Sibelle et son Valentin
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
Quel dur métier que d’informer en cette période de pandémie ! Et quel défi que, chaque semaine, de commenter cette même actualité ! Comme s’il fallait gloser encore et encore sur un match de foot ou de rugby dont le scénario se répète inlassablement. On est comme vous, avec ma protégée féline. On scrute le tableau de bord quotidien des chiffres de l’épidémie, dans le Lot comme sur le plan national. On écoute les professeurs de médecine, les experts, les sociologues. Une à deux fois par jour, j’essaie – en vain – de prendre un rendez- vous à distance pour que ma maman octogénaire se fasse vacciner.
Deux à trois fois par jour, Sibelle a les larmes aux yeux en découvrant les images de ce début d’année : d’interminables files d’étudiants venus à la distribution d’un panier repas, des papis et mamies traînant leur solitude dans les couloirs d’un Ehpad, et puis la neige, les pluies verglaçantes et un froid polaire qui touchent la moitié nord du pays après les terribles inondations qui ont frappé le quart sud-ouest. Dont le 46, pas besoin de le répéter. C’est quand que ça s’arrête ?
Les crues, justement. Medialot nous explique le traumatisme dont le charmant village de Douelle doit se relever. Bien malgré elle, la commune a fait le buzz quand des vidéos ont montré les bateaux de la compagnie du Boat soudainement emportés dans une course folle, littéralement « à vau-l’eau », sauf que l’eau, justement, était ce jour-là tourmentée, violente, indomptable. Douelle : en famille, c’est un de nos buts de promenade favoris certains dimanches. On suit le chemin de halage, on déguste quelque spécialité du Quercy en terrasse, on aime le curieux mélange qui fait de la localité à la fois un petit port, un village viticole, et une sorte de carrefour entre vallée du Lot, Quercy Blanc et périphérie de Cahors. Mais jamais, évidemment, on ne quitte Douelle sans regarder, de près puis de plus loin, l’immense fresque réalisée en 1992 par Didier Chamizo. « La plus grande peinture murale d’art contemporain d’Europe : 800 m2. Le mur en béton de 120 mètres de long et de 6 mètres de haut, se déroule tel un film. L’œuvre raconte l’histoire des vins de Cahors d’Adam et Ève à nos jours selon la vision de l’artiste » explique l’Office de tourisme. On aime ou pas. Mais rien n’est plus réconfortant que de ne pas cantonner l’art aux galeries ou aux musées. « Cela restera d’ailleurs un fait marquant de la crise sanitaire : les musées fermés, ils ont réussi pourtant à se déconfiner… » note Sibelle.
Bien évidemment, on pense aux expos virtuelles visibles sur Internet. Mais il y a mieux. Plus audacieux. Avec ma tigresse domestique, on dit donc bravo à la Maison des Arts Georges et Claude Pompidou de Cajarc qui propose « une exposition visible depuis l’extérieur » (jusqu’au 7 mars). Il suffit de faire le tour du bâtiment : des hublots ont été aménagés au niveau des fenêtres pour découvrir photos, sculptures, vidéos… Autre expérimentation dans les Ardennes cette fois, où les musées de Charleville présentent certaines œuvres et pièces dans les supermarchés. Une façon aussi de toucher des publics qui, en temps « normal », ne mettent pas les pieds dans des établissements où, à tort, ils estiment qu’ils ne sont pas les bienvenus.
Je gardais pour la fin cette question délicate : nous fêtons demain la Saint- Valentin. Une date que j’appréhende toujours vis-à-vis de ma chère Sibelle. Nous avons en effet souhaité, il y a déjà quelques années, lui épargner des maternités à répétition synonymes de cruelles douleurs, de deuils qui ne se cicatrisent pas si facilement. Il faut voir et entendre, certains soirs, des chattes errer dans les rues et miauler sans répit en recherchant leurs petits, enlevés, perdus, déjà partis… Cela étant, si elle n’aura jamais de descendance, Sibelle a parfois des courtisans (qui n’ont visiblement pas compris…). Et parmi eux, elle a choisi son Valentin. Elle repousse sans ménagement tous les autres matous de notre jardinet. Mais lui, il a le droit de venir, de s’approcher, de chasser avec elle, ou de s’allonger à ses côtés à l’ombre des vieux lilas. On le voit plusieurs jours de rang et puis plus de nouvelles jusqu’au mois suivant. C’est un grand échalas noir aux yeux verts. Je n’ai jamais posé la moindre question à Sibelle. Le cœur a ses raisons…
Visuel @DR