Les paysans du Lot ne sont plus coupés du monde
1950. Le journal Combat raconte comment les paysans du Quercy se convertissent à la mondialisation pacifiste. Ils écoutent la radio, pardi !
1949. Le conseil municipal de Cahors adopte la Charte de la Mondialisation et la ville se rebaptise elle-même Cahors Mundi. Plus de deux cents autres communes lotoises vont faire de même. Alors que l’on se remet à peine de la Seconde Guerre et de ses millions de morts, la capitale lotoise et le département avec elle s’engagent dans un mouvement pacifiste sans précédent. Il est vrai que déjà la « guerre froide » s’annonce. En 1950, est inaugurée dans le Lot la première Route Sans Frontières. Les bornes qui la matérialisent, désormais régulièrement restaurées, sont toujours visibles quand on se dirige vers Saint-Cirq Lapopie. Ce qui se passe alors dans le département sous l’impulsion de pionniers formidables étonne et séduit le milieu intellectuel. On retrouve toute l’histoire de ce mouvement sans précédent sur le site Lotois du Monde. La presse nationale est également curieuse.
Classé à gauche, le quotidien Combat ne cache pas partager l’enthousiasme des élus et citoyens du Lot. Même si, parfois, certains articles n’évitent pas les clichés… Ainsi, le 18 février 1950, une bonne partie de la dernière page du journal est consacrée à un reportage qui évoque la « conversion » à la Mondialisation et au pacifisme des paysans du Quercy… Qui habitent des fermes isolées, évidemment, mais sont aussi de fidèles auditeurs de la TSF. C’est grâce à la radio qui les relie au monde que nos paysans ont compris l’urgence de s’engager. Nous en reproduisons ci-dessous de larges extraits. Tout cela se déroulant évidemment à une époque où le terme de « mondialisation » avait un tout autre sens qu’aujourd’hui !
La fin d’une querelle séculaire
« Les paysans du Quercy deviennent citoyens du monde en écoutant l’air du « 3e Homme ». De notre envoyé spécial Sylvain ZEGEL. Il faut quitter Cahors, emprunter un autorail jusqu’à Capdenac, puis un train de marchandises jusqu’à Figeac, pour bien comprendre quelles raisons ont conduit 78 % des habitants du Lot à opter pour la citoyenneté mondiale et à transformer ainsi un département français tout entier en territoire « mondialiste ». Si les Cadurciens ont été les premiers à devenir citoyens du monde, les Figeacois ont été, toutes proportions gardées, plus nombreux à le faire. Oubliant leurs appartenances politiques, négligeant les consignes – parfois négatives – de leurs partis, 82 % des Figeacois ont, en effet, voté pour la « mondialisation ». » « On en a presque oublié ici la vieille querelle qui depuis des siècles oppose les deux cités. Figeac, sous-préfecture, a pardonné à Cahors d’être la préfecture. Et Cahors, patrie de Gambetta, ne reproche plus à Figeac d’être la ville natale de Charles Boyer. La trêve politique et la fin de la querelle héréditaire ont fait naître dans cette ville où abondent les vieilles demeures aux fenêtres en ogives, une sympathique atmosphère: « Nous avons recréé en luttant pour la paix, l’unité de la Résistance, me dit-on. Les ouvriers de chez Ratier, les radicaux bon teint, les « apolitiques » se retrouvent et travaillent côte à côte avec plaisir comme dans le maquis, pour préparer la « mondialisation ». » « Cette unité retrouvée paraît incroyable au premier abord. Elle est pourtant réelle. Il suffit (…) de voir comment opèrent les équipes de citoyens du monde, composées de deux hommes d’opinions contradictoires. Ces équipes vont de ferme en ferme recueillir des signatures. Après leur travail, jusqu’à une heure avancée de la nuit, ces hommes pataugent dans la boue, s’efforcent de convaincre les indécis ou les méfiants. Leur foi est telle que la plupart du temps ils y parviennent. J’ai eu la chance de participer avec une de ces équipes à la dernière tournée qui a permis de recueillir les derniers votes. Il faisait déjà nuit. Les portes des fermes isolées ne s’ouvraient qu’après de longues palabres. On se sentait coupé du monde. Jamais semblait-il la porte ne s’ouvrirait, jamais ces paysans du Quercy ne voteraient pour la « mondialisation » de leurs champs. »
Vessies de porc et épis de maïs
« La porte s’ouvrait enfin. On pénétrait dans la salle commune. Aux solives pendaient des vessies de porc et des rangées d’épis de maïs. Les femmes, jeunes, préparaient le repas ou faisaient la vaisselle tandis que les vieilles se chauffaient « au cantou » – , au coin du feu. On se présentait. On parlait de choses et d’autres. Puis on expliquait la raison de cette visite tardive : « Il faut éviter la guerre… Nous essayons une méthode nouvelle… La mondialisation… Si cela ne fait pas de bien cela ne fera pas de mal… » Les équipiers, chacun à son tour, prenaient la parole. II fallait donner des détails, souvent recommencer à tout expliquer. Puis après quelques hésitations ces fermiers du Quercy donnaient enfin ce qu’ils donnent le plus difficilement : leur signature. Souvent les décisions étaient rapides. Dans une ferme, un vieux paysan déclara : « Mes quatre frères sont morts à la guerre de 14. Mon fils aîné est mort à celle-ci. Je suis avec vous, jusqu’au bout ». Dans une autre le fermier s’exclama : « J’ai été déporté. Je sais ce que c’est. Je vote pour la paix. Les guerres ne règlent rien ». »
Incroyable, ils ont la radio !
La visite la plus étonnante fut celle de cette ferme dont le propriétaire remarqua dès qu’il entendit le mot « guerre » : « On a tous peur. On a tous peur d’une nouvelle catastrophe ». Et la vieille au « cantou » qui paraissait approcher de la centaine, ne plus s’intéresser à rien de ce monde, sembla nous apercevoir soudain et déclara: « Mais vote donc fiston. Avec cette bombe à hydrogène dont a parlé Einstein nous allons tous mourir ». Cela me fit sursauter. Dans cette ferme isolée, loin de la route, loin de tout, la plus âgée de la maisonnée parlait d’Einstein et de bombe à hydrogène. J’allais demander comment elle avait entendu parler du message du savant quand j’entendis l’air du « Troisième Homme ». Cet air que l’on fredonne aussi bien à Copenhague, à Berlin, aux Champs-Elysées qu’aux Etats-Unis, parvenait jusqu’ici. Un des gamins venait de tourner le bouton du poste de radio. C’est par la radio que la vieille fermière savait ce qui se passait dans le monde, elle ne se sentait nullement isolée. Au contraire, rien de la terre des hommes ne lui était étranger. Elle se sentait « citoyenne du monde » et, bien qu’elle n’ait jamais voté, qu’elle se soit toujours refusée à participer à l’élection d’un député ou d’un conseiller municipal, cette fois-ci elle vota. « La paix, c’est trop important pour qu’on s’en désintéresse » conclut-elle. »
– Source : site Gallica-BNF. Illustration : tableau de Henri Martin, « La Maison métayère de Marquayrol avec la vigne de Madame Henri Martin » vers 1920. Collection privée.