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Sibelle, le voleur sorti du bain, le pays déchiré par la violence, et la casserolade manquée de Saint-Cirq 


Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats. 

Lundi._ Un homme est condamné au tribunal de Cahors. La police l’avait interpellé deux jours plus tôt, encore tout mouillé, à proximité d’un domicile dans lequel il avait pénétré par effraction. Il s’était cuisiné des nouilles, avait pris un bain puis s’en était allé avec quelques effets volés sur place. Je sermonne Sibelle que je soupçonne de considérer ces faits avec une sorte de complaisance. Elle venait en effet de tirer une leçon bien à elle de ce fait divers : « On ne dira jamais assez l’importance de bien se sécher quand on sort de la baignoire… » De fait, un peu plus tard dans la journée, elle rentre de sa promenade quotidienne ses poils blancs couverts d’une poussière crasseuse du pire effet. Je la menace d’une douche forcée. Mais je finis par préférer une autre leçon : « On ne dira jamais assez l’importance de se nettoyer quand on va traîner ses guêtres dans les greniers du vieux village… » 

Mardi._ Les élus du Parc naturel régional expriment leur solidarité envers les éleveurs ovins. Ils rappellent que le pastoralisme est d’une importance primordiale « pour la préservation de la biodiversité, des paysages et de l’économie locale ». Or, on le sait, bien des éleveurs ont décidé ces temps derniers de garder leurs troupeaux dans des bâtiments pour les protéger du loup. Les élus du PNR se disent prêts dans ces conditions à « mobiliser les moyens humains et financiers pour mettre en œuvre un programme d’action ». C’est une équation à plusieurs inconnues. Comment permettre la cohabitation sur un territoire d’un prédateur et de ses victimes potentielles ? La même question se pose dans d’autres régions avec les ours ou les lynx. Je ne suis pas spécialiste. Je n’ai pas de solution. Et je suis le premier, à mon humble niveau, à constater que la nature première de certaines créatures est de nous forcer à nous interroger sur notre faculté à agir sur cette même nature pour la protéger d’elle- même. Ainsi les chats : trop nombreux (à cause des hommes), ils seraient à l’origine d’une hécatombe parmi certaines espèces, notamment les oiseaux. Je regarde ma protégée féline. Elle détourne la tête. Nous faisons la même chose. Tout le monde ne s’appelle pas Jean de La Fontaine, qui avait admis il y a déjà des siècles que « La raison du plus fort est toujours la meilleure ». 

Mercredi._ Les hommes n’ont pas besoin des loups pour s’infliger des violences cruelles. L’actualité nous conduit d’abord à Saint-Brévin, où un maire abandonné par l’État a fini par jeter l’éponge face aux menaces et exactions dont il fut victime. Il avait eu le malheur de relever le défi d’accepter qu’un centre d’accueil de migrants soit installé sur sa commune. Elle nous conduit ensuite à Amiens, où des exaltés ont agressé un neveu du chef de l’État. Les faits ne sont pas de même nature, n’ont pas forcément les mêmes causes, et les responsabilités sont multiples. Laissons de côté les réactions politiques, hélas trop souvent affligeantes. Reste ce constat : notre pays est secoué par des spasmes qui sentent mauvais. Ma protégée féline est également inquiète. Elle en appelle aux valeurs premières de la République, de la démocratie, des Lumières. Pas sûr que cela suffise. Pas sûr que les digues tiennent face à tant de dingueries. Sur ce, je tombe sur cette stupéfiante citation du plus célèbre des Cadurciens, Léon Gambetta : « Pour gouverner les Français, il faut des paroles violentes et des actes modérés ». Cela fait plusieurs heures que ces mots tournent en boucle dans ma tête. Comment les comprendre, les traduire en 2023 ? Quelle leçon en tirer dans la France d’aujourd’hui ? Si vous avez une clé, dites le moi. Pour l’heure, j’avance seulement une hypothèse : tant que nos élus présenteront comme modérés des actes ressentis comme violents, les paroles seront insignifiantes, au mieux, ou encore plus violentes. Non ? 

Jeudi._ Le Jour J approche. Ce samedi ouvre ses portes au public, après un long chantier, la MAB à Saint-Cirq-Lapopie. MAB : comprenez Maison André Breton, qui accueille désormais un Centre international du Surréalisme et de la Citoyenneté Mondiale. L’ancienne auberge des Mariniers dont le poète fit sa résidence d’été après la guerre est à présent restaurée et reliée à la Maison Rignault. Nous avons hâte, avec Sibelle, de découvrir ce nouveau site emblématique du Lot. Une chose est sûre : pour respecter la mémoire de Breton lui-même, comme sa fille Aube me le confia il y a quelques années, il ne fallait surtout pas en faire un musée, un lieu de mémoire. De son côté, le très actif maire du village, Gérard Miquel précise qu’une inauguration officielle « aura lieu un peu plus tard dans l’été avec un invité de marque ». Et on sait que l’ancien sénateur a le bras long. Mais c’est presque dommage : une « déambulation avec casserolade » pour accueillir une haute personnalité, dans les rues du village médiéval, voilà qui aurait été digne de l’esprit des surréalistes, en tout cas, à leurs débuts. Sur ce, quand on sait que des centaines de milliers de touristes fréquentent Saint-Cirq chaque été, avec Sibelle, on espère simplement que les lieux seront accessibles à un large public. L’adjectif « surréaliste » est employé si souvent de manière dévoyée. Alors qu’il est simplement synonyme, mais c’est beaucoup, c’est essentiel, de cette formule de Rimbaud, reconnu comme l’un des précurseurs du mouvement : « Je m’entête affreusement à adorer la liberté libre ». Expliquer aux visiteurs qu’encore choqués par la première guerre, des jeunes gens, Breton en tête, décidèrent de cracher à la face de la société des lettres et de la société tout court pour donner naissance à des expressions poétiques et artistiques débarrassées des conventions, c’est en soi, déjà, un sacré défi. Dès lors, pour eux, une devise s’imposa : « Plus de morale, plus d’esthétique, rien que la beauté convulsive de l’inconscient et de la révolution. » Chiche ? 

Vendredi._ Un autre musée est annoncé à Cahors même. A l’horizon 2025, sera installé au sein du Grand Palais un « musée de la Résistance, de la déportation et de la libération ». Une partie du fonds proviendra de l’ex-musée que dirigeaient d’anciens résistants. Le premier adjoint de Cahors Jean-Luc Marx explique : « On doit avoir conscience que l’Europe est en guerre et qu’on doit tirer les leçons de l’Histoire. » L’historienne Geneviève Dreyfus-Armand préside le comité scientifique qui réfléchit à ce que sera le nouveau musée. On peut lui faire confiance. Il y a quelques années, rendant hommage à Joseph Hüe, qui dirigea la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC), elle écrivait : « Sous la forte impulsion de Joseph Hüe, la BDIC est redevenue un vecteur de diffusion des connaissances historiques auprès d’un public plus large que celui des seuls spécialistes. Le confidentiel Musée des Deux Guerres mondiales est devenu un Musée d’Histoire contemporaine reconnu et apprécié, fréquenté par un public nombreux, composé notamment de classes de collèges et de lycées. » C’est tout le mal qu’on souhaite au prochain musée de Cahors… 

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