Sibelle, la grogne des toubibs, le renouveau d’Albas et l’adieu à Marie Vaislic
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
Lundi._ La question des déserts médicaux s’invite (une nouvelle fois, et ce ne sera sans doute pas la dernière…) à la une de l’actualité en ce début de semaine. A l’assemblée, des députés (de divers groupes) plaident pour une autorisation préalable à l’installation des praticiens. Pour être clair, ceux-ci pourraient se voir interdire d’ouvrir leur cabinet dans une zone jugée suffisamment pourvue (sauf quand il s’agirait de remplacer un confrère partant à la retraite). Une grève est annoncée. Les médecins refusent ce diktat qui pourrait être contre-productif, selon leurs syndicats. Lesquels estiment que les médecins pourraient dès lors choisir d’autres modes d’exercice (devenant salariés dans le privé, ou partant à l’étranger, par exemple). Une formule médiane ne semble guère plus consensuelle (imposer de consulter jusqu’à deux jours par mois dans les zones prioritaires, c’est-à-dire déficitaires). On ne dira jamais à quel point la gestion du numérus-clausus ces dernières décennies fut désastreuse… Et sa suppression ne peut pas avoir d’effet immédiat. L’essor du numérique, celui des télé-consultations (liste non exhaustive) ne constituent qu’une réponse partielle. Bref, on tourne en rond. Et ça ne tourne pas rond du tout. Je raconte à Sibelle qu’il y a déjà trois-quatre ans, j’avais rencontré une jeune interne en médecine générale effectuant son stage dans la vallée du Lot. Je lui avais demandé si cela lui avait donné envie de s’installer dans le « 46 ». Sa réponse avait été négative. « Je termine mes études à Toulouse mais je suis originaire d’une zone rurale (au pied des Pyrénées). Ici aussi, les paysages sont magnifiques, les gens sont sympas. Mais je ne me vois pas exercer dans le Lot toute l’année. Il n’y a pas assez de spécialistes… » J’avais été surpris avant de comprendre que désormais, les médecins apprécient de travailler en réseau. De s’appuyer sur les expertises de leurs confrères. Bref. On ne s’en sort pas. Et pendant ce temps, comme l’a rappelé le député Pradié à l’assemblée, interpellant la ministre Vautrin, la mortalité infantile est repartie à la hausse dans notre pays et en particulier dans le Lot. « Le signe d’un déclassement général » se désole le parlementaire. Ma protégée féline fait la moue. Elle n’a pas de solution non plus. Elle finit par gagner le salon et se hisser sur le sofa. « Je vais faire une petite sieste. Il paraît que ça fait du bien. Et y’a pas besoin d’ordonnance… »
Mardi._ J’apprends via Medialot qu’une librairie va ouvrir à Albas. On y trouvera des livres (évidemment) et on pourra aussi y boire un thé. Ce nouveau commerce qui s’inscrit dans le renouveau du village observé depuis une dizaine d’années s’appellera « Le bon air est dans les livres ». « Il en va des librairies comme des salons de coiffure. Les jeux de mots fleurissent sur leurs enseignes » note Sibelle, grande lectrice elle-même. Certes. Sur ce, je souhaite le meilleur aux initiatrices de ce projet. Je leur offre en guise de porte-bonheur une citation de Pierre Bénichou (1938-2020) dont je viens de parcourir avec beaucoup de plaisir la biographie parue aux éditions du Rocher, signée Benjamin Puech : « Il vaut mieux être habillé comme un notaire et penser comme un poète que penser comme un notaire et être habillé comme un poète… »
Mercredi._ En cette veille de 1er mai, voilà sans surprise qu’on retrouve à la une des journaux la sempiternelle question de l’ouverture de certains commerces en ce jour férié pas comme les autres. Le problème concerne notamment les boulangeries. Je n’ai pas d’opinion définitive sur le sujet. Dans le métier que j’ai choisi, on exerce tous les jours. Mais je suis cependant attaché à la notion de jour férié. A fortiori quand on sait qu’il y a désormais plus d’un siècle, la plupart des grandes avancées sociales (législation sur le travail des enfants, journée de 8 heures, congés payés…) n’ont pas été réalisées d’un claquement de doigts. Bref. Je conseille à Sibelle d’acheter une baguette de plus. Au cas où.
Jeudi._ On apprend le décès à presque 95 ans de Marie Vaislic. Née à Toulouse le 11 juin 1930, elle y avait été arrêtée en juillet 1944 puis déportée. Elle rentra toutefois des camps de Ravensbrück et de Bergen-Belsen. Et surtout, ayant survécu à la Shoah, elle passa une grande partie de sa vie, ensuite, à témoigner. L’an dernier encore, elle publiait ce livre : « Il n’y aura bientôt plus personne » (chez Grasset). Avec ma protégée, nous lui rendons hommage et nous prêtons serment : « Que la terre vous soit légère, chère Marie. Bientôt, certes, les derniers survivants seront partis. Mais nous continuerons à transmettre. Au nom du devoir de mémoire. En votre nom, et au nom des millions d’autres. »
Vendredi._ Une grande question, encore, avant de conclure. Est-ce qu’elle va voter ? Est-ce que Sa Majesté la reine Margrethe (du Danemark, bien sûr) va participer au scrutin organisé comme chaque année désormais par le Journal de 13 heures de TF1 afin de désigner « le plus Beau Marché » (de France). On a appris en effet que c’est le marché de Cahors qui représente la région Midi-Pyrénées pour cette 8ème édition. « Les votes sont ouverts jusqu’au 29 mai » précise Medialot. Or, vous savez comme nous (Sibelle et moi) à quel point la reine a toujours apprécié, lors de ses vacances lotoises, venir le samedi acheter quelques fleurs et quelques produits de terroir sur le marché où elle passe (presque) inaperçue. Je vous ressers donc cette anecdote qui en dit long. Un jour que je l’avais croisée (sans la reconnaître), je m’arrête auprès du stand d’une commerçante en charcuterie. Elle me désigne la dame qui s‘éloigne dans sa robe rouge. « C’est la reine ! L’an passé, elle m’a acheté quelques tranches de jambon et une terrine. Elle avait pourtant tenu absolument à faire la queue et à attendre son tour… » Attendre son tour comme tout le monde : le comble du luxe, n’est-ce pas ? Sibelle, ma souveraine à moi, n’a pas toujours cette délicatesse. Je lui concède qu’elle est la seule à apprécier les croquettes au saumon. Pêché ou non au large du Danemark.