Sibelle, les roses de notre jardin et les vertus du conclave
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
Je ne peux décemment vous mentir. Question d’honnêteté la plus élémentaire, question de déontologie (et je n’écris pas ce mot à la légère). En temps ordinaire, je rédige cette chronique le vendredi. Mais cette fois, c’est tout simplement impossible. Un rassemblement familial m’oblige à gagner la Bretagne à l’occasion du « pont du 8 mai ». Pas question cependant pour ma chère Sibelle et pour son maître de vous laisser orphelins, comme ça, sans prévenir. Alors voilà : quand bien même ces lignes sont tapotées à un rythme quelque peu chaotique le mercredi 7 mai en fin de matinée, voilà de quoi rassasier votre appétit en terme de philosophie féline.
Le PSG n’a pas encore joué sa demi-finale de Ligue des Champions, les cérémonies commémoratives du 8 mai 1945 n’ont pas encore débuté, les cardinaux ne sont point encore réunis en conclave : tant pis. On va faire sans.
On va faire autrement. Sans jouer les Madame Irma (encore que j’imagine bien ma petite tigresse domestique devant une boule de cristal…), disons d’avance ce que nous inspirent ou non ces événements, et il n’aurait pas été compliqué d’en citer d’autres, tant l’actualité lotoise, nationale et internationale est riche. Trop riche, même. Et si inquiétante, aussi.
Mais je débute cependant par un clin d’œil personnel. Un hommage à mes rosiers. Il y en a trois, dans l’humble jardinet de notre maison, sur les hauteurs du vieux village qui domine la vallée. Deux sont déjà fleuris, généreusement, impudemment, comme si, en ce début de mois de mai, en l’espace de deux à trois jours, ils avaient voulu épater la galerie, prendre de vitesse le calendrier et la météo erratique. Ce sont ceux qui sont plantés sur le muret longeant le bolet. Ils s’appellent Pierre-de-Ronsard et Laetitia-Casta. Le troisième, à quelques mètres de là, paraît avoir musardé en chemin. On n’y distingue pour le moment que de timides boutons. Il se nomme Léo-Ferré. Tant pis pour lui. Il se rattrapera le moment venu. Sibelle qui ne manifeste guère d’intérêt en temps normal pour les plates-bandes qu’au moment d’y faire la sieste sur un matelas de paillage (ou pour y faire ses besoins) est elle-même admirative. Elle fixe un moment le muret en partie caché par les roses. « Pour un citadin, j’admets que tu as la main verte. Quand tu les as plantés, je n’aurais pas misé un euro sur l’avenir de ces deux rosiers. Et puis voilà. Ils sont splendides. Main verte ou main heureuse, peu importe. Le résultat est là. On dirait un tableau de Monet. » J’accepte le compliment. Et à vous, à vous seulement, je livre mon secret. Je n’ai aucun mérite. Au moment de la plantation, au fond du petit trou, avant le terreau, j’ai déposé une peau de banane. Ma grand-mère faisait pareil et m’a transmis sa recette. Une histoire de richesse en calcium. Je ne suis pas un expert, je n’ai aucun diplôme en agronomie. Mais je suis bon élève.
Cette parenthèse refermée, un autre labeur m’attend. D’une autre ampleur. Me voilà obligé d’expliquer à ma protégée ce qu’est un conclave, comment s’organise la réunion à huis clos des cardinaux, et comment, au final, par d’ingénieux procédés, via la couleur d’une fumée, on fait savoir à la ville et au monde qu’un nouveau pape a été élu. « Ils sont vraiment enfermés à clef jour et nuit jusqu’à ce que l’un des leurs obtienne une majorité de suffrages ? Ils sont vraiment enfermés sans téléphone portable ? Sans télé ? Sans ordinateur ? Ils sont vraiment enfermés sans que nul ne soit autorisé à les déranger ? Même si cela doit durer deux ans, neuf mois et deux jours comme ce fut le cas entre décembre 1268 et septembre 1271 pour enfin désigner Grégoire X ? » m’interroge, interloquée, cette chère Sibelle. Je réponds par l’affirmative, tout en relativisant : « Depuis le XIXème siècle, néanmoins, aucun conclave n’a duré plus de cinq jours. » Ma protégée pousse un long soupir puis finit par glisser : « Même trois jours. Quel bonheur ! Trois jours sans sonnerie de portable, sans générique, sans publicité, sans bulletin météo, sans petites phrases politiciennes ou sans flash annonçant je ne sais quelle catastrophe. Trois jours, c’est une petite éternité… » Au final, plaisanterie mise à part, il est donc très probable qu’un nouveau pape a été élu au moment où vous lisez cette chronique.
Mais Sibelle est déjà passée à autre chose. Je la vois qui est plongée dans son agenda. « Quelques jours en Bretagne, d’accord, mais rassure-moi, on sera de retour le 18 mai ? On pourra assister au show de Gwendoline ? » Je la regarde, un peu surpris. « Primo, évidemment, nous seront là le 18, nous ne partons que quelques jours. Secundo, pardonne-moi, mais je ne connais aucune Gwendoline. » Alors ma belle se saisit de son portable (elle a le droit, elle n’est pas admise au conclave). Et elle me le tend. « Après le succès de l’année dernière, l’APE de Saint-Sozy remet le couvert sur le site du Cass’Dale. Gwendoline, la vache star est de retour pour une partie de Loto Bouse, le dimanche 18 mai à Mayrac. Le principe est simple : une vache broute paisiblement dans un pré quadrillé. Les joueurs parient sur une case du quadrillage géant. Si la vache décide d’y poser sa bouse c’est gagné. Les parieurs devront s’armer de patience et laisser la vache se soulager quand elle le souhaitera. » Je comprends mieux. Nous ferons un saut ce jour-là à Mayrac. Et nous déclinerons d’une nouvelle manière la formule chère à Maurice Faure : « Nous sommes pauvres, mais nous sommes beaux… et nous avons le sens de l’humour, dans le Lot ».
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