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Un médecin lotois pionnier de la criminologie


Professeur de médecine à Lyon, ami de Gambetta, le Lotois Alexandre Lacassagne (1843-1924) fut l’un des pères de l’anthropologie criminelle. Ses thèses font toujours débat.

« Aujourd’hui la justice flétrit, la prison corrompt et les sociétés ont les criminels qu’elles méritent. » C’est l’une des citations les plus célèbres d’Alexandre Lacassagne, considéré à raison comme l’une des grandes figures de la médecine légale et l’un des pionniers de la criminologie moderne. A Lyon, où il fut nommé en 1878 professeur titulaire de la chaire d’hygiène et de médecine légale, une avenue porte son nom et en mai dernier, à l’occasion du centenaire de sa mort, une incroyable exposition a été proposée à la bibliothèque universitaire Rockfeller : des centaines de tatouages que le spécialiste avait conservés dans des carnets. Des dessins représentant des cœurs percés, zouaves, ancres marines, danseuses (etc.), tous observés sur des criminels condamnés au bagne et que le « légiste » reproduisait avec soin et collectionnait.

Né à Cahors de parents hôteliers, il a intégré l’école de médecine des armées de Strasbourg en 1864. Marqué par la guerre de 1870, Alexandre Lacassagne rejoint ensuite le Val de Grâce et très vite, est nommé dans la capitale des Gaules. Là, il enseigne mais surtout investit tous les domaines lui permettant de préciser ses connaissances. Le médecin légiste intervient dans les enquêtes, fréquente les morgues et les prisons. Il est ainsi le premier à aider la résolution d’un meurtre en observant les stries d’une balle (et invente du coup la balistique), puis met au point des techniques favorisant l’identification des cadavres.

Les criminels ne pas tous des fous

Favorable à la peine de mort (à condition que les exécutions n’aient plus lieu en public), ce proche de Gambetta synthétise les connaissances scientifiques de la fin du XIXème et du début du XXème et les met au service de la médecine légale. Une science encore balbutiante. Mais au contraire de bien de ses confrères, notamment italiens, ce passionné de l’altérité (un concept toujours discuté de nos jours) ne pense pas que les criminels soient toujours des fous. Il peut s’agir de monsieur et madame Tout-le-monde : mais un jour, le contexte social fait qu’une faille intime favorise leur passage à l’acte…

Cependant, Alexandre Lacassagne était d’abord et surtout un méticuleux. A l’image de ses carnets de tatouages : « Il les décalquait d’abord sur la peau des militaires, au Bat. d’AF. où certains étaient aussi des délinquants. Puis, il a commencé à les reproduire : il les mettait sur du papier à dessin rigide. Avec minutie, il inscrivait l’identité du tatoué, sa date de naissance, l’endroit où il était né, dans quelles conditions était fait le tatouage, ce que ça représentait » expliquait Liliane Daligand, Professeure de médecine légale, à nos confrères de France TV lors du vernissage de l’exposition en mai.

Il aide à résoudre nombre de crimes fameux

Adorant le « terrain », il identifia en 1889 le corps partiellement décomposé de l’huissier assassiné dans la célèbre affaire de la « malle à Gouffé », pratiqua également l’autopsie du président Sadi Carnot, assassiné à Lyon en 1894, et fit l’examen médico-légal de l’anarchiste Casério. Il participa aux grandes affaires criminelles de son temps (Vidal, le « tueur de femmes », Vacher « l’éventreur ». etc.). Pédagogue, il fonde en 1895 la première revue française de criminologie.

Bibliophile et collectionneur, on lui doit de nombreux aphorismes comme celui- ci : « Le milieu social est le bouillon de culture de la criminalité ; le microbe, c’est le criminel, un élément qui n’a d’importance que le jour où il trouve le bouillon qui le fait fermenter ».

Des travaux toujours discutés

Mais le plus étonnant, pour les profanes que nous sommes, c’est que ses travaux sont encore, en partie, des références. Ou à tout le moins font parfois, sur certains points, encore débat. On trouve facilement, sur Internet, nombre de travaux faisant état ou critiquant certains aspects des thèses du Professeur Lacassagne. Ainsi, les scientifiques du XXIème siècle sont tous d’accord sur un point : ce fut un pionnier. Et accessoirement, une sacrée personnalité. Quand il meurt en 1924 des suites d’un accident (renversé par une automobile), une autopsie est réalisée avant son inhumation. En médecin légiste émérite, cette disposition figurait dans son testament.

