Sibelle et son cousin Alphonse
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
Jusqu’à 25 cm de neige dans la vallée du Rhône et le Vercors, des dizaines de milliers de foyers sans électricité et un automobiliste tué par la chute d’un arbre. A Venise, une marée haute, pardon, une « acqua alta » d’une ampleur inédite depuis plus de 50 ans qui a submergé la ville. Et on pourrait évoquer l’Australie confrontée à des incendies hors normes. Il y a des semaines où même grisâtre et frisquette, la météo dans notre bon Quercy nous semble un tantinet privilégiée. Mais parfois, la brume n’est pas dans le ciel, elle envahit nos cœurs.
A Sibelle qui ne comprenait pas l’émotion provoquée par la mort de Raymond Poulidor, j’ai expliqué que pour des millions de Français, une part de leur enfance s’en était allée, une part de leur vie d’avant. Quand du Tour de France, on ne voyait que quelques images en noir et blanc de l’arrivée, on ne percevait que les récits épiques des reporters à la radio, juchés à l’arrière de motos, ou les chroniques magiques de Blondin dans l’Equipe. Je lui ai dit encore que pour des millions de Français, le sourire bon enfant et un brin fataliste de l’éternel second semblait plus proche, plus en rapport avec leur propre destinée, que le jaune doré des maillots que lui ravissaient des champions par ailleurs tout aussi légendaires. Mais peut-être trop parfaits. Sibelle a osé alors cette comparaison. Poupou, c’était donc le voisin de palier qui a gagné au loto (pas le jackpot, mais de quoi ne plus se soucier de sa retraite) et qui continue d’aller chercher son pain et le journal comme si de rien n’était, avec juste un écart le dimanche : quelques roses pour madame, des éclairs au chocolat pour le dessert. Ma tigresse domestique n’a toutefois pas trouvé d’explication au fait que cet été encore, des gamins hauts comme trois pommes brandissaient au passage du peloton des pancartes « Allez Poupou ! ». « C’est cela, un mythe, une légende vivante… » ai-je risqué. A moins que les choses soient plus simples. Peut-être que ces enfants, quand ils avaient pour la première fois réussi à parcourir quelques mètres sur leur bicyclette, sans les deux petites roues « stabilisatrices » à l’arrière, leur papy, hilare, leur avait-il lancé un « Vas-y Poupou ! » qui valait tous les bravos du monde ?
Pourtant, au final, une info a balayé toutes les autres en cette fin de semaine. Mon fils vient d’adopter un chat, là-bas, dans la grande ville, à Toulouse. Une association avait recueilli l’orphelin. Il attendait un maître. C’est réglé. Un chaton des rues, un petit miracle de vie à la frimousse irrésistible. J’ai annoncé la nouvelle à Sibelle en lui montrant une photo. « Ton nouveau cousin. Il s’appelle Alphonse. » Sibelle a souri avec tendresse. Elle qui n’aura jamais de bébé, rien ne l’émeut davantage que de savoir qu’une petite boule de poils échappe à la cruauté du monde et à celle de bien des hommes. En hommage à son petit cousin, Sibelle a cité un autre Alphonse. « Il y a toujours au fond de mon cœur une larme qui filtre goutte à goutte. » C’est de Lamartine, dans Graziella.