Kira fait du zig-ZAD
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
« Sans fausse modestie aucune, j’avoue ne pas avoir d’avis bien tranché quant à la décision gouvernementale de renoncer à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Le problème, c’est que je ne suis pas seul à la maison. Je cohabite notamment avec des chats. Ainsi, vous ne ne serez pas surpris que je vous dise que ma petite Kira, par exemple, ne fut pas la dernière à réagir. Et plutôt deux fois qu’une. C’est ainsi qu’au soir de l’annonce de l’abandon du projet, ma sacrée féline est rentrée dans un équipage à faire pâlir n’importe quel préfet. Une tente canadienne roulée en boule sur le dos, un bandana rouge et noir noué sur le front, des petites pancartes rassemblées dans une espèce de brouette, sans oublier un réchaud, une lampe de poche, et toutes sortes de petits ustensiles. « Mais qu’est-ce que c’est que tout ce fatras ! » n’ai-je pu m’éviter de lui lancer. « Je crée une ZAD dans le jardin » m’a répondu l’effrontée.
Une ZAD, c’est une Zone A Défendre, « un néologisme militant utilisé pour désigner une forme de squat à vocation politique, la plupart du temps à l’air libre, et généralement destinée à s’opposer à un projet d’aménagement » lit-on sur Internet. J’ai évité de rigoler. L’affaire semblait sérieuse et ma protégée déterminée. « Une ZAD ? Dans le jardin ? » « Oui. Je vous connais vous, les humains. Toujours à vous approprier l’espace, à vous lancer dans des projets démesurés, surdimensionnés, pour satisfaire ici un lobby, ailleurs on ne sait quel appétit de puissance ou de plaisir plus inutiles les uns que les autres. Alors je prends les devants. Dans le jardin, tu as déjà installé une terrasse en bois somptuaire, un bain à remous, des immenses pots d’où émergent de modestes bambous qui demain feront de l’ombre jusqu’à Mercuès. Alors je dis stop. Fini. Je vais installer une ZAD le long du mur, là où tu as planté tes hortensias… »
Aussitôt dit, aussitôt fait. La plate-bande a été transformée en camp retranché. J’ai dressé un procès-verbal et pris quelques photos. Mimant l’exploit de quelque huissier. C’est qu’une fois sur place, l’évidence m’avait sauté aux yeux. Le petit bout de jardin neutralisé par Kira, cette modeste petite parcelle recouverte d’écorces de pin n’est rien d’autre que le cabinet d’aisance de mes chers protégés. Invariablement, tous les matins, à tour de rôle, avec un air aussi dégagé que pensif, c’est là qu’ils grattent puis se soulagent avant de recouvrir leur écoparticipation à l’enrichissement du sous-sol. La nuit venue, Kira a abandonné la tente et a très discrètement gagné son coussin favori. « J’ai connu des Zadistes plus courageux » ai-je persiflé. Elle a fait semblant de ne rien entendre. L’avenir dira si ma belle envisage des combats d’une autre envergure. Mais c’est peu probable. Dans le Lot, évidemment, aucun projet, aucune structure surdimensionnés. Aucun équipement somptuaire et somptueusement… inutile sauf au moment de couper les rubans. Rien de tout cela. N’est-ce pas ? Si ? Ah bon ? Non, vous vous trompez sûrement. »