plus considérable de notre ville, est, en son genre, le plus curieux et le mieux conservé de France. Il offre des sujets d’étude aux archéologues et aux militaires, car c’est un spécimen complet de ce mode de défense. Il se compose de huit arches en tiers-point, dont six principales et deux plus petites situées aux extrémités. Elles sont portées par des piles ayant, en amont seulement, des avant-becs très aigus, qui s’élèvent jusqu’au tablier assez étroit, et y forment des retraites de garage. Ces avant-becs sont percés, à environ cinq mètres au-dessus de l’eau, de larges baies destinées, sans doute, ainsi que les trous de boulins que l’on voit au-dessous et à la naissance de l’ogive des arches, à supporter des échafaudages lors de sa construction. Le motif de leur conservation doit, sans doute, être attribué aux réparations incessantes que nécessitent les crues du Lot. »
« La pile centrale et les deux pilles extrêmes portent chacune une tour carrée, à trois étages. L’arceau de chaque tour était fermé, à l’ouest par une porte et à l’est par une herse en fer se levant du premier étage. Les tours extrêmes sont surmontées de hourds en pierre, et leurs quatre faces sont percées d’ouvertures géminées et de meurtrières d’un beau profil. La tour centrale n’a pas de hourds et est un peu moins haute. A l’entrée du côté de la ville, se trouvait un corps de garde (plus élevé que la construction actuelle) et couvert par une toiture, comme les tours. Cet avant-poste était fermé par deux portes moins larges que les précédentes ; en outre, il possédait une herse intérieure, se hissant dans le premier étage, où comme dans les deux tours précédentes, s’ouvrait aussi un assommoir. A l’autre entrée, rive gauche se trouvait une sorte de castelet ou barbacane, couverte d’une toiture, et qui fermait complètement l’espace compris entre la tour et le flanc du coteau. On voit encore les restes de cet ouvrage, soit en fondements qui coupent le chemin allant vers le sud, soit contre le rocher au-dessus du bureau d’octroi. Enfin, les créneaux, qui surmontent actuellement les parapets au-dessus des piles s’étendaient sur toute la longueur des parapets. »
« Réparations. – En construisant ce pont quelques années seulement après le Pont-Vieux, l’architecte profita de l’expérience acquise et fit un ouvrage beaucoup mieux conditionné que le précédent. Il a résisté à toutes les crues et n’a donné lieu qu’à de petites réparations. Ainsi, en 1622, on a réparé les corps de garde ; en 1650, il fallut refaire les planchers des tours, et la galerie du corps de garde à l’entrée de la ville. Enfin, en 1878, le pont a été presque complètement restauré et avec beaucoup d’habileté, sous la direction de M. Paul Gout, architecte du gouvernement. »
« Rappelons, ici, deux petits faits de son histoire. En 1385, c’est-à-dire en pleine guerre de Cent ans, les consuls firent porter la cloche d’un couvent de Saint-Georges dans une tour du Pont-Valentré, pour donner l’alarme en cas de danger. En 1707, eut lieu une grande révolte de paysans, dite des Tard-Avisés, qui essayèrent de s’emparer de la ville. Du sommet du mont Angély, ils firent rouler des quartiers de rochers sur le corps de garde qui était au-dessous et le détruisirent. Dans la crainte qu’ils n’enfoncent les portes du pont, on barra le passage qui était sous la première tour en faisant écrouler la voûte du passage. »
« Légende.- Dans le langage populaire le Pont-Valentré porte aussi le nom du Pont-du-Diable. Voici la légende qui court à ce sujet. Les travaux du pont n’étaient pas encore terminés en 1378. Désespéré de cette lenteur, nuisible à sa réputation comme à ses intérêts, l’architecte fit un pacte avec le diable. Il lui engagea son âme à condition que le démon lui obéirait fidèlement et exécuterait tous ses ordres sans jamais se lasser. Dès lors, les constructions s’avancèrent avec une rapidité effrayante. Satan avait été chargé de porter les pierres aux ouvriers. Il s’acquittait à merveille de cette besogne. Les tours montaient à vue d’œil et l’âme de l’architecte était en péril ; mais il eut recours à un habile expédient. Il ordonna au diable d’aller chercher dans un crible l’eau nécessaire aux maçons pour dissoudre la chaux. Satan comprit qu’il était joué ; il essaya, cependant ; mais, malgré la rapidité de son vol, l’eau s’échappait par les trous du crible, et il n’en restait plus une goutte quand il arrivait près des ouvriers. Après plusieurs essais infructueux, reconnaissant sa défaite, il alla trouver l’architecte : « Tu m’as vaincu, lui dit-il, mais, je te jouerai un tour de ma façon. Et il disparut en laissant après lui une forte odeur de suie. L’architecte activa les travaux et le pont allait être achevé quand tout tout-à-coup, sans cause apparente, l’angle nord-est de la tour du milieu s’écorna dans le voisinage du toit. On le répara ; le lendemain, nouvelle écornure. Cette fois, ce fut Satan qui lassa les ouvriers et si bien qu’en 1879, l’angle était encore écorné. M. Gout a rompu avec la tradition et a fait garnir le vide ; désireux de perpétuer cette vieille légende, il a fait sculpter sur la pierre Satan faisant encore des efforts pour l’arracher. Cette fois, il a trop présumé de ses forces et, comme jadis Milon de Crotone, il ne peut retirer ses doigts des joints qui le serrent, et loin d’emporter la pierre, il y demeure fixé pour toujours. »
Sources : site Gallica BNF. Archives départementales du Lot.
Photo : le Pont Valentré photographié par Eugène Trutat (1840-1910). Fonds numérisé conservé à la BNF. Crédit : site Gallica-BNF / Association des Toulousains de Toulouse.