Dans un congrès de criminologie, à Bruxelles en 1892, il avait déjà résumé ses thèses : « Il y a une préoccupation qui semble se dégager de ce Congrès : c’est l’étude de l’aliéné criminel. La question du criminel doit être distincte de celle-ci, et il faut placer la question sur un autre terrain. Autrefois, on croyait que tous les hommes naissaient égaux par l’intelligence et par les qualités morales. Plus tard, lorsqu’on s’est aperçu qu’il y avait des différences physiques, les idées des dégénérescences sont intervenues, et l’on a trouvé qu’il y avait à la fois des faits de dégénérescence physique et des faits de dégénérescence morale. On a bien vite compris que les hommes différaient les uns des autres, aussi bien par leurs qualités intérieures que par leurs qualités physiques; qu’il pouvait y avoir des hommes très intelligents avec un corps débile, des hommes très méchants avec un visage aimable et une physionomie distinguée, mais que le contraire pouvait aussi se présenter. »

Le facteur social dans le passage à l’acte

« J’ai depuis longtemps cherché à démontrer qu’il y a deux facteurs du crime : un facteur individuel, auquel je n’attache pas une grande importance, et un facteur social, qui me semble très important. (…) Le type criminel-né n’existe pas, contrairement à l’opinion de l’école italienne. Je reconnais l’utilité des observations faites sur l’aliéné criminel, mais il ne faut pas s’en tenir là. »

« Je distingue trois catégories de criminels : les frontaux ou intellectuels, les pariétaux ou impulsifs, et les occipitaux ou émotifs. C’est surtout la partie occipitale du cerveau qui me parait prédominante dans l’étude particulière du criminel. Je pense qu’il faut distinguer les instincts nutritif ou conservateur, sexuel, maternel, l’instinct constructeur, l’instinct destructeur, l’instinct de commination, d’orgueil, de vanité, etc. Le cerveau est un agglomérat d’organes, sièges d’instincts ou de facultés qui peuvent avoir, à un moment donné, un fonctionnement prédominant, et c’est la prépondérance de l’un de ces instincts sur l’autre qui domine parfois l’ensemble de la situation. »

Les criminels que l’on mérite…

« Il n’y a pas un homme qui n’ait sa passion dominante. Cela explique comment les criminels sont irréfléchis et même imprudents et imprévoyants. Au contraire, l’équilibre cérébral constitue la vertu, c’est-à-dire l’adaptation la meilleure à la vie sociale. Les instincts occipitaux sont en rapport avec les viscères et, par conséquent, avec la nutrition. Le facteur social et le milieu dans lequel nous vivons sont très importants ; ces facteurs retentissent surtout sur la partie occipitale du cerveau. Sil n’y a pas équilibre parfait, on se trouve en présence du vice, du crime, de la révolte contre l’état social. Cela explique les crimes provoqués par la misère. »

« L’étude du fonctionnement cérébral doit donc prédominer, et c’est sur elle qu’il faut asseoir la théorie de la criminalité. Jusqu’à présent, dans l’étude de la criminalité, on a été trop préoccupé des constatations anatomiques et extérieures. Il vaudrait mieux se demander quels sont les instincts qui deviennent tout à coup prédominants et quelles sont les influences sociales qui agissent brusquement sur la prédominance de tel ou tel instinct. Au Congrès de Rome, j’ai émis une pensée qui résume toutes mes observations : aujourd’hui la justice flétrit, la prison corrompt et les sociétés ont les criminels qu’elles méritent. »

Source : « Les sentiments primordiaux des criminels », Actes du congrès d’anthropologie criminelle de Bruxelles, Bruxelles, F. Hayez, 1892, p. 239-240 (sur Archive.org).

Ph.M.

Voir aussi « Alexandre Lacassagne: Un médecin anthropologue face à la criminalité (1843-1924) », par Marc Renneville in Gradhiva : revue d’histoire et d’archives de l’anthropologie, 1995. Accessible en ligne.

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