Kira et le monte-escalier
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
« Ils arrivent désormais chaque jour dans ma boîte mail. Aussi ponctuels que cruels. Le contenu du message est résumé dans l’objet. L’échantillon fait froid dans le dos. « Profitez de tous vos espaces, installez un monte-escalier ». « Gare à l’isolement, essayez nos prothèses auditives… ». « Et si vous installiez une douche sécurisée ? ». « Pensez à vos proches, souscrivez une convention obsèques. » Et je n’évoquerai pas le recours toujours possible aux petites pilules bleues pour rester en forme. Si j’ose dire. Bref. Depuis que j’ai passé le cap du demi-siècle, grâce à toutes sortes de données qui n’ont de personnelles que le nom, récoltées et stockées ici et là, chaque matin, les marchands du temple et du web me rappellent par des courriels dépourvus de toute ambiguïté que j’avance doucement vers la fin de l’été (de ma vie). Voire l’automne. Comme dans la chanson. Je suis un senior. Pas une tête blanche, mais déjà poivre et sel. Il y en a une que cela fait rire, évidemment. Ma petite protégée féline, du haut de ses deux ans et quelque, elle se gausse de mes états d’âme. Mais je suis déjà passé à autre chose.
Voilà que se profile, toujours via Internet, la déclaration de revenus à destination des services fiscaux. Et comme chaque année, je note qu’aucune case ne figure dans le formulaire pour indiquer qu’un ou plusieurs animaux de compagnie sont présents au foyer. « Fiscalement, tu n’es rien » dois-je confesser à Kira. « Ni une demi-part, ni un tiers ou un quart de part… Rien. Nada. » Alors ma belle féline me toise et s’en retourne sous le bolet pour terminer sa sieste. Ou faire semblant. Elle est très préoccupée elle aussi. La grève des cheminots ? La mobilisation des étudiants ? Le feuilleton de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes ? Que nenni.
Kira regrette amèrement de ne pas avoir été conviée à déjeuner à Matignon, cette semaine, avec un aréopage choisi d’entrepreneurs lotois. J’ai essayé de lui faire comprendre qu’elle même n’étant pas chef(fe) d’entreprise, cela semblait logique. « Et alors ? Est-ce une raison pour ne pas avoir d’avis sur les pistes à mettre en œuvre pour doper l’économie locale ? Car figurez-vous, mon maître, que j’ai des projets, moi. Et j’en aurais bien touché un mot au Premier ministre. » Si, si. J’ai osé. Je me suis permis de lui demander de quoi il s’agissait. Sa réponse a fusé. « Les chats ne sont pas chiens mais ils peuvent constituer une niche sur le plan économique. Il y a un marché pour développer certains produits : je pense ainsi à un monte-escalier pour chats fatigués. Les humains dépensent des millions d’euros chaque année en croquettes. Je suis persuadée que pour le confort de leurs boules de poils préférées, ils seraient prêts à investir dans ce genre d’équipement. Sans parler des baignoires à porte. Les chats n’aiment pas l’eau mais quitte à prendre un bain, autant le faire en toute sécurité. » Je n’ai rien répondu. Il faut que je coure à la poste : ma protégée a écrit au député Pradié. Ma tigresse suggère dans sa missive une 31ème proposition pour l’avenir des écoles rurales : ouvrir les classes aux chats pour déstresser enseignants et élèves. Si, il faut prendre cela au sérieux. Et moi, cela me ferait aussi des vacances… »