Sibelle, l’affaire Benzema et les verres à moutarde
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
Je ne dirai pas que ma protégée féline qui a un avis sur tout (et surtout des avis, comme disait Coluche), a toujours raison. Cependant, cette fois, je dois avouer que ses explications peuvent tenir la route. « Au fond, tout cela était un coup monté. Le calendrier a été parfaitement respecté, l’affaire était réglée comme du papier à musique… Si Didier Deschamps a annoncé mardi soir qu’il rappelait Karim Benzema en sélection pour l’Euro de football, c’est pour que mercredi matin, les gens aient un sujet de discussion au moment de faire un selfie devant leur premier café en terrasse d’après confinement… »
Vu le déferlement d’images effectivement postées sur les réseaux sociaux, vu l’empressement avec lequel des millions de Français se sont précipités mercredi matin dans ou plutôt devant les bistrots, y compris dans notre bonne ville de Cahors, y compris quand des bonnes averses, « des sacrées draches » dit-on dans mes Ardennes natales, étaient également au rendez-vous, transformant les parasols en parapluies, l’hypothèse avancée par Sibelle n’est pas à écarter. Quel timing de rêve : une fois qu’on a dit et redit son plaisir de retrouver son express matinal, quoi de plus sympa que de parler football pour oublier l’espace d’un instant la pandémie ? Surtout quand on sait d’avance… que personne ne sait, à part les deux intéressés (l’entraîneur et le joueur), comment et pourquoi la réconciliation a été scellée, et qui a concédé quoi ! Alors, sur toutes les terrasses de France et de Navarre, chacun pouvait y aller de son explication sans peur d’être contredit de manière définitive.
Dans ce contexte, les autres nouvelles de la semaine pourraient sembler assez fades. Ainsi, les candidats continuent de se présenter et de faire campagne dans le respect des gestes barrières en vue des départementales et régionales de juin. Dans le Lot, dans la plupart des cas, notamment pour ce qui est des listes en lice pour les régionales, c’est devant le Pont Valentré que les équipes posent en rang d’oignon. Comme si le monument emblématique enjambait une sorte de Rubicon qui, une fois franchi, autorisait toutes les ambitions. Chacun rêve de créer la surprise ou de rempiler, chacun imagine que le pont fortifié et son petit diable auront valeur de porte-bonheur.
Sibelle, pendant ce temps, patiente devant l’interphone. Pour l’instant, aucun(e) candidat(e) n’a sonné à la porte de la maison, sur les hauteurs du village. D’une certaine façon, cela ne me chagrine pas. Ma tigresse serait capable d’improviser je ne sais quelle supplique qui nous laisserait tellement cois, le ou la candidat(e) et moi. Vous imaginez Sibelle suggérant indispensable l’aménagement d’une ligne à grande vitesse entre Paris et Cahors ? Oui ? Non ? Parce que Paris-Toulouse via Bordeaux, c’est bien, mais après ? Ah ben oui. On prendra un TER. Ou un bon vieux Corail. Bref. En parlant de train… On apprend que le Premier ministre s’est mué en chef de bord à l’occasion du grand retour du Paris-Nice de nuit, de jeudi à vendredi. Monsieur Castex devait être ravi car, rappellent mes confrères, il est abonné à La Vie du Rail et en 2017, il a publié un docte ouvrage sur la construction au XIXème siècle de la ligne de chemin de fer reliant Perpignan à Villefranche-de- Conflent via Prades (dont il fut le maire). J’ai quelque mal à critiquer les passionnés du monde ferroviaire et des trains (on dit « ferrovipathes »!). Mon père en faisait partie.
Même s’il ne s’agissait que d’accompagner un voyageur, rien ne l’exaltait davantage que l’agitation fébrile d’une salle des pas perdus, l’annonce par une voix métallique que tel ou tel train accuserait un retard de 5 minutes, ou qu’il convenait de s’éloigner de la bordure du quai en raison du passage d’un train de marchandises… Bien entendu, il fallait toujours arriver à la gare une demi-heure à l’avance. Il m’a transmis un peu de cette… ferrovipathie. Il est des héritages moins nobles. Et des passions plus dérangeantes. Même chose pour les cartes Michelin. C’est quand même autre chose que de déplier une carte, de rêvasser en suivant les itinéraires rouges ou jaunes, c’est quand même autre chose qu’un GPS et sa voix monocorde. « Dans 300 mètres, tournez à droite sur la rue des Pivoines ». Si je veux d’abord ! Sibelle me regarde, pensive. Elle n’a rien à dire, elle, avec sa collection de verres à moutarde où figurent les footballeurs de l’équipe de France. Au fait, ils auront le temps d’en refaire avec le visage de Karim ?
Visuel @DR