Sibelle, une soirée de violences à Cahors, les paillettes du Ballon d’or et le sermon de la Toussaint
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
Lundi._ Des violences d’une gravité inédite se produisent dans la soirée à Cahors. Une rixe avec coups de couteau est d’abord signalée dans le centre-ville, puis, après l’interpellation des suspects, dans un premier temps soignés aux urgences, des attroupements belliqueux ont lieu au centre hospitalier puis devant le commissariat où la garde à vue se poursuit. Ce qui oblige les policiers à intervenir fermement. Le calme revenu, la procédure judiciaire enclenchée (sur la rixe et les faits qui ont suivi), des renforts ont été dépêchés pour éviter tout nouveau trouble. C’est le métier des journalistes : rapporter les faits, ne pas minorer ni exagérer leur importance. Cahors n’est pas devenue du jour au lendemain un vaste coupe-gorge mais n’est pas non plus une oasis, ou plutôt une bulle déconnectée du monde tel qu’il est par ailleurs. C’est-à-dire un monde très violent. Qu’il s’agisse de délinquance, d’économie, de travail, de rapports humains, qu’il s’agisse du ciel ou de la terre… Je fais appel à la grande sagesse de ma protégée féline. Mais où est-elle ? D’habitude, elle adore tourner autour de moi quand je rédige cette chronique pour donner son point de vue car elle a un avis sur tout (et surtout un avis, comme disait Coluche). Je vais voir. Tiens, signe des temps ? Elle est postée sur le muret du bolet et surveille la rue, d’ailleurs déserte. « On m’a signalé un nouveau matou dans le quartier. Je n’ai pas d’a priori, mais je préfère prévenir que guérir. Non pas que mon territoire soit une zone interdite, mais ici, c’est moi qui commande » m’explique sèchement l’intéressée. Oserai-je conclure en avouant que parfois, j’ai réellement le sentiment d’habiter chez elle ?
Mardi._ Retour sur la cérémonie du Ballon d’or qui avait lieu hier soir. Le seul terme « cérémonie » est déjà un mauvais présage. Pour les non initiés, sachez que le Ballon d’or a été inventé par le magazine France Football il y plusieurs décennies pour récompenser le meilleur joueur de l’année, et désormais de la saison (ce qui est plus logique). Mais depuis quelques années, l’esprit a changé. On se croirait à Cannes ou aux Césars. Il y a un tapis rouge, des kyrielles de photographes, joueurs et joueuses arrivent en smokings et robes de grands couturiers, on en fait des tonnes avant, pendant, après. C’est devenu à la fois une compétition en soi et un événement pour people et vraies fausses stars. On en oublie que le football est un sport collectif, et que s’il y a des génies qui illuminent le jeu et qui servent l’équipe comme l’équipe les sert, de même qu’une star de cinéma peut porter un film, il n’y pas de chef-d’œuvre sans de grands seconds rôles. Sibelle (qui a fini de faire le guet) opine du chef. Et de conclure : « Si le Ballon d’or, il risque de faire de mauvais rêves. » Fin de la blague.
Mercredi._ L’Espagne est en deuil. De violentes intempéries ont provoqué la désolation dans plusieurs régions du pays. Les pluies ont été si fortes et si intenses que des villages et des quartiers entiers ont été envahis en quelques heures par des torrents incontrôlables et des vagues qui ont tout emporté. Le phénomène météo n’est pas nouveau (une « goutte froide », à l’image en France des « épisodes cévenols »), mais son intensité est inédite. Le jour où cette planète ne sera plus habitable, on ne pourra pas dire que nous n’aurons pas été prévenus.
Jeudi._ On apprend que les parlementaires lotois (députés et sénateurs) ont demandé à être reçus à Paris par Dominique Lefebvre, le président du Groupe Crédit Agricole. Le banque dite verte souhaite en effet fermer plusieurs agences dans le département. Or, pour l’heure, pétitions et manifs n’ont pas inversé le cours des choses. Drôle de psychodrame. C’est pas comme si ce secteur n’était pas soumis à la concurrence. Donc, hors les clients professionnels qui ont emprunté (souvent lourdement) et les particuliers qui ont pu également se laisser tenter par des offres de prêt, qu’est-ce qui empêche d’aller voir ailleurs ? En fait, le quasi- monopole de cette banque qui a financé la mutation de notre modèle agricole (et assuré ce faisant sa propre prospérité) a depuis longtemps induit une illusion. Que ces agences et que cet opérateur étaient censés être éternellement partie intégrante du paysage de nos campagnes. Comme le reste, de la tournée du facteur à l’école du bourg d’à côté en passant par le bar-tabac-épicerie et le cabinet du médecin. Et puis un jour, le rideau est tiré. Une banque est une banque. Sibelle qui n’a jamais digéré être juridiquement exclue du cercle des possesseurs de carte bleue soudain se fait philosophe et reprend les mots de Jean-Jacques Rousseau : « Le bonheur c’est un bon compte en banque, une bonne cuisinière et une bonne digestion. » Au pire, un œuf sur le plat, une verre de malbec et le sourire de la crémière feront l’affaire…
Vendredi._ Une journée de la Toussaint exceptionnellement ensoleillée au moment, selon la tradition, pour nombre d’entre-nous, d’aller se recueillir sur les tombes de nos chers disparus. De quoi envisager, après ce rituel, une promenade bucolique mais un brin mystique quand, comme c’est souvent le cas, le cimetière a été déplacé à l’extérieur du bourg. Je repenserai alors en ce qui me concerne à cette anecdote qu’aimait rappeler feu mon cher papa. C’était un dimanche dans une église des Ardennes. Le prêtre, dans son sermon, avait le verbe austère. Le voilà qui répète à plusieurs reprises : « Frères, il faut mourir. » Il n’a pas terminé son troisième rappel de la dure loi de Dieu, de la nature et de notre fragile essence que soudain, au fond de la nef, un homme se lèvre. Qui avait peut-être bu un verre ou deux avant l’office. Et en patois, il lui répond d’une voix assez puissante : « Crève si’t’veux, mais moi j’m’en r’vas. » Et le voilà qui quitte l’église sans demander son reste. L’assistance est stupéfaite. Lors de la messe de la Toussaint, ce sont les Béatitudes qui sont lues. Un texte qui affirme : « Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage. » Alors…