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A Rueyres, le crime était presque parfait 


Stupeur dans un village de la Limargue. Une femme âgée est retrouvée en partie dévorée. On pense d’abord à des cochons ! Mais les porcs n’étaient pas ceux que l’on croyait. 

Funeste conte de Noël. Sordide même. En ce 28 décembre 1932, les rédacteurs de service au Journal du Lot ne peuvent cacher leur stupeur. A d’autres les saveurs de dinde rôtie, de foie gras, de truffes, les bulles de champagne. Il leur faut rendre compte d’une actualité bien peu en phase avec cette période du calendrier. Comme quoi, soit dit en passant, le XXIème siècle n’a pas l’exclusivité loin s’en faut des faits divers les plus épouvantables. Et ce que l’on apprend dans un premier temps amène la presse locale à d’abord exclure la thèse criminelle. Ou à tout le moins privilégier celle d’un accident. Voilà ce premier article, donc, publié entre les deux réveillons de cette fin d’année… 

« Décidément, dans notre département, si paisible à l’ordinaire, c’est depuis quelque temps une succession d’horreurs. Voici la dernière en date. Madame veuve J., âgée de 77 ans, menait au fond des bois une existence solitaire. Elle habitait une petite propriété, isolée, sur le territoire de la commune de Rueyres, près du hameau de la Gaumerie. Sa demeure tout à fait rustique, où elle avait quelques brebis et plusieurs porcs, était cachée. Elle-même se montrait rarement. Les habitants du hameau, ses voisins les moins éloignés, passaient parfois plusieurs jours sans la voir. Les ressources de Mme J. n’étaient pas grandes, mais suffisaient largement à assurer sa modeste existence. Elle touchait une petite pension d’ascendant, un de ses fils ayant été tué à la guerre. Elle avait, en outre, quelques titres de rente et les produits de sa propriété. » 

« Depuis quelques jours, elle n’avait pas paru. Mais comme le fait était fréquent, les habitants du hameau n’y prêtèrent pas autrement d’attention. Mais jeudi soir, la petite M., fille d’un voisin, passant devant la propriété, vit les brebis errant dans la brousse. Elle les fit rentrer dans l’étable et informa ses parents de cet incident en ajoutant qu’elle avait jeté un coup d’œil dans la maison et que tout y était sens dessus-dessous. Comme les relations entre voisins n’étaient pas courantes, et comme M. M. savait que le désordre régnait dans cette maison, on n’attacha pas d’importance à la déclaration de la petite. Mais vendredi, Mme M. se rendant à la foire de Lacapelle-Marival, vit les deux porcs de Mme J., errant dans la propriété. Elle savait que la femme J. devait se rendre à la foire de Lacapelle-Marival pour vendre les cochons. Elle crut qu’on les avait fait sortir dans ce but. Mais, le soir, au retour de la foire, revoyant les cochons, les époux M. se souvenant de ce que leur avait dit la fillette, tinrent à se rendre compte de ce qui se passait dans la ferme de la Gaumerie. Ils s’y rendirent. » 

Le corps affreusement déchiqueté 

« Ils pénétrèrent dans la maison dont la porte était ouverte et un spectacle horrible s’offrit à leurs yeux. Au milieu d’un amas d’objets mobiliers, répandus sur le plancher, chaises, tables, ustensiles de ménage, pommes de terre, le corps de Mme J. était étendu, affreusement déchiqueté, rongé. Les époux M. comprirent ce qui s’était passé. Les cochons avaient dévoré le cadavre. Le fils de la victime, la gendarmerie de Lacapelle-Marival furent avertis, ainsi que le docteur Laplaze, de Saint-Céré. Celui-ci examina le cadavre. Le côté droit de la figure était broyé, rongé. Le foie, l’estomac, les intestins avaient disparu. La cage thoracique était dénudée, plusieurs côtes étaient rongées. M. le docteur Laplaze refusa naturellement le permis d’inhumer et le Parquet de Cahors, prévenu, se rendit dans la journée de samedi à Rueyres où il fit les constatations que nous relatons ci-dessus. Le plus grand désordre régnait dans la maison, qui ne comptait qu’une seule pièce. Mais on trouva sur le cadavre une somme de 150 francs ; dans un placard, on découvrit deux livrets de caisse d’épargne représentant une valeur de 2.500 francs. La question qui se posa fut, évidemment, la suivante: « Y a-t-il assassinat ? » Aucun indice ne permet de le croire. » 

