Sibelle et les sangliers du Quercy
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
Vidéos sur leur page Facebook, courriels, communiqués de presse, messages imprimés puis glissés dans la boîte aux lettres voire, comme le voulait jadis la tradition, une carte adressée par la poste : en ce début de l’an de grâce 2021, élus de nos collectivités et autres hautes personnalités ont respecté la tradition. Mais pandémie oblige, pas de cérémonie massive, pas de grand-messe laïque débutée par un discours fleuve et ponctuée de petits fours, d’un verre de malbec ou d’une coupe de champagne : « Toujours ça d’économisé sur la ligne « fêtes et cérémonies » des budgets de fonctionnement, sachant que par ailleurs, les collectivités locales sont éprouvées aussi financièrement par le Covid » remarque Sibelle, toujours soucieuse de faire attention aux porte-monnaie (surtout quand ce n’est pas le sien).
Cela étant, alors que la vaccination a (enfin) débuté dans le Lot, ma protégée féline se pose une autre question, tout aussi pointue : « Quelle mouche a donc piqué les sangliers dans notre cher Quercy ? ». Fin décembre, c’est un solide mâle pesant près d’un quintal qui avait fait irruption dans les rues de Cahors après plusieurs allers retours dans le cours du Lot, et semé une belle frayeur, blessant plusieurs riverains dans sa course folle avant d’être abattu. Il y a quelques jours, c’est une « battue administrative » qui a été organisée à la demande des édiles de Mercuès : nombre de particuliers avaient constaté, dépités que leurs jardins étaient dévastés et qu’en plein couvre-feu, sans justifier de quelque attestation, les « cochons sauvages » s’en donnaient désormais à cœur joie dans les ruelles avant de regagner les causses ou les fourrés alentours avant le lever du jour.
Je ne suis pas spécialiste en matière de gestion et de régulation de la faune sauvage, et je ne veux surtout pas rouvrir ici le débat sur la chasse. Et Sibelle pas davantage. Mais on ne peut que constater qu’il y a bien un problème. Pourquoi ? A cause de qui ? La question m’interpelle d’autant plus que je suis originaire des Ardennes, à quelque 700 km d’ici. Un département et un massif géologique et forestier qui depuis la nuit des temps, en tout cas l’époque gallo-romaine, ont comme emblème le sanglier ! Ce qui provoque du reste d’autres soucis puisque l’an passé, une maladie touchant les sangliers belges, il a fallu installer de solides barbelés le long de la frontière pour que « nos » sangliers ne soient pas affectés… Bref. A l’heure où la livraison annuelle du recensement de l’Insee fait état d’une hausse (légère) de la population lotoise, c’est quand même à se demander malgré tout s’il n’y a pas plus de sangliers en Quercy que d’êtres humains. Pour ne pas dire de chats.
Mais ces préoccupations semblent bien légères en comparaison de la stupéfaction qui fut nôtre quand, mercredi soir, scotchés devant la télé, Sibelle et moi assistâmes à la prise du Capitole à Washington par des extrémistes pro- Trump. Ma tigresse domestique a d’abord soupiré (à raison) qu’il lui semblait qu’on rentrait « plus facilement dans le saint des saints de la démocratie américaine que dans certains bureaux de poste ou magasins français ». Puis elle a observé les accoutrements de quelques-uns des insurgés, et ne sachant plus si on regardait une chaîne d’info ou une série sur Netflix, elle a compris que la mondialisation n’était pas seulement celle du commerce et de la finance, celle des virus et des musiques sur YouTube : désormais, il est aussi des idéologies ou autres formes de populismes qui n’épargnent aucun continent. Sur les images, Sibelle a repéré un fou furieux qui se promenait dans la cohorte des factieux en arborant un tee-shirt floqué d’une tête de mort et de la devise du camp d’Auschwitz.
« On a trouvé un vaccin contre le Covid. Mais contre la folie des hommes, on attend encore » a soufflé ma belle. « Il y a des antidotes pourtant », ai-je répondu. Et on les connaît : l’éducation, la culture, le partage, la solidarité… et un minimum de ressources en monnaie sonnante et trébuchante. « On n’est pas rendus alors » a conclu Sibelle. Je n’ai pas moufté. J’ai songé en silence à cette saillie cinglante de Mark Twain : « Ce fut admirable de découvrir l’Amérique, mais il l’eût été plus encore de passer à côté. »
Ceci dit, puisque nous croisons en été, en temps normal, des touristes américains dans le Lot, nous savons heureusement qu’il faut nuancer tout jugement. Républicains ou démocrates, il sont généralement friands de foie gras, de malbec, et rien ne les émerveille davantage que de descendre les vallées du Célé, du Lot ou de la Dordogne, nos canyons à nous, puis de s’attabler en terrasse en susurrant que si Dieu bénit l’Amérique, le pont Valentré et son diable ne manquent pas de noblesse !