Le retour de Sibelle
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
Au fil des jours, on a ressorti les chaussettes du tiroir, remis des pantalons et repris l’habitude d’enfiler un blouson pour aller faire les courses. Tout juste désormais s’il ne faut pas crier au miracle quand un rayon de soleil permet de boire un café en terrasse au meilleur de l’après-midi. L’été s’en est allé, l’automne a doucement pris ses quartiers, et une forme de mélancolie a gagné notre maison sur les hauteurs du village. Même les rosiers sont fatigués et paraissent hésiter : une dernière floraison ? Non ? Alors zut. Et Sibelle ? Idem. Depuis juin, elle ne rentrait plus guère que pour manger, s’en retournant aussitôt, enchaînant les nuits à la belle étoile, les siestes à l’ombre des hortensias et les parties de rigolades avec les félins du quartier. Et puis, il y a quelques jours de cela, brusque changement de cap. Ma princesse a retrouvé le doux confort du canapé, le moelleux des coussins. Je l’ai sermonnée.
« Et notre rendez-vous du samedi, tu avais oublié ? Les vacances sont finies ma chérie, allez, même avec un mois de retard, au boulot. Comme jadis, tu feras ta rentrée début octobre ! » Je l’entends marmonner. Je m’approche. Oui, c’est bien elle qui bougonne. « Bah, à quoi bon. Je pensais revenir avec un scoop et ça a fait pschitt. » Je questionne ma tigresse, j’essaie d’en savoir davantage. Il faut lui tirer les vers du nez comme disait l’autre. Et enfin, elle crache le morceau. « Pas de scoop, ou plutôt un. Quand même. J’aurais aimé annoncer ma candidature aux municipales. Tête de liste à Cahors. Ou ailleurs. Mais basta. C’est non. On a pris la décision avant-hier avec mon comité de soutien. » Passons sur le comité de soutien en question, qui se résume j’imagine à ses compagnons de jeux de la rue, les Sacha, Virgule et compagnie. J’asticote encore un peu ma petite Sibelle, et l’explication finit par tomber. Comme un couperet. Comme un voyage sans retour. Sibelle ne sera pas candidate car fin septembre, l’assemblée a voté un projet de loi que mes confrères parisiens ont qualifié avec pudeur de « toilettage du code électoral ». Or, il s’est trouvé des députés – non lotois, ouf ! – pour glisser en douce un amendement aussitôt adopté en séance : plus question désormais de faire figurer la photo d’un animal sur les bulletins de vote ni sur les affiches ou professions de foi ! De fins analystes ont estimé que cela visait peut-être à réduire l’influence du Parti animaliste qui avait réalisé en mai aux Européennes un score historique (2,2 % des voix!). Je n’en sais rien. Pour autant, modeste citoyen infiniment respectueux des institutions, j’admets partager la déception de Sibelle et me demander, avec elle, s’il n’y avait pas plus urgent à régler…
L’été s’en est allé. L’automne a pris ses quartiers. Mais avec ma petite protégée, on reste en toute saison assez déconcerté par le fossé certain ou le certain fossé qui se creuse chaque jour davantage entre les élites, germanopratines ou pas, et le vulgum pecus.