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La postière de Cahors complice et victime du prétendant au trône d’Ukraine 


Une postière originaire de Cahors est condamnée à Paris. Elle avait aidé en 1934 un ami, archiduc héritier des Habsbourg, à escroquer des personnalités du gotha. Le prince rêvait de régner sur l’Ukraine. 

« Son Altesse impériale est un beau garçon, blond, mince, grand et distingué. Danseur élégant, grand joueur de golf, l’archiduc Guillaume porte dans sa personne cet indéfinissable cachet qui est le privilège des gens racés… » Le chroniqueur judiciaire de service ce jour-là ne fait pas dans la dentelle. Il est vrai qu’en ce 22 décembre 1934, le quotidien national « L’Œuvre » sort une belle affaire. Depuis novembre, un prince héritier des Habsbourg et une modeste employée des postes originaire de Cahors font l’objet d’une enquête judiciaire peu banale. Ils ont tous deux été inculpés mais le secret de l’instruction avait été bien gardé – c’est une exception, sourit d’ailleurs le journaliste. 

Il commence par dresser le portrait de la Lotoise. « Mlle C., ancienne employée des postes à Cahors, était venue s’installer à Paris avec sa vieille mère. Assez ambitieuse, intelligente, distinguée et, au demeurant, assez jolie, la jeune fille se mit en tête de faire fortune, abandonna l’administration et chercha une situation plus reluisante. Elle fut, d’abord, la secrétaire d’un ancien ministre de l’instruction publique, puis celle d’un banquier, Maurice de Rothschild. Très active, elle sut profiter de l’enseignement du milieu où elle vivait et faire en Bourse et en toute honnêteté des opérations assez fructueuses. » 

Coup de foudre dans un dîner mondain 

Jusque-là, tout va bien. Mais elle va faire une mauvaise rencontre. En tout cas, elle s’en rendra compte plus tard, alors que de prime abord, on se croirait dans un conte… L’article de « L’Œuvre » narre l’histoire avec une certaine gourmandise. « Au cours d’un dîner chez M. de Rothschild, dont elle ne déparait pas les réceptions, elle fit la connaissance d’un authentique archiduc autrichien, Guillaume de Habsbourg, qui prétend, on ne sait trop pourquoi, au trône de l’Ukraine, république fédérée à l’Union Soviétique. Son Altesse est un beau garçon (…). La petite employée de Cahors ne pouvait résister à tant de charme mis à sa portée par les circonstances, elle devint amoureuse du beau Guillaume qui ne fut pas insensible à cette flamme… » On verra plus tard qu’il n’en est rien, et pour cause. Via quelques sous-entendus pas toujours du meilleur goût, les journaux expliqueront que le prince préférait les personnes de son sexe. 

Toujours est-il que prise au piège, l’ancienne employée quitta son domicile de la rue Copernic pour s’installer dans un hôtel rue des Acacias, près de la demeure de Guillaume. Elle passa dès lors pour sa fiancée… et se fit passer en sus pour la nièce d’un ancien ministre : ça en impose toujours. Elle plaida la cause du prince auprès de hautes personnalités, et commença à contracter des dettes pour financer la conquête du trône d’Ukraine au profit de l’archiduc. Elle vendit des titres qui n’existaient pas. Et il y eut une audace de trop. 

Au Ritz, des titres trop ronflants 

« Des craintes commencent à se faire jour dans le milieu de ses créanciers. Mlle C. tente alors un grand coup : elle réunit dans un déjeuner à l’hôtel Ritz quelques personnalités du monde du commerce, parmi lesquelles le directeur d’une grande marque d’apéritif. Elle imagine une mise en scène inouïe pour obtenir de ces gens qu’ils lui achètent 400.000 francs de titres hollandais qu’elle a déposés, dit-elle, chez M. de Rothschild. Le banquier, prétendait-elle, n’a pu assister à ce déjeuner et se trouve dans un salon voisin de l’hôtel. Au moment du café, un maître d’hôtel parfaitement stylé apporte les excuses écrites de M. de Rothschild auxquelles est joint le relevé d’un compte de Mlle C., portant au crédit les 400.000 francs de titres hollandais. Le directeur de la maison d’apéritif accepte l’affaire ; mais il prie Mlle C. de passer chez lui à 18 heures, pour le règlement. Entre temps, il se renseigne et peut facilement se rendre compte que le fameux relevé est un faux. Et c’est un inspecteur de la police judiciaire qui accueille, le soir, l’ancienne employée des postes de Cahors. » 

L’instruction qui suit n’est pas aisée. Personne ne porte plainte tout d’abord. Et surtout pas certains hauts fonctionnaires ayant servi la République en finançant les ambitions d’un prétendant au trône… Et les magistrats comme les policiers ont quelque mal à démêler quelle est la responsabilité exacte de l’archiduc. Surtout que ce dernier porte plainte à son tour contre son amie… 

