background img

Nouvel article

1342 Views

Le « bronzé » Monnerville et la dame du château de Mercuès


Avant la guerre, le futur sénateur du Lot avait bien connu à Paris l’artiste Yvonne Lévy. Depuis le château, elle dirigea l’institution qui a protégé 80 enfants juifs à Mercuès, Douelle puis Espère.

Journal du Lot, 30 mai 1934. En bas de la une, quelques échos de la vie politique nationale. Le correspondant parisien du tri-hebdomadaire évoque à sa façon, qui est au fond celle de l’époque, la mort du député du Sénégal Blaise Diagne. « Diagne mort, il nous reste, à la Chambre, un « bronzé », M. Monnerville et un noir, M. Gratien Candace. Mais Diagne prétendait que M. Candace n’était qu’un faux noir, d’une race médiocre et, pour tout dire, civilisée. Pour sa propre supériorité, il usait d’un argument irréfutable : – Mon grand-père mangeait le sien ! Le député du Sénégal plaisantait d’ailleurs très volontiers sur son… teint, et affectait grande joie à conter des histoires noires. En 1931, disait-il, j’étais sous-secrétaire aux Colonies. Chaque fois que j’allais à l’Exposition de Vincennes un certain gardien de la porte d’honneur arrêtait mon chauffeur et, pour laisser passer la voiture, réclamait mes papiers. « La quatrième fois, je m’impatiente. Je montre une carte d’identité, puis je demande : « Me reconnaîtrez-vous, maintenant ? » Et le sous-secrétaire riait de toutes ses dents en rapportant la réponse que lui fit le gardien : Oui, mais qu’est-ce que je ferai s’il arrive un autre nègre ? » Mais si Gratien Candace, député de la Guadeloupe, votera plus tard les pleins pouvoir à Pétain puis accepta d’intégrer un pseudo parlement créé par Vichy, en 1941, le Conseil national, Gaston Monnerville, lui, entra en résistance. Et surtout, dès 1933, alors député de la Guyane, il avait tout deviné de l’immense danger que représentait l’arrivée des Nazis au pouvoir à Berlin. Et resté dans l’histoire comme le discours sur le « Drame juif », le 21 juin, il y exprimait sa solidarité envers ses « frères juifs » : « Le drame qui angoisse nos frères de race juive n’a pas son écho seulement dans leur cœur. Chacun de nous se sent atteint au meilleur de son intelligence et de sa sensibilité, lorsqu’il assiste au spectacle d’un gouvernement qui renie ce qui fait la beauté d’une nation civilisée ; je veux dire : le souci d’être juste, la volonté d’être bon envers tous les membres de la famille humaine, quelle qu’en soit la religion, la couleur ou la race. Me tournant vers les persécutés d’Allemagne, je leur apporte mon fraternel salut et je leur dis : Nous, les Fils de la Race Noire, nous ressentons profondément votre détresse. Nous sommes avec vous dans vos souffrances et dans vos tristesses Elles provoquent en nous des résonances que ne peuvent pas saisir pleinement ceux à qui n’a jamais été ravie la liberté. S’il est vrai que l’hérédité est la mémoire des races, croyez que nous n’avons pas perdu le souvenir des souffrances de la nôtre. Et c’est ce qui, en dehors même du plan supérieur de la solidarité des hommes, nous rapproche davantage de vous et nous détermine à nous associer à votre protestation. Nous sommes à vos côtés et vous nous trouverez toujours à vos côtés… »

> L’élu et l’artiste se croisent entre les deux guerres

Ces paroles, le Journal du Lot, et pas davantage la plupart des quotidiens nationaux ou régionaux, ne s’en firent l’écho. Elles étaient pourtant à la fois prophétiques et d’une rare humanité. C’est sans doute en cela que l’on reconnaît un homme d’État. En attendant, durant cet étrange entre-deux-guerres, l’élu de Cayenne est remarqué de tous. Y compris de l’intelligentsia et de la fine fleur des arts et des lettres. Il croise alors une certaine Yvonne Lévy-Engelmann (1894-1955). Fille d’un officier de marine, cette artiste peintre s’est spécialisée dans la miniature (pour ce qui concerne la technique et le support) et dans la thématique des outre-mers. « Alors que le tourisme de croisière est en plein développement […], à Paris, trouvant une liberté picturale et une reconnaissance espérée, de nombreuses femmes artistes joueront un rôle essentiel dans le développement des arts coloniaux. […] Avec Germaine Casse, les artistes parisiennes Yvonne Levy-Engelmann (proche de Gaston Monnerville), Suzanne Fremont, la sculptrice Anna Quinquaud, Germaine Foury et bien d’autres, consacrent une partie de leur production aux sujets antillais et en particulier le modèle féminin » relève Christelle Lozère, maîtresse de conférences en histoire de l’art contemporain à l’université des Antilles. Et tant pis s’il y a dans cet engouement une forme d’angélisme, comme l’explique encore la chercheuse : « En représentant des paysages luxuriants, des natures mortes de fruits en abondance et des portraits de femmes créoles métissées et souriantes, les artistes nourrissent une vision exotique idéalisée des Antilles, ne laissant aucune place à la peinture d’Histoire totalement occultée. Dénoncée dans la revue Tropiques par Aimé Césaire, cette peinture qualifiée de « doudouisme » artistique est perçue dès la fin des années 1930 par les intellectuels antillais anticolonialistes comme une vision mondaine, bourgeoise, citadine et folklorique des Antilles ».

