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Sibelle, les raveurs, la rêveuse de Terre Rouge et les poules de Prayssac 


Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats. 

On ne s’ennuie pas sur les causses ces temps-ci. A peine les derniers vacanciers de l’été repartis, à peine les toutes premières couleurs de l’automne commençaient-elles à enrichir davantage nos paysages familiers que les événements et les informations se sont succédé à la vitesse Grand V. Retenons dans l’ordre – ou quasi – l’annonce d’une étape contre-la-montre du Tour de France 2022 entre Lacapelle-Marival et Rocamadour, puis la levée de boucliers qui suivit le projet d’implantation de One Nation à Sénaillac-Lauzès (in fine avorté), une seconde mobilisation au secours du rocamadour jugé trop riche (comprenez trop gras) par les experts du Nutri-Score, puis, le week-end passé, un rave-party qui a rassemblé plus de mille « teufeurs » sur le terrain du Viroulou.

« C’est quoi une rave ? » me demande Sibelle. Je tente d’expliquer : « Un rassemblement (si possible impromptu ou en tout cas prenant de court les autorités, ça accentue les sensations) de danseurs pas forcément très exigeants sur le confort, dans un endroit à l’écart du monde (ou presque), sur fond de musiques électro… » « Et alors ? » relance ma tigresse domestique, par ailleurs aussi sensible à la musique et aux modes que je le suis à la physique quantique. « Eh bien disons que même dans la campagne lotoise, plus de mille teufeurs, ça fait quand même beaucoup, et par ailleurs, il se dit que l’espace d’un long week-end, on n’y fume pas que du tabac et on n’y résiste pas à la fatigue uniquement grâce à des barres chocolatées. Cela étant, je n’ai jamais mis les pieds dans une rave. Je ne colporte assez lâchement d’ailleurs que la rumeur. »

Mais je n’avais pas fini mon énumération. Il manquait encore un peu d’agitation. Nos amis des causses risquaient de s’ennuyer à l’approche de l’hiver. Et ceux de la vallée du Lot aussi. On apprend donc que notre département a été choisi comme terrain d’exercice pour une dizaine de jours de manœuvres dans le courant du mois (du 7 au 19 et plus intensément du 12 au 18). Deux milliers de soldats français et britanniques seront du rendez-vous. Vous pourrez éteindre les télés ! Le spectacle sera dehors. J’en profite pour glisser une anecdote. Puisque j’ai déjà passé le cap du demi- siècle depuis quelques années, je suis de ceux qui ont fait leur service. Je n’ai pas été le plus malheureux, affecté dans un service de santé comme brancardier. Voilà qu’un matin on apprend que nous avons l’honneur de participer à de grandes manœuvres dans la région de Belfort dont le ministre de la Défense de l’époque est originaire… Ça va durer une semaine. Et le grand homme nous rendra visite. Alors on a gagné la Franche-Comté, alors on a monté notre campement. Le Jour J arrive. Nos officiers sont nerveux. La manœuvre a lieu à plusieurs centaines de mètres de nos tentes. Il faudra prendre en charge de faux blessés et les conduire sur une plateforme où des hélicos viendront les évacuer. On est tous prêts. Le petit doigt sur la couture du pantalon. L’heure approche. Soudain l’adjudant m’appelle. « Mellet. Faut quelqu’un pour garder le campement. » Fin de la blague. Pas vu le ministre. Seulement entendu la ronde des hélicos. A leur retour, mes camarades racontent. « Et tu as fais quoi pendant ce temps-là ? » me demanda l’un d’eux. « J’ai relu L’Equipe de lundi pour la dixième fois. » C’est le seul canard que j’avais pu emporter. On était déjà jeudi. Je connaissais par cœur le compte-rendu de Marseille-Monaco.

Bref. Je constate que Sibelle n’a pas été bouleversée par ce souvenir. Elle s’est postée à la fenêtre. Elle rêvasse. Comme si la brume qui baigne la campagne la plongeait aussi dans une sorte de vertige. Mais je me trompe, évidemment. « C’est pas à nous que ça arriverait, hein. Un million d’euros. En grattant un ticket au bar-tabac… » Non, de fait, ce n’est pas moi qui ai eu de la chance il y a quelques semaines à Terre Rouge. Mais un habitué, a expliqué le buraliste, qui, depuis, n’a pas remis les pieds dans le commerce où sa vie a basculé. Ou pas. « Et toi, tu ferais quoi avec une somme pareille ? » m’interpelle ma protégée. « Sais pas… Et toi ? » Réponse de Sibelle : « Je commencerais par aller acheter des poules à Prayssac, pour la bonne cause… » De fait, là-bas, de bonnes volontés s’activent, en liaison avec une association, à sauver d’une mort certaine des poules pondeuses réformées. Elles peuvent ainsi refaire leur vie, si j’ose dire, mangeant nos épluchures et picorant nos restes. Ce choix m’étonne. Les chats sont toujours embarrassés avec les poules. Trop grosses pour les chasser, trop dangereuses avec leur bec et leurs pattes couvertes d’écailles qui s’achèvent en griffes. « Je ne sais pas ce que j’en ferais. Mais leurs allées et venues nous distrairaient… » Pas sûr. Alors que nos petits écoliers lotois vont retrouver l’école lundi avec le masque sur le visage, que nous devons observer plus que jamais les gestes barrières, les poules de Prayssac et d’ailleurs ne suffiraient sans doute pas à me doper le moral. Et je vous dis pas, s’il leur venait en plus l’idée d’organiser une rave en pleine nuit dans le village ! 

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