Le prince prend la fuite en Suisse 

L’affaire vient finalement à être jugée dès l’été 1935. Or, si la modeste Cadurcienne a fait huit mois de préventive, le prince, lui, auquel on avait épargné cette infamie, a pris la fuite et a gagné la Suisse. Il y a bien deux prévenus, devant répondre ce 27 juillet 1935 d’escroquerie, abus de confiance, émission de chèques sans provision et complicité. Mais une seule est présente devant les juges. Les débats font les délices des chroniqueurs. Même si les parties civiles sont peu nombreuses, sans doute par souci de discrétion. Viennent néanmoins témoigner des grands couturiers jamais payés ou des directeurs d’hôtels… 

Au moment de plaider, l’avocat de la Lotoise la présente comme victime. Le journal « L’Œuvre », dans le compte-rendu paru dès le lendemain, le 28 juillet, note ainsi : « Me Lamour, parlant à son tour, démontrera, avec une précision aussi frappante qu’éloquente, que Mlle C., aux côtés d’un « coquin couronné ou qui aurait pu l’être », vécut quatre ans dans un « état second » où elle ne se contrôlait plus. » Et il conclut : « Avant que M. de Habsbourg ne la traque jour par jour pour avoir sa pincée quotidienne de billets de 100 francs – qui devait lui servir à satisfaire ses vices et à payer de « jeunes marins », Mlle C. avait donné à l’archiduc toutes ses économies. Et jamais, auparavant, la police n’avait eu à s’inquiéter d’elle. » 

Quelques heures d’audience nourrie de chapitres croquignolets (comme cette prétendue audience auprès de Mussolini pour laquelle le prince demanda à son amie de « casquer » (sic) car son avenir politique en dépendait) et vient la sentence après un délibéré de quelques minutes. 

Les Habsbourg en ont vu d’autres 

« La responsabilité principale des escroqueries incombant à l’archiduc de Habsbourg-Lorraine, celui-ci est condamné à 5 ans de prison par défaut et 2.000 francs d’amende, Mlle C. à trois ans d’emprisonnement avec sursis. Merci beaucoup, fait M C., en saluant. Merci bien… – Cinq ans de prison à un Habsbourg-Lorraine. Si François-Joseph vivait encore, il dirait, haussant les épaules comme il ne manquait pas de le faire quand on lui apportait les pires nouvelles des siens : – Bah ! J’en ai vu bien d’autres…» conclut le journal « L’Œuvre ». 

D’autres journaux firent leurs choux gras de ce déballage, comme « Paris Soir ». Le 28 juillet, encore, on lit : « Seule Mlle C. comparaît aujourd’hui devant les juges ; l’archiduc a pris le large au moment où un mandat d’arrêt était lancé contre lui. Il a l’habitude de ces déplacements. Ne mena-t-il pas déjà une existence tour à tour princière et « bohème » en Afrique, en Espagne, ailleurs encore, cet archiduc dont l’une des plus singulières particularités est d’être tatoué comme le plus vulgaire des « mauvais garçons – ? » 

Quelques jours plus tard, Le Journal du Lot, pour sa part, évoque brièvement l’affaire, s’amusant néanmoins que la postière lotoise victime et complice de l’héritier des Habsbourg était née à Cahors… rue du Prince Murat. Reste qu’on ne saura jamais vraiment si elle aima ce prince, même le sachant peu enclin à une vraie relation, si elle crut à ses chimères, si elle voulut gagner de l’argent ou donner un sens à son existence… Victime ? Ou complice ? Trop naïve ? Qui peut juger, près de 90 ans plus tard ? 

En surfant sur Internet, on apprend que Guillaume de Habsbourg-Lorraine (parfois surnommé l’Archiduc rouge), un temps réfugié en France, donc, eut par la suite une existence tout aussi agitée. Rentré en Autriche, au début de la Seconde guerre, il sympathise avec les Allemands espérant qu’avec les Nazis, sa quête du trône ukrainien puisse aboutir. Quand il se rend compte que l’indépendance ukrainienne n’est pas le premier souci du IIIème Reich, il passe à la résistance et serait même devenu espion pour l’Angleterre puis pour la France. Arrêté par les agents de l’URSS en 1947, il finit par mourir emprisonné. Selon des sites spécialisés, un buste à sa mémoire existe à Kiev et quelques nostalgiques lui vouent toujours un culte en Ukraine. Mais c’était avant que le pays ne fut confronté à une nouvelle guerre… Quant à la légitimité ou non de ses prétentions au trône, cela reste affaire d‘historiens. 

Ph.M. 

Sources : site Gallica BNF, archives départementales du Lot. 

Photo : L’archiduc héritier des Habsbourg avait-il de trop beaux yeux pour être honnête ?

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