> Une miniature (sur ivoire) pour un géant

On sait par ailleurs qu’Yvonne Lévy-Engelmann a participé à la croisière dite du Tricentenaire commémorant le rattachement des Antilles à la France, à bord du paquebot « Colombie » (du 14 décembre 1935 au14 janvier 1936). Un événement dont l’une des figures de proue fut bien sûr Gaston Monnerville. Au salon d’hiver de 1947, Yvonne Lévy-Engelmann expose une miniature sur ivoire représentant… l’élu de la Guyane. Avant comme après la terrible Seconde guerre, les deux personnalités se sont croisées. Mais en 1947, on ignore si l’artiste a évoqué devant son ami où et comment elle a vécu cette longue et noire parenthèse. Et lui, déjà président de la Chambre haute, au Palais du Luxembourg, ne devine pas qu’un an plus tard, il sera élu sénateur du Lot et qu’il va y cumuler durant plus de quatre décennies toutes les fonctions électives, et tous les honneurs. Or, étrange clin d’oeil du destin, pendant que le politique se muait en soldat de l’ombre et résistait dans le Massif central, un peu plus au sud, dans le Lot, Yvonne Lévy-Engelmann dès juin 1940, avait pris ses quartiers dans le noble château de Mercuès. Tout en continuant à exercer son art et à exposer, malgré le contexte, « la dame du château » comme elle sera surnommée, va résister d’une autre manière en dirigeant une institution qui va prendre en charge et protéger des persécutions quelque 80 enfants juifs. Elle ne rentrera à Paris qu’à la Libération. Une destinée hors norme et un chassé-croisé entre deux personnalités d’exception à retrouver sur le site de la Maison d’Espère.

Sources : site Gallica BNF, site du Sénat, article de Christelle Lozère dans « La présence à Paris des artistes antillais. De l’académisme des Salons à une créolité artistique affirmée », in Paris Créole, son histoire, ses écrivains, ses artistes XVIIIe-XXe siècle (dir. Erick Noël), Presses Universitaires de la Nouvelle-Aquitaine, chapitre XIV, p. 140-154, janvier 2020.

Photo : Photo du député de Guyane Gaston Monnerville conservée à la BNF et Autoportrait de l’artiste publié dans la revue Medica en 1929. Bibliothèque d’Université Paris Cité.

Récemment Publié

»

Cahors Rugby reçoit Bergerac ce samedi pour un choc au sommet à Desprats

Les supporters sont attendus en nombre pour pousser les Ciel et ...

»

Figeac : Concert exceptionnel de FigeacVoix et Camérata le 12 avril 2025 

Il aura lieu salle Balène à 20 h 30.  Chaque printemps, après ...

»

Cahors : Le train freine en urgence pour éviter une octogénaire désorientée sur la voie 

Des agents SNCF l’ont accompagnée avant sa prise en charge par la ...

»

Salon TAF de Cahors : « Oh My Lot ! » y était

Une campagne digitale a été mise en place en amont.  Une fois ...

»

Cahors : Le programme des Tickets culture des vacances de printemps dévoilé 

Plusieurs activités sont proposées du 14 au 18 avril 2025.  Du ...

»

Feux de forêt : Chez les pompiers du Lot, l’été se prépare au printemps

Formation à Cajarc qui s’est déroulée du 17 au 21 mars.  Pour ...

»

L’opération « Occitanie Destination Groupes » sous le charme du Lot 

10 agences, autocaristes et tour-opérateurs, ont été ...

»

Appel lancé à bénévoles pour sauver le Musée Ferroviaire de Saint-Géry-Vers

La structure a besoin de renforts.  Face à la menace de ...

»

Cabrerets : « Bien, reprenons » ce vendredi sur la scène de la salle des fêtes 

Spectacle à découvrir ce 4 avril, à 20 h 30.  Divagation ...

Menu Medialot