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Sibelle, la place Chapou, un parfum de guerre à Cahors et un salon très couru 


Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats. 

Lundi._ On se bouscule au salon de l’agriculture. Suivis par des cohortes de journalistes, les politiques défilent, qu’ils soient ministres, députés, élus de droite, de gauche, du centre ou d’ailleurs, et chacun y va de sa petite phrase, de sa photo, chacun distribue les médailles et les éloges sur le savoir-faire, la beauté du terroir, la rudesse mais la beauté du métier d’éleveur, de maraîcher, de céréalier, de vigneron ou de producteur de ceci ou de cela. On se demande s’il y a encore de la place pour ces dizaines de milliers de familles qui chaque jour viennent voir de près les vedettes (les vraies) de la plus grande ferme de France. A l’applaudimètre, le Lot n’est pas le dernier, avec nos agneaux aux lunettes noires, nos foies gras, nos safrans, nos cabécous, et j’en oublie évidemment. Personne n’a songé – et c’est quand même mieux sur le plan de la communication – à installer sur le stand du 46 une banderole avec la phrase cultissime de Maurice Faure : « Nous sommes pauvres, mais nous sommes beaux… » Cela aurait été mal compris. Pourtant, il y a un peu de ça. Chaque année, nos professionnels, au fond, ne disent pas autre chose. Qu’ils soient lotois ou pas. Les agriculteurs sont heureux de faire ce métier, mais ils veulent simplement être reconnus, et donc que leur travail et leurs produits soient rémunérés au juste prix. Le reste, c’est de la mauvaise littérature. Sibelle est songeuse : elle sait qu’il y a aussi un « hic ». C’est bien de montrer ce qu’est la noblesse de la France agricole, certes. « Mais pour que chacun mange à sa faim, en tout cas le plus grand nombre, il faut également admettre que des poulets ou cochons soient élevés dans des hangars géants sans forcément voir le ciel » conclut ma tigresse qui ne se fait pas d’illusions sur l’origine de ses croquettes. Et moi ? Je pense à la merveilleuse souris d’agneau achetée à un éleveur établi sur les causses, à ce confit de canard au parfum sans pareil trouvé l’autre jour dans une coopérative, à l’écart de l’ex-RN 20, à cette cuvée de malbec au rouge soyeux qui m’a fait un clin d’œil au retour du marché… Pour autant, ces trésors ou d’autres ne peuvent être mon lot quotidien. Ce midi, j’ai prévu des pâtes sauce tomate. Faites avec quel blé ? Avec des tomates mûries sous quel soleil ? 

Mardi._ Lors du dernier conseil municipal, les élus de Cahors ont débattu de la piétonnisation de la place Chapou. Une promesse de campagne, plaide la majorité. A laquelle l’opposition répond qu’il n’y a pas urgence. Je n’ai pas d’opinion définitive sur le sujet. Certes, on promet des places de stationnement supplémentaires à proximité, de nouveaux arbres, et une mise en valeur, de fait, de la cathédrale. Certes, en l’état, il semble difficile de laisser perdurer une contre-allée où sont censés cohabiter marcheurs et voitures. Reste la question du commerce, ou plutôt des commerçants. Alors que chaque jour qui passe, leur chiffre d’affaires est grignoté davantage par Internet et les grandes surfaces sur les zones de la périphérie, cette révolution les inquiète. C’est ainsi dans toutes les villes, d’ailleurs. L’équilibre est délicat. Sibelle souligne à sa manière que le défi est immense : « Le lèche-vitrine n’a de sens que s’il y a quelque chose à voir dans la vitrine… et quelqu’un dans le magasin pour vous accueillir. » Je repense pour ma part à cette réflexion d’une députée ardennaise (que j’adapte) : « A Paris, tout le monde trouve normal de marcher 20 minutes pour acheter une baguette ou un bouquet de fleurs. A Toulouse, le seuil baisse à 10 minutes. A Cahors… » 

