Sibelle, une balade mémorielle à Cahors, le charme des noyers et le sacre de Charles III
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
Lundi._ Jour férié ou pas, voilà que je dois néanmoins enfiler virtuellement un costume de professeur pour faire la leçon à Sibelle. Dans un premier temps, en ce 1er mai, il me faut lui expliquer la différence entre deux formulations semblant pourtant très proches : il convient ainsi de parler plutôt de « Journée internationale des Travailleurs » que de « Fête du Travail », cette dernière ayant été imaginée par le régime de Vichy (l’État français), reliant ainsi l’événement à sa devise : « Travail, Famille, Patrie ». Après la guerre du reste, ces mots devenus sulfureux, à juste titre, ne furent pas repris… Du coup, je peux enchaîner sur le second acte de ma petite leçon d’histoire. Je raconte à ma protégée féline que la veille, à Cahors, j’ai suivi avec intérêt et émotion une sorte de déambulation mémorielle conduite par Emmanuel Carrère, animateur de l’architecture et du patrimoine, qu’accompagnaient du reste d’éminents historiens. Du boulevard Gambetta à la rue Wilson en passant par le quai Champollion, nous étions plusieurs dizaines à composer ce petit mais attentif cortège. Devant chaque adresse, chaque logement, le guide a expliqué l’histoire de ces familles juives (ou considérées comme telles par l’Occupant et son allié zélé) réfugiées à Cahors durant les années noires. Qui travaillaient (pour les adultes) ou allaient à l’école ou au lycée (pour les enfants), qui faisaient tant bien que mal leurs courses, comme le reste de la population, qui s’étaient en quelque sorte fondues dans la ville. Et qu’un jour de 1943 ou 1944, les Allemands ou les policiers ou miliciens sont venus arrêter. Sans autre raison que leur appartenance à la communauté israélite. Leur vie alors bascula. Et pour la plupart, quelques jours ou quelques semaines plus tard, ce fut Drancy puis Auschwitz. Nous avons déjà évoqué, sur Medialot, la destinée de certains d’entre-eux. Cette promenade s’est achevée rue Wilson. Devant la maison natale du dénommé Louis Darquier de Pellepoix (il s’était octroyé une particule de manière parfaitement illégitime), dont le père médecin avait été maire de la ville et qui le renia à raison… Devant la maison, donc, où vécut le futur Commissaire aux Questions Juives qui planifia les rafles, de 40 à 44, une famille juive trouva refuge. Seul le fils aîné, Bertrand Selz, revint de l’enfer. Autre paradoxe : derrière la résidence était située l’imprimerie où fut tiré le premier bulletin de liaison des résistants lotois. En ce dimanche dédié aux victimes de la déportation et des camps, cette déambulation basée sur les recherches de l’historienne Christelle Bourguignat qui s’attache à retracer le parcours de toutes ces familles, nous avons pensé aussi aux Justes, à ceux qui cachèrent et sauvèrent d’autres familles. Nous avons pensé aux médecins et personnels de l’hôpital, en face de la fameuse maison, qui prirent une part active à cette résistance face à l’inhumanité la plus immonde. C’est ce que l’on appelle le devoir de mémoire. En marchant dans la ville, en empruntant les mêmes rues que ces hommes, femmes et enfants avaient pris l’habitude alors d’emprunter, quelque huit décennies plus tard, nous avons contribué à ce que leur souvenir demeure. Ils font partie de notre histoire commune, à jamais.
