Sibelle, les orages en approche, et l’hommage à Frédéric
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
Festival Let’s Docks, Journée nationale de la pêche, rendez-vous Cahors Juin Jardins ou encore invitation à pique-niquer chez les Vignerons indépendants… Liste non-exhaustive. « N’en jetez plus, la cour est pleine » selon l’expression consacrée (dont j’apprends au passage qu’elle a le même sens que « la coupe est pleine » mais qu’elle vient des chanteurs d’antan se produisant dans les cours et qui, par antiphrase, avait pour but d’« inciter plaisamment les auditeurs à leur jeter une obole par la fenêtre en guise de rétribution » _ explication fournie par le cultissime blog des correcteurs du Journal Le Monde, « Langue sauce piquante »)… Ce premier week-end de juin, les suggestions de sorties sont plus alléchantes les unes que les autres. Même Sibelle, d’ordinaire si prompte à décider à ma place, est prise de court, avant de proposer que l’on tire au sort…
Nous en sommes là de nos réflexions, ce vendredi, quand on apprend que le département est placé en vigilance orange : des orages localisés mais violents avec fortes rafales de vent et chutes de grêle sont attendus dans la nuit… « Le ciel pourrait de ce fait changer la donne » glisse ma protégée. Sur ce, nous voilà obligés de protéger notre pré carré. Car s’il est de dimension modeste, notre jardinet, sur le haut du vieux village, n’en est pas moins l’objet de toute notre attention et de ce fait à l’origine de bien de nos petits bonheurs quotidiens…
Mais comment faire pour prévenir tout danger ? Quid de nos rosiers aux appellations évocatrices (le Pierre de Ronsard, le Léo Ferré et le Laetitia Casta) ? Quid de notre plant de chasselas qui a pris racine il y a quelques années à peine et qui se déploie désormais le long du mur du bolet ? Quid de l’hydrangea dont les fleurs en forme de boules blanches sont autant de promesses ? Et il y a encore le groseillier, la lavande, les hortensias transplantés de Bretagne… Impossible de les mettre tous sous cloche. Rien que d’écrire ces mots provoque ma hantise. « Il est vrai que pour quelqu’un qui n’est pas réputé adroit, tu as la main verte côté jardin et quelques compétences en cuisine » admet ma protégée. Qui craint également les orages et le vent. Quand le ciel chahute, elle est généralement la première à prendre ses distances, c’est-à-dire à gagner la chambre du bas et à se réfugier sur voire sous la couette. La technique de l’autruche. Moi, je reste en éveil, je scrute l’horizon planqué derrière la fenêtre et je garde mon smartphone à la main : on peut suivre désormais en temps réel grâce aux radars l’avancée des perturbations et les impacts de foudre. Et pourtant. Que sont ces soucis eu égard aux troubles, aux violences et aux folies de notre monde ?
« Quelle étrange société que celle des hommes » songeait ainsi ma tigresse domestique cette semaine postée devant les chaînes d’info. Où des événements du Stade de France on passait sans sourciller aux foules colorées de Londres célébrant les 70 ans de règne d’Elisabeth II _ j’ignore au passage pourquoi tant de médias ont décidé désormais d’écrire le nom avec un « z »… _ et aux ravages de l’inflation. Quand ce n’est pas la pénurie (vous savez où trouver de la moutarde, vous?)…
Et puis ce drame : la mort de Frédéric Leclerc-Imhoff en Ukraine. Ce reporter de 32 ans a été fauché alors qu’il couvrait une opération d’évacuation de civils. Sa photo et ce visage souriant, les propos si dignes de sa mère, la réaction déchirante de son compagnon : tout nous porte à répéter cette banalité qui n’en est pas une. Les reporters de guerre comme ceux qui parviennent à se rendre dans les pays les plus fermés sont l’honneur de notre profession. Du ciel, des satellites peuvent photographier le moindre lancement de missile, le moindre mouvement de char. Mais c’est sur le front que l’on saisit la réalité humaine de la guerre. C’est de là que l’on informe, que l’on rend compte de la vérité des faits. Avant peut-être que les orages ne les saccagent, nous cueillons avec Sibelle les plus belles roses, les plus belles fleurs de notre jardin. Ce modeste bouquet du Quercy exprime notre compassion et notre reconnaissance. Il n’effacera en rien l’injustice de cette mort et n’apaisera pas la peine des siens : qu’il dise simplement que nous n’oublierons pas Frédéric. Ni les hommes, femmes et enfants, ni les soldats qu’ils soient ukrainiens ou russes, ni tous les autres morts de cette guerre qui sans les reporters et leur courage quotidien, finirait par se glisser de la une aux colonnes des pages intérieures des journaux, du début du 20 heures à une simple phrase avant la rubrique people. Que ce bouquet soit une bougie. Pour la mémoire, et pour la paix.
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