Sibelle, le miracle de Cahors Sud, le doux bruit des casseroles et la mort annoncée de Tupperware
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
Lundi._ Le printemps est à peine entamé que les premiers signes de l’été à venir se manifestent. Il y a quelques jours, un autocar de grand standing s’est arrêté près du Pont Valentré et plusieurs dizaines de touristes en sont descendus puis ont découvert notre beau monument médiéval. Les appareils de photo étaient de sortie, les sourires aussi. Puis, dans notre village cette fois, à l’orée de la vallée, c’est un voisin que l’on a aperçu découvrir la bâche de sa piscine, s’enquérir de la température de l’eau avant de refermer la couverture d’un air satisfait. Mais tout n’est pas rose (ou vert, ou bleu). L’été est également synonyme de dangers. De lourdes menaces. Avec ma protégée féline, nous avons noté que cette semaine, un « atelier de sensibilisation » avait été organisé sur le parvis de la médiathèque du Grand Cahors pour prévenir le très probable retour du moustique tigre. Il a été rappelé que l’intéressé raffole des eaux stagnantes. Il aime s’y reproduire. Il convient donc de vider les coupelles des plantes en pot, de nettoyer les gouttières, de recouvrir les réservoirs de récupération d’eau par une moustiquaire ou des tissus… Liste non exhaustive. Sibelle est pensive. Et pour cause. Elle aussi raffole de l’eau croupie, des flaques qui s’étiolent doucement, des coupelles à l’eau saumâtre. « Mais c’est pour boire, pas pour la bagatelle » précise-t-elle. De fait. N’évoquez pas le sujet en sa présence, par pudeur, mais ma chère tigresse domestique, pour sa part, a été opérée. Ce qui ne l’empêche pas de piquer (verbalement), de griffer, ou, à l’occasion, de sourire tendrement quand un enfant passe devant la maison en chantonnant. Du moment qu’il ne s’approche pas trop près pour essayer de tirer sur les moustaches de la belle…
Mardi._ C’est un excellente nouvelle. Un grand centre d’ophtalmologie ouvrira en 2024 sur la zone de Cahors Sud. Un douzaine de médecins spécialisés y assureront le suivi de dizaines de milliers de patients. Quand on approche la soixantaine, quand on remarque au fil des jours que le journal est bizarrement composé en caractères toujours plus petits, que les étiquettes sur les vêtements ou les boîtes deviennent toujours plus compliquées à déchiffrer, quand l’écran du smartphone paraît flou, soudain, au détour d’une vidéo, alors oui, on accueille cette information comme un soulagement. Passons sur les commentaires moqueurs de Sibelle, qui a conservé pour sa part une vision très acérée, y compris la nuit. Mais en ce qui me concerne, comme tous les humains de mon âge, je saisis évidemment tout l’intérêt de cette implantation. Quant à mes enfants, ils m’ont déjà prévenu. Le moment venu, pas question pour autant de choisir des nouvelles lunettes au design décalé, aux couleurs exubérantes ou fabriquées dans des matériaux dernier cri. « Il nous faisait rire, mais on ne veut pas de nouveau Jean-Pierre Coffe à la maison. Ou de montures comme celle qu’arbore Fabien Galthié. Tu n’es ni une vedette de la télé ni entraîneur du XV de France… » Je ne dis rien. Moi, après tout, du moment que je retrouve quelque confort au moment d’ouvrir un vieux dictionnaire ou un volume de la Pléiade…
Mercredi._ Petite révolution mais révolution quand même. La commune de Quissac, près d’Espédaillac, a entamé très officiellement des démarches pour changer de nom. Consultés, les habitants ont choisi une nouvelle appellation : ce sera Quissac-en-Quercy. Une autre option, « Quissac-du-Causse », a été repoussée. Sibelle est presque déçue. « Pas très original. Tout ça pour ça ? » Je lui explique alors les fondements de l’opération. Il existe un autre Quissac en France, situé dans le Gard. Et les élus comme les habitants en avaient plus qu’assez des confusions. Qu’il s’agisse de problèmes liés aux courriers et colis ou même, ce qui semble incroyable, d’erreurs administratives qui valurent dans le passé à Quissac (Gard) de percevoir une subvention destinée originellement à Quissac (Lot). Bref, il fallait donc mettre un terme à ce cauchemar quasi quotidien. A priori, l’État devrait donner son accord. Restera ensuite à modifier les panneaux, les tampons, et d’une façon générale, à prendre de nouvelles habitudes. Il conviendra également de ne pas oublier de prévenir les grands manitous qui configurent les GPS. « Ah oui, effectivement. Parce que pour l’heure, de Cahors à Quissac (Lot), il n’y a qu’une cinquantaine de kilomètres… Mais de Cahors à Quissac (Gard), il y en a plus de 300 ! » remarque ma belle. Laquelle n’aurait sans doute pas détesté, si elle avait été de noble lignée, qu’on l’appelât « Sibelle du Quercy ».
Jeudi._ Nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites. A Cahors, le rendez-vous s’est déroulé devant la gare. Mais dans le même temps, le président Macron était en visite dans l’Hérault. Il y a visité un collège puis animé un débat qui a finalement eu lieu dans la cour parce que des agents grévistes avaient coupé l’électricité dans l’établissement. Mais le fait de la journée est ailleurs. Les manifestants désireux de dire leur courroux au chef de l’État n’ont pas été autorisés à se munir de casseroles ou autres ustensiles ménagers pour faire du bruit. Excès de zèle des forces de l’ordre et/ou de leurs supérieurs ? Comme d’autres, Sibelle hésite entre sourire et consternation et n’évite pas de railler nos plus hautes autorités quand on sait le nombre de casseroles que traînent certains élus et même des ministres… Bref. « J’ai trop d’estime pour André Breton et ses amis en général pour utiliser l’adjectif « surréaliste » afin de qualifier cet énième épisode du drôle de drame politico- social dans lequel notre pays est plongé maintenant depuis plus de trois mois mais quand même, je crois qu’on a touché le fond » glisse ma protégée. Qui ne sait quoi penser de cette dépêche finalement tombée le lendemain matin : « On n’interdit pas les ustensiles de cuisine dans les manifestations » a déclaré sans rire le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Reste à comprendre ce qui était visé dans l’arrêté du préfet prohibant les « dispositifs sonores portatifs ».
Vendredi._ Tupperware est au bord de la faillite. La marque cumule 700 millions de dollars de dettes. La faute à la concurrence, au prix des matières premières, et, explique doctement un expert sur Europe 1, à « la conscience environnementale des nouveaux consommateurs qui préfèrent se tourner vers des contenants en verre ». J’ai une tendre pensée pour maman qui fut dans les années 70-80 « présentatrice ». Elle vendait des bols, ramequins ou autres ustensiles Tupperware lors de réunions à domicile. Entre deux tasses de thé et une part de cake, elle expliquait aux ménagères de moins (ou de plus) de 50 ans les vertus du nouveau bocal plastique idéal pour conserver au frigo les restes de la choucroute du dimanche, du bocal avec couvercle verseur pour la soupe ou des boîtes dernier cri pouvant passer du congélo au micro-ondes. Evidemment, ces réunions étaient plus conviviales mais quand on a trouvé ces mêmes produits dans les rayons des supermarchés, à des prix toujours plus bas, ce fut le début de la fin. Plus de trente ans après, j’ai toujours dans mes placards des tas de Tupperware. Je ne vais pas les jeter. « Un jour, tu verras, on se les arrachera sur les brocantes » lance Sibelle.