Mardi._ On enchaîne avec un sujet évidemment plus léger, bien que l’affaire ait provoqué un petit séisme, au-delà du seul petit monde du ballon rond. Le club du Paris Saint-Germain sanctionne lourdement Lionel Messi qui aurait séché un entraînement sans prévenir ses supérieurs et annonce qu’il ne renouvellera pas son contrat. Encore qu’il est peu probable d’ailleurs que l’intéressé en avait vraiment envie. Considéré comme l’un des meilleurs joueurs de tous les temps, Messi n’a pas plus ses jambes de 20 ans, mais il peut encore marquer des buts en forme d’OVNI et sa vista reste merveilleuse. Le PSG décide donc qu’une telle idole dont des millions de gamins à travers le monde rêvent de porter le maillot ne s’inscrit plus dans son « projet ». Lequel est plus flou et déroutant que jamais. Pendant ce temps, à Naples, là où l’on se recueille encore devant des autels à la gloire de Maradona, tout un peuple est en liesse. Le dieu Diego serait fier de ses héritiers qui sont sacrés champions d’Italie. Le football est devenu plus flou et plus fou que jamais, et c’est pourquoi, avec Sibelle, il nous fascine toujours.
Mercredi._ Les producteurs lotois de noix lancent un SOS. Ils sont victimes d’une crise profonde depuis des mois, voire davantage. D’une certaine façon, ils sont notamment en difficulté car la qualité n’est pas, n’est plus reconnue. « Il faudrait également envisager un retrait du marché des noix de qualité moyenne et une campagne d’arrachage » suggère le sénateur Requier qui a transmis les doléances des professionnels au ministre. Avec Sibelle, nous ne sommes pas spécialistes de la question. Je dois par ailleurs confesser que si j’apprécie l’huile de noix en tant que telle, mes vieilles dents ont parfois du mal avec les cerneaux eux-mêmes. Pour autant, il y aussi une raison majeure qui justifie que l’on réponde aux attentes de la filière : les noyeraies participent pleinement de nos paysages. D’une manière générale, n’oublions pas que les agriculteurs, éleveurs et producteurs sont les premiers gardiens de nos espaces ruraux, et donc, effectivement, de nos paysages. Or, comme le disait Maurice Faure : « Nous sommes pauvres, mais nous sommes beaux ».
Jeudi._ Le musée Henri-Martin fête ce dimanche son premier anniversaire. On a recensé 28 000 visiteurs depuis sa réouverture. Soit une moyenne d’une bonne centaine par jour (il est fermé les lundi et mardi). C’est à la fois peu et beaucoup. A l’échelle de Cahors, on peut néanmoins parler de succès. Ma tigresse qui a l’art de casser l’ambiance ressort cette phrase de l’immense poète Aimé Césaire : « Jamais dans la balance de la connaissance, le poids de tous les musées du monde ne pèsera autant qu’une étincelle de sympathie humaine… » Alors je formule ce vœu… Mieux, je fais le pari qu’il est déjà tangible qu’au sein du musée de Cahors, il est des tableaux et des œuvres, il est des explications de guides, il est des sourires ou des regards admiratifs qui permettent de concilier les deux. Qui font que ce musée génère des étincelles de sympathie humaine…
Vendredi._ A Londres, la fièvre est à son paroxysme. Le roi Charles III est couronné dans quelques heures. Certains de ses sujets, mais aussi des touristes, campent depuis des jours déjà sur certains carrefours pour être au premier rang à l’heure H afin de voir au plus près Sa Majesté à bord de son carrosse. Sans surprise, Sibelle n’a pas été invitée. Elle regardera sans doute tout cela à la télé. Un peu comme un film en costumes. Une forme de spectacle décalé, suranné, aussi exotique pour nous, Français, que certaines cérémonies de peuplades lointaines dont les rituels et objets du culte ont désormais rejoint les collections du Musée des Arts Premiers. Les Anglais sont cependant étonnamment modernes. Ils sont capables d’applaudir leur roi dans la journée et d’écouter en fin de soirée, après quelques bières, un bon vieux disque des Sex Pistols. « Ils roulent à gauche, mangent des plats invraisemblables mais ils ont inventé le football et le rugby » conclut Sibelle, dubitative. Ils ont un roi, mais j’ai une princesse insolente mais attachante. Chacun ses trésors.