Mercredi._ La mort de Just Fontaine. Une légende, une vraie. Et parmi les anecdotes que l’on entend à propos du Toulousain d’adoption, deux me sidèrent. La première, cette réflexion quand il signa son premier contrat professionnel à Nice : « Ces c…, ils ont été d’accord pour me payer pour jouer au foot ! » La seconde, à propos de son record de 1958 : « A la fin du premier match, je me suis rendu compte que l’une de mes chaussures était littéralement cassée. Un des remplaçants qui faisait la même pointure m’a passé les siennes pour le reste de la coupe du monde. Oui, on avait chacun embarqué pour la Suède avec une seule paire… » Que le foot a changé ! Mais il demeure cependant la beauté du sport. Sa glorieuse incertitude. Le soir même, la modeste équipe d’Annecy élimine l’OM – à Marseille – en coupe de France. Le Vélodrome est médusé. Le football reste toujours un peu magique. Heureusement. Inévitablement, je voulais en rester là quand Sibelle en rajoute une couche. Réputé aimable et même farceur, l’intéressé aurait sans doute souri aussi. « Il s‘appelait comment ? Just Fontaine ? Oui, mais son prénom ? » 

Jeudi._ En tournage à Saint-Cirq-Lapopie, Dany Boon confie qu’il tenait à visiter la maison où séjournait André Breton. L’acteur explique que jeune débutant à 18 ans, il déclama des vers du poète pour des courts-métrages. « Des moments surréalistes ! » s’amuse-t-il. « Ça alors. Voilà qui prouve une énième fois qu’il faut toujours se méfier des préjugés. Pour dire des poèmes, tu penserais plutôt à Huster, à Depardieu, à Dussolier, et chez les plus jeunes, à Pierre Niney ou Louis Garrel, non ? Comme quoi… » remarque ma protégée. C’est vrai. Habitué à collectionner les succès dans des comédies pas toujours bien vues des critiques, Dany Boon nous donne une leçon. Et accessoirement, il prolonge un sillon : en leur temps, dans les années 1920, les surréalistes furent d’ardents admirateurs et défenseurs de Chaplin. Ils le trouvaient drôle, juste, et en plus, Charlot effrayait tellement la bonne société américaine et européenne en collectionnant les divorces dans le privé et en dénonçant ce que l’on ne nommait pas encore la société de consommation… 

Vendredi._ Dans le cadre de manœuvres nationales débutées à Sète et qui se poursuivront ensuite dans le nord-est du pays, un millier de soldats vont simuler des combats urbains à Cahors du 5 au 10 mars (une pause est – judicieusement – prévue mardi en raison de la manifestation contre la réforme des retraites). On nous dit que l’exercice était prévu de longue date, avant même que les troupes russes n’envahissent l’Ukraine. Il n’empêche. Ce qui aurait pu apparaître comme une sorte de « spectacle » prend un air bien différent vu le contexte international. Une chose est de voir des images à la télé, une autre est d’apercevoir des soldats casqués et en arme au coin de la rue. Sibelle en frissonne. Je lui raconte qu’il y a déjà plus de 30 ans, j’avais comme simple appelé participé à des manoeuvres de ce genre dans les environs de Belfort. Enfin, c’est exagéré. Au dernier moment, mon adjudant m’a désigné pour garder le campement de la compagnie. J’ai vécu l’événement de loin. Tout en observant le ballet des hélicos, en sursautant à chaque détonation. « Tu as pris des photos ? Tu as fait ton BHL ? » m’interroge Sibelle. Je réponds que non. Il n’y a pas lieu de plaisanter. Car je désespère de la folie des hommes. Mais comment faire autrement ? Quand l’ennemi totalitaire viole le droit, quand l’innocent est massacré, il faut lui porter secours. Et on ne combat pas le diable en lui jetant des fleurs. 

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