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Sibelle, le rituel du barbecue et le bras long de Jean-Pierre Alaux 


Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats. 

C’est une petite phrase qui a fait l’effet d’une bombe dans le microcosme politico-médiatique, ce sont quelques mots vite devenus un formidable buzz sur les réseaux sociaux, les chaînes d’info, et qui auront alimenté les conversations dans les dîners, les salles des profs (rentrée oblige) et les cafés, qu’ils soient du commerce ou pas. Car au fond, en dehors de la guerre en Ukraine, des craintes de pénurie d’électricité cet hiver, de la valse des étiquettes en période d’inflation, des effets toujours plus patents du changement climatique, l’actualité est assez pauvre, non ? Ces propos sont ceux de la députée écolo Sandrine Rousseau : « Il faut changer aussi de mentalité pour que manger une entrecôte cuite sur un barbecue ne soit plus un symbole de virilité… » 

Chez nous, sur les hauteurs du vieux village, j’avais déjà entendu ce genre de jugement sur le rituel du barbecue dominical quand les beaux jours sont de retour. A la maison, Sandrine Rousseau s’appelle Sibelle. Ma protégée féline aime verser dans la provocation tout en visant là où ça fait mal. Car au fond, il y a deux choses dans ce qu’a dit la parlementaire. Deux problématiques distinctes. Celle de la consommation de viande selon le genre (selon le sexe si vous préférez) et celle du barbecue en tant que tel. Il y a des études sur le premier sujet. Je vous y renvoie volontiers. En résumé, selon une étude de la très sérieuse ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail) citée par Le Parisien, « l’homme médian mange chaque jour, 43 g de viande hors volaille contre 27 g pour la femme médiane. Pour la charcuterie, même répartition : 23,2 g contre 12,9 g ».

Pour ce qui est du second volet, là, je fais appel à nos observations personnelles. Qui convergent : dans les familles, c’est majoritairement « monsieur » qui est en charge des opérations au moment de préparer puis de surveiller le barbecue. Prenons un exemple : moi. Durant des années, ce qui aurait dû se révéler un plaisir m’était une épreuve sans fin. Allumer le feu (comme disait Johnny) et parvenir à ce que le charbon se mue en braises incandescentes tenait de l’expédition ou de Koh-Lanta. Plus d’une fois, la cuisson s’est achevée dans la poêle ou au four. J’avais tout tenté, les boules de papier journal froissé, les cagettes en morceaux, les cubes blancs censés régler l’affaire en cinq minutes, les gels à base d’alcool. Mais invariablement, après quelques flammes effrayantes, ça faisait pschitt. Alors, une heure plus tard, exténué, les mains noires (et le tee-shirt avec), le visage sombre, d’une humeur massacrante, fourbu et rompu, je rendais les armes. Je revenais m’asseoir à table dans un lourd silence. Mes enfants me regardaient avec pitié. Puis, à l’adolescence, avec un brin de condescendance moqueuse. Papa devait être le seul du lotissement à ne pas savoir allumer un barbecue. Plus rarement, c’était tout l’inverse. Un miracle s’était opéré, et il fallait passer à table à midi pile. Je pensais le sort conjuré. A tort. Alors une nouvelle ère fut franchie. Au tournant des années 2000, j’optai pour le barbecue à gaz. On allait voir ce qu’on allait voir. Les prédécesseurs de Sibelle ont vu. Ils ont ri (sous cape). Certes, les ratés étaient plus rares. Mais cuisiner au-dessus d’une bouteille de gaz me semblait aussi périlleux que de conduire une camion-citerne rempli de nitroglycérine. J’avais la pétoche. Et quand une merguez venait à suer et provoquait soudain quelques flammes, quasi si je ne bondissais pas avec un extincteur pour tout asperger… Bref, on mangeait mieux les jours de barbecue, mais c’était encore une corvée. Je me suis replié in fine sur un modeste barbecue électrique. Et c’est parfait. Le pittoresque a cédé la place à la sécurité et à la sérénité.

« Bon, c’est bien beau ces jérémiades, mais cela n’explique en rien la question de départ. Pourquoi tout cela demeure une affaire masculine ? » insiste ma tigresse. Certes. Réminiscence des temps préhistoriques (encore que rien ne prouve que dans nos grottes lotoises, seuls les mâles s’occupaient du feu) ? Héritage séculaire d’une pensée nourrie de misogynie et/ou de préjugés qui voudrait que certaines tâches, nécessitant un certain savoir-faire ou présentant quelque risque (vérifier le niveau d’huile dans le moteur, changer une ampoule, enfoncer un tire- bouchon par exemple), soient réservées à « monsieur » plutôt qu’à « madame » ? Un peu de tout cela sans doute. « Je n’ai pas à me justifier de quoi que ce soit. Les jours ordinaires aussi, je cuisine volontiers » dis-je à Sibelle. « Alors tu me laisses la main ce week-end ? » répond cette insolente. « Pas question. Ce n’est pas une question de genre, ce n’est pas que je doute de tes capacités, c’est parce que je devine ton dessein. Quand on achète six merguez et six chipolatas, ce n’est pas pour passer le repas ensuite à jouer au Cluedo afin de savoir qui s’est enfui(e) avec une saucisse ? » 

On conclut ce rendez-vous par une bonne nouvelle. Jean-Pierre Alaux a gagné au loto. Celui du patrimoine. A Albas, dont il est désormais le maire, il avait réussi un coup de maître avec le jardin toscan en forme de balcon sur le Lot. Cette fois, en tant que dirigeant de l’Association pour la réhabilitation des jardins extraordinaires d’Henri Martin, son bras long a été utile pour convaincre Stéphane Bern (auprès de qui il a plaidé en personne pour la bonne cause), et ses collaborateurs, pour que le projet de Labastide-du-Vert soit retenu et donc en partie financé par les tickets à gratter. A terme, il y aura ainsi deux musées Henri-Martin dans le Lot. Celui de Cahors, et celui des hauteurs du village de Labastide, où le peintre avait fait de son jardin une sortie de Giverny en Quercy. « Non mais allo, quoi… Allo, monsieur Alaux, et pour nos rosiers que la sécheresse a grillés, dans notre jardinet, on fait quoi ? » voudrait maintenant essayer Sibelle. Je l’en dissuade. Quand on possède un ambassadeur doublé d’un ministre de la Culture aussi efficace, on lui épargne de perdre son temps avec des félins taquins. 

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