« Sans doute, on a relevé des traces de sang sur la porte. Mais cela peut très bien s’expliquer naturellement. Mme J. avait été, il y a quelque temps, frappée d’une attaque. Elle s’en était relevée. Il est probable que le lundi une autre attaque l’a atteinte brusquement et qu’elle est tombée se faisant des blessures. Les hypothèses… Dès lors, tout paraissait normal. Un voisin disait avec raison : « Les brebis restaient dans le champs et trouvaient à brouter, mais les cochons qui ne recevaient plus leur pâture, pénétrèrent dans la maison et… dévorèrent le cadavre. » Il est même probable que ce sont les cochons qui ont renversé chaises, tables, ustensiles de cuisine clans la cuisine. Aussi bien, ils étaient encore dans la maison quand les voisins arrivèrent. Il ne semblait donc pas qu’il y ait eu crime. Le hameau de la Gaumerie était assez isolé, mais pour y accéder, le chemin n’était pas commode et passait devant le hameau. Il est difficile d’y circuler sans être vu. Enfin, à un crime, il faut un mobile. Ici, il n’apparaît pas. C’était l’opinion de tous ceux qui avaient vu les lieux ou qui connaissaient les habitudes du petit village ; il était vraisemblable qu’on est en face d’un accident… » 

C’était sans compter quelques indices troublants délivrés par l’autopsie et la ténacité des gendarmes et magistrats. Dès le 11 janvier 1933, le Journal du Lot met un terme au terrible suspense. Non, ce ne fut pas un accident. Certes, une partie du cadavre avait été dévorée par deux porcs affamés. Mais l’examen médical, s’il ne put déterminer avec précision les causes de la mort, en exclut au moins une. Il « démontra que la veuve J. n’avait pas succombé à une congestion ». Par ailleurs, dans la pièce de la ferme, « on avait retrouvé 150 francs dans la poche d’une robe et des titres au porteur dans un meuble de la pièce où avait eu lieu le drame. On pouvait donc croire qu’il n’y avait pas eu volonté de voler. Mais d’autre part il était difficile d’admettre que les deux porcs avaient pu ouvrir les tiroirs, saccager le lit, bouleverser le pauvre mobilier. » Bref, « un doute sérieux subsistait donc sur les causes véritables de cette affreuse mort ». Un doute que parvint à lever la gendarmerie de Lacapelle- Marival : « M. Tauzi, maréchal des logis, avait eu les soupçons éveillés sur un nommé Henri D., âgé de 28 ans, journalier agricole, demeurant à Aynac. Cet individu travaillait actuellement à la construction de la route d’Espeyroux. Ce D. était le camarade d’un nommé Elie L., comme lui journalier agricole, âgé de 24 ans, appartenant à une brave famille, mais qui passait pour un chenapan. Les deux individus, ivrognes et paresseux, avaient une très mauvaise réputation qu’ils méritaient largement. La gendarmerie de Lacapelle les surveilla étroitement pendant qu’elle demandait sur leur compte des renseignements à la gendarmerie de Saint-Céré. Ceux-ci furent déplorables. » 

La presse nationale s’intéresse à l’affaire 

On convoqua le nommé D. au prétexte d’un méfait antérieur. Cet interrogatoire, habilement mené, conduisit à la vérité sur le crime. Il avoua bientôt. Et Le Journal du Lot résume ainsi ce qu’il a pu expliquer… « Le 21 décembre, sortant du café Larrive, à Aynac, il rencontra son camarade L. qui lui proposa de le mener chez la veuve J.. Vivant seule, ayant certainement de l’argent c’était un bon coup à faire… et facile. A travers bois, dans la nuit, ils arrivèrent à l’endroit solitaire où la vieille femme menait son existence retirée. Il ne fut pas difficile d’enfoncer la porte. La femme dormait sur son pauvre lit. L. se jeta sur elle. Eveillée dans l’épouvante, celle-ci se débattit en criant. Alors, L. la frappa d’un coup de couteau au sein gauche tandis qu’avec une main sur la bouche de la malheureuse, il étouffa ses cris. Quand elle fut morte, les deux bandits cherchèrent l’argent. Et c’est alors qu’ils bouleversèrent tout et mirent la pièce dans l’affreux désordre où on la trouva. Leur fouille ne fut pas fructueuse. Ils ne voulurent pas emporter les « titres » qu’ils jugeaient compromettants et ne trouvèrent qu’une trentaine de francs en monnaie dont ils ne profitèrent même pas puisque à travers la poche trouée de leurs pantalons ils les semèrent sur le sentier de retour, où quelques-unes furent ensuite ramassées par les gendarmes. Avant de s’en retourner ils eurent cette ignoble pensée de livrer le cadavre aux porcs qu’ils allèrent chercher dans l’étable et qu’ils enfermèrent dans la chambre. » 

