Un réfugié lotois dans le dernier convoi parti de Drancy
A Douelle, qui se souvient de Raphaël Best ? Réfugié dans le Lot, âgé de 55 ans, il fut déporté à Auschwitz par le convoi 77, parti de Drancy en juillet 1944.
« Le maire de Douelle, canton de Luzech, Lot, certifie que Monsieur Raphaël Best, né 26 février 1889 à Paris, 16e arrondissement, demeurant à Douelle, a été pris par les Allemands et n’est pas encore rentré à ce jour. Douelle, le 20 mai 1946. Pour le maire, l’adjoint. Signé : illisible. » Cette attestation a été versée au dossier.
Et parmi les milliers de dossiers de déportés conservés aux Archives nationales, le sien n’est pas le plus épais. On y apprend que Raphaël Best est donc né à Paris (16e arrondissement) en 1889 de parents d’origine néerlandaise naturalisés français, Levi Best et Marianne Vrank. Lesquels exerçaient une profession qui a désormais disparu : ils étaient photographes forains. Au sein d’une fratrie nombreuse, Raphaël connaît une jeunesse un peu agitée. Il lui faut changer d’air et de fait, il va voir ailleurs si l’herbe est plus verte. Si bien que quand la guerre de 14 est déclarée, il se trouve en Belgique. Et il va ainsi combattre sous l’uniforme belge. Pendant ce temps, il est noté comme insoumis en France… Passons sur ce quiproquo juridico-militaire. Amnistié, il finit la guerre du reste dans les rangs d’un régiment français et en 1919, démobilisé, il regagne Anvers. Le 19 octobre 1920, Raphaël Best y épouse Flore Pernode, une jeune femme née dans le Hainaut, âgée de 21 ans. Sa jeunesse tumultueuse est oubliée. Raphaël a décidé de trouver un métier, un vrai. Le voilà représentant de commerce. Son parcours est cependant plus elliptique, en tout cas d’après le dossier conservé aux archives. On apprend via une autre source qu’il a été décoré de la Croix du Feu, une distinction créée par arrêté royal du 6 février 1934, attribuée à tous ceux qui ont passé au moins 32 mois au front pendant la Première guerre…
> D’une guerre à l’autre
Mais quand la Seconde guerre survient, cette fois, d’autres épreuves attendent le couple, qui n’a pas eu d’enfant. Les Best quittent la Belgique et se réfugient en France. Il y a le mari, Raphaël (qui a conservé du reste sa nationalité française), l’épouse, Flore Pernode, et la mère de celle-ci, qui a le même prénom, Flore Dandois. A une date inconnue, ils font étape à Auxerre, et plus tard, à une date également inconnue, ils s’installent à Douelle. A ce moment du récit, il convient de mentionner que Raphaël Best n’est plus, depuis l’automne 1940, un citoyen français comme les autres. Il est juif. En tout cas considéré comme tel par la loi scélérate de Vichy que Pétain annota de sa main.
Fin mai 1944, alors que la Libération approche, pour des raisons à ce jour non éclaircies, Raphaël Best se rend à Toulouse. La capitale régionale est en émoi. Entre bombardements alliés et actions de la Résistance, la ville est ainsi particulièrement surveillée par des Occupants nerveux et leurs complices. Le réfugié est arrêté par la Gestapo. Depuis les quais de la gare Matabiau, début juin, il peut laisser un message écrit qui sera transmis aux siens, à Douelle, dans lequel il explique être transféré dans un camp en région parisienne. C’est le camp de Drancy où il arrive courant juin.
> Déporté le 31 juillet 1944
On devine la suite, hélas. De fait. Raphaël Best figure parmi les 1306 hommes, femmes et enfants déportés à destination d’Auschwitz par le convoi nᵒ 77 du 31 juillet 1944. C’est le dernier parti de Drancy et Bobigny. Raphaël Best fut assassiné aussitôt son arrivée, début août. En date du 8 mai 1945, ne sont recensés que 251 survivants qui avaient été épargnés un temps car sélectionnés pour le travail…
Ses proches ont raison de redouter le pire. A Douelle, son épouse décède (de mort naturelle) quelque temps après la Libération du département. Et le 21 juin 1945, sa belle-mère écrit à la Croix-Rouge, à Paris. Elle demande des nouvelles de son gendre, « vivant ou mort », tout en avouant ne plus guère avoir d’espoir de le revoir… En avril 1945, une de ses cousines avait déjà sollicité les autorités et plus tard, en août 1946, dans le dossier, est encore conservée une déclaration de Benjamin Best, en sa qualité de « frère » de la personne déclarée « non rentrée ». Ce n’est qu’en décembre 1946 que le certificat de décès sera signé officiellement par un fonctionnaire du bureau de l’état-civil du ministère des Anciens combattants et victimes de guerre : Raphaël Best « domicilié en dernier lieu à Douelle » est mort à Auschwitz.
En ce dimanche 27 avril, « Journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la déportation », ne cherchez pas de plaque au nom de Best (Raphaël) ni à Douelle ni ailleurs dans le Lot. Le patronyme, le prénom et l’année de naissance sont gravés en revanche à Paris sur le Mur des Noms qui comprend les noms de 75 568 juifs déportés de France durant la Seconde guerre mondiale, au Mémorial de la Shoah.
> Un travail de mémoire nécessaire
Une femme s’est lancée dans le funeste mais nécessaire travail de recensement des Juifs arrêtés dans le Lot puis déportés durant la Seconde guerre. Ils étaient venus s’y réfugier pour la plupart. Il s’agit de Christelle Bourguignat, qui consacre à ce devoir de mémoire une grande partie de ses heures de « loisirs », de ses week-ends et ses vacances depuis plusieurs années. A ce jour, elle a recensé 172 noms. Et a rédigé les trois-quarts des notices biographiques synthétisant pour chaque déporté les documents trouvés dans les dossiers conservés aux Archives nationales, mais aussi provenant d’autres sources (y compris à l’étranger). Historienne citoyenne, Christelle Bourguignat publiera le moment venu le résultat de ses travaux, sous une forme encore à définir. Son entreprise n’a pas de prix. En attendant, régulièrement, quand elle séjourne dans le Lot, elle explique sa démarche et évoque certains de ces destins brisés qu’elle extirpe de la nuit. L’oubli serait une seconde mort pour celles et ceux qui ont péri dans les camps ou en sont rentrés brisés à jamais. A l’inverse, « la plus belle sépulture, c’est la mémoire des hommes », comme l’a écrit Malraux. Et un jour, il faudra bien que dans le Lot, ces 172 noms soient gravés aussi dans la pierre du Quercy.
Ph.M.
Nos plus vifs remerciements à Christelle Bourguignat qui nous a transmis les renseignements collectés sur Raphaël Best. Il est possible de lui transmettre toute information relative aux victimes de la Shoah dans le Lot à l’adresse deportesdulot@gmail.com
Christelle Bourguignat donnera une conférence à Figeac le mardi 6 mai 2025 à 20 h 30 salle Roger Laval sur le thème « Ils s’appelaient Jacob, Maria, Samuel… Les réfugiés juifs dans la région de Figeac pendant la Seconde Guerre mondiale » et à Saint-Céré le jeudi 8 mai à 15 h 30 sur le thème « Les déportés juifs de Saint-Céré : 1942-1944 » à l’Auditorium, avenue Pierre et Andrée Delbos.