Sibelle, notre monde de sang et de terreur, les mots d’Aragon et le projet de golf à Albas

Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.

Lundi._ Comment reprendre le cours des choses « normalement » après un tel week-end ? Les images et les témoignages diffusés sur toutes les télés nous glacent encore le sang. Des terroristes ont pénétré en territoire israélien pour y massacrer des centaines de civils – hommes, femmes et enfants-. Et on apprend aussi que des commandos ont procédé à des enlèvements. Aucune cause ne justifie ces crimes perpétrés avec une détermination sauvage. Et d’ailleurs, ce sont encore des civils qui, à Gaza cette fois, vont être au premier rang des victimes des représailles décidées par le gouvernement israélien. Je suis de cette génération qui a vécu, quelques années après la chute du Mur de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique, l’immense espoir soulevé par les accords d’Oslo. Une paix semblait enfin possible. Deux états semblaient pouvoir enfin cohabiter. Et puis voilà où nous en sommes. La paix, c’est un mot, c’est une idée, c’est une réalité que ne peuvent tolérer les extrémistes, religieux ou pas. Ceux qui se nourrissent de la haine, du sang. « L’humanité est si décevante » soupire Sibelle. Je ne lui donne pas tort. Et c’est aussi le cas en France. Où le débat a consisté une partie de la semaine à décortiquer les réactions des uns et des autres. A jouer sur les mots. Alors je me réfugie dans ceux d’Aragon que chantait Léo Ferré le Lotois d’adoption. « Il est d’autres soldats en ville / Et la nuit montent les civils / Remets du rimmel à tes cils / Lola qui t’en iras bientôt / Encore un verre de liqueur / Ce fut en avril à cinq heures / Au petit jour que dans ton cœur / Un dragon plongea son couteau / Est-ce ainsi que les hommes vivent / Et leurs baisers au loin les suivent. »

Mardi._ Apparu à Cahors en décembre 2022, le collectif féministe des Racolleuses s’est à nouveau manifesté. Cette fois, ce sont des rues (ou places) qui ont été rebaptisées. Il s’agissait de mettre à l’honneur des femmes lotoises (comme la résistante Camille Chapou ou l’ancienne sénatrice Angèle Préville) ou d’ailleurs (comme Elizabeth Magie qui inventa le Monopoly ou la sportive Lena Jordan, première athlète à avoir réussi le triple saut périlleux). « Encore aujourd’hui, même si on tend à réhabiliter le travail de nombreuses femmes, il est difficile d’accéder à ces informations. Sur Wikipédia, dont 90% des contributeurs sont des hommes, seulement 20% des biographies sont celles de femmes. Fait marquant : la page qui liste les actrices pornos est plus complète que celle qui liste les autrices… » s’insurge dans le quotidien local une représentante du collectif. Sibelle est évidemment d’accord. Sur ce sujet, une commune de France fait exception. A La Ville-aux-Dames (Indre-et-Loire), où l’on recense près de 5600 habitant(e)s, quasiment toutes les rues ou places portent des noms de femmes (il existe une place du 8-Mai et une autre du 11- Novembre). Une décision prise en 1974 par les édiles. La localité qui tient son nom d’un monastère féminin dont elle était un fief au Moyen Age fera peut-être école un jour dans notre commune. « Tu crois ? Ca fait drôle d’y penser… Mais une rue Sibelle sur les hauteurs du vieux bourg, ça aurait de la gueule ! » rêve tout haut ma protégée.

Mercredi._ Douche froide ce matin. Et c’est à prendre au sens propre, si j’ose dire. Le gaz é été coupé et ne sera remis en service qu’avant midi. Des travaux sur le réseau sont en cause après une fuite détectée l’autre soir dans un village voisin. Alors que l’été indien joue les prolongations, cette douche froide n’est qu’une anecdote. Plus de deux milliards de personnes sur terre n’ont pas accès à l’eau potable, selon l’ONU. Sans compter ceux dont les installations sont très précaires. Plus de deux milliards.

Jeudi._ A Albas, une pétition est cette fois lancée contre le projet de complexe œno-touristique incluant un golf éco-responsable. Je constate (à l’heure où j’écris ces lignes) que 130 signatures sont réunies. Je ne connais pas les détails du dossier même si je lis, avec ma tigresse domestique, les arguments des uns et des autres. Sibelle remarque cependant qu’il n’y a pas que les habitants d’Albas qui sont concernés : « D’ailleurs, le projet est lié au nouveau Plan Local d’Urbanisme Intercommunal. Mais d’une façon générale, quand on évoque le devenir de plusieurs dizaines d’hectares lovés dans une boucle du Lot, nous sommes tous intéressés… » Affaire à suivre, donc. J’ai déjà dit ici le bijou qu’était le jardin toscan aménagé il y a quelques années, comme un balcon sur la rivière. Il symbolise le charme particulier du village d’Albas et de ses alentours. Comme sur d’autres sujets sensibles, je n’ai pas d’opinion définitive. Sibelle non plus. Pour l’heure, notre seul vœu est que la commune conserve son surnom : « Albas la jolie ». Après, peut-être que la meilleure option est de passer par une votation. Non ?

Vendredi._ Jouera ? Jouera pas ? La France du rugby – la France tout court – aura scruté ces derniers jours chaque geste, chaque mimique, chaque mot ou chaque silence d’Antoine Dupont comme de son sélectionneur lotois. La blessure puis l’opération et enfin le retour (mais à quel moment?) du maestro du XV tricolore auront indéniablement ajouté à la dramaturgie de cette coupe du monde. Mais l’important, encore et toujours, restera la puissance collective. La force du partage et de la solidarité. « Le rugby est aux antipodes du one-man- show. C’est un art subtil de la réussite dans l’abnégation et dans l’amitié, où l’homme, réputé inachevé par essence, se complète enfin à travers les autres » a joliment et justement écrit un autre Antoine célèbre, qui n’appréciait pas que les troisièmes mi-temps. Un certain Blondin.