Ce récit de D. fut grosso modo confirmé par L. Mais « plus intelligent que son camarade », selon l’article, il nia d’abord. Avant que les éléments rassemblés par les enquêteurs ne l’amènent à confesser le crime. Il avait déjà tenté du reste de réaliser ce forfait quelques temps auparavant. Et c’est également lui qui aurait eu l’idée de livrer le cadavre aux porcs. Quelques jours plus tard, une reconstitution est organisée dans la ferme. Une foule nombreuse assiste à l’événement. Une photo sera même publiée dans Paris Soir. Car l’affaire, désormais, est suivie par la presse nationale. Dans son édition du 18 janvier, Le Journal du Lot indique que la reconstitution a permis de préciser certains détails. « Le juge d’instruction intervient. Il y a sur la porte d’entrée de la maison une large tache de sang. D’où vient-elle ?… De plus, le corps de Mme J., si elle a été seulement frappée dans son lit, ne peut être resté dans la position indiquée par L. et D.. Ce dernier essaye d’échapper a l’interrogatoire en affirmant que L. rentra dans la pièce tout seul, après qu’ils en étaient sortis tous les deux, et qu’il y resta un long moment. Les deux bandits se donnent l’un à l’autre des démentis. De cette dispute, habilement provoquée, la vérité va sortir. Et la voici, telle que L. et D. ont été finalement obligés de l’avouer. La veuve J. fut, en effet, frappée d’un coup de couteau au côté droit pendant qu’elle se débattait dans son lit contre L.. Mais elle ne succomba pas à cette blessure ni à l’étouffement pratiqué sur elle. Avec une étonnante vigueur chez cette vieille femme, elle revint de son évanouissement tandis que les assassins fouillaient la maison. Elle se leva et essaya de fuir. L. la saisit au moment où elle arrivait à la porte et lui porta un second coup de couteau au ventre. C’est cette blessure dont le sang gicla sur la porte… » 

L’affaire est jugée dès la session des assises de juin de la même année. Le compte rendu paraît le dimanche 2 juillet 1933 dans Le Journal du Lot. Entre- temps, les deux accusés sont revenus sur leurs aveux. Leurs avocats ont donc choisi de plaider l’acquittement. Ils estiment qu’il n’y a pas d’élément matériel, de preuve irréfutable. Désigné comme l’instigateur puis l’auteur du crime, L. persiste : « Je ne suis allé qu’une fois dans cette ferme, c’était avec le parquet, pour la reconstitution. » Comme son complice, il prétend que ses aveux ont été arrachés de force… L’avocat de D. a sa propre thèse. Pour lui, la malheureuse victime a ouvert la porte à un familier. Il met en garde le jury contre une erreur judiciaire. Tout comme son confrère, il déplore l’absence d’élément conclusif au terme de l’enquête. Le verdict est rendu dans la nuit. A toutes les questions, il a été répondu « oui ». Les deux journaliers sont donc condamnés. Mais ils bénéficient de circonstances atténuantes. On ignore lesquelles. La peine la plus lourde va à L. : les travaux forcés à perpétuité. Son complice écope de dix ans. L. est évacué en criant qu’il ne veut pas aller au bagne. Mais « l’audience est levée dans une profonde émotion », note le confrère d’alors. Il fallut ensuite quelques mois, voire quelques années, pour que le village de Rueyres recouvre quelque sérénité… 

Ph.M. 

Sources : Archives du Lot, site Gallica BNF. 

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