Sibelle et le musée de Cahors
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
Je vous vois venir ! Vous vous attendez, évidemment, à ce que ma chère tigresse domestique et moi-même, nous commentions avec notre tact habituel et notre pertinence coutumière les événements fâcheux du Parc des Princes, mardi soir, quand les deux équipes engagées en coupe d’Europe de football ont préféré rentrer d’un même pas aux vestiaires plutôt que de tolérer d’éventuels propos racistes d’un arbitre ? Que nous dissertions, gravement et savamment, des mesures annoncées par le Premier ministre concernant la nouvelle étape du déconfinement progressif consécutif au deuxième confinement : raté. Même si les fins lecteurs que vous êtes auront remarqué, évidemment, qu’avec une grande prudence, j’ai préféré utiliser le terme « deuxième » plutôt que « second », lequel aurait impliqué assurément qu’il n’y aurait pas de troisième…
Bref. Avec ma protégée féline, cette semaine, c’est plutôt le compte-rendu de la réunion du conseil municipal de Cahors qui a retenu notre attention. En l’espèce, les échanges qui ont concerné le musée Henri Martin (en attendant, comme tous les lieux de culture, que l’on puisse y remettre les pieds… et les yeux, surtout, en l’occurrence…). Pour faire court, l’établissement ayant fait l’objet d’importants travaux de rénovation et modernisation, une délibération portait sur l’acquisition d’un tableau d’Henri Martin, « Portrait de Madame Martin », jusqu’alors détenu par un particulier.
Or, un élu d’opposition, Daniel Morer, s’est dit dubitatif. « On doit être à 48 tableaux d’Henri Martin (qui a donné son nom au musée, ce qui explique l’importance du fonds, NDLR). Est- ce que l’on va ronronner ou rayonner avec ce musée ? Comment toucher de nouveaux publics ? A Perpignan, ils ont fait une exposition Picasso, un face à face Mayol–Rodin… J’attends votre vision, j’attends d’être émerveillé. »
Le maire Jean-Marc Vayssouze n’a pas apprécié : « Nous sommes de ceux qui avons assumé cette rénovation, qui sommes allés chercher des financements. La stratégie est mise en place avec toute l’équipe du musée. […] Nous n’avons pas Soulages, pas Picasso mais le musée, c’est l’histoire de cette ville. Un musée, c’est aussi un bâtiment comme à Rodez ou à Bilbao. Vous dites être pour la culture mais vous avez un discours ambigu en pinaillant sur des montants… »
Sur ce, je dois confesser très humblement que jusqu’à mon installation dans le Lot, j’ignorais tout d’Henri Martin. Alors certes, j’ai fait des progrès. Je sais désormais qu’il est né à Toulouse le 5 août 1860 et qu’il est décédé à Labastide- du-Vert (où il s’était établi) le 12 novembre 1943. Je sais également que les spécialistes le considèrent comme un peintre post-impressionniste (sic). « Va jusqu’au bout… Avoue aussi qu’il y a quelques mois encore, tu pensais que ce même Henri Martin avait été si célèbre en son temps qu’il avait donné son nom à une avenue de Paris bien connue des joueurs de Monopoly… » persifle Sibelle. Pas faux. Je fus fort marri en effet quand je découvris que cette belle artère du chic 16ème arrondissement tenait son nom d’un homonyme de notre artiste : l’historien Henri Martin (1810-1883), qui fut également maire dudit arrondissement. Cela étant, ayant vécu et travaillé plus d’un quart de siècle dans la ville natale de Rimbaud, je comprends la problématique. Notre Henri Martin à nous, dans le Lot, qu’il a peint avec tant de sensibilité, n’a pas la notoriété posthume du poète des Illuminations ou, dans son art à lui, d’un Gauguin ou d’un Monet. Alors quoi faire ? Tout est question de médiation (pour user du vocable en vigueur), tout est affaire d’équilibre entre pédagogie et volonté bien compréhensible de séduire le plus large public possible.
Sibelle en profite donc pour suggérer que le musée de Cahors, à terme, ait aussi vocation à être la vitrine des musées lotois. « Que grâce à des conventions de prêts permettant de présenter deux ou trois œuvres des artistes concernés, une fois sortis, les prochains visiteurs du musée Henri Martin aient envie de filer jusqu’aux Arques découvrir le musée Zadkine ou à Saint-Céré voir l’atelier-musée Jean-Lurçat par exemple. En attendant que soit finalisé le projet autour d’André Breton à Saint-Cirq- Lapopie… » J’ai jugé cette idée plutôt judicieuse. J’en ajoute une autre. Puisqu’il fut aussi question du Pont Valentré lors de ce conseil, le monument devant être rendu accessible à tous (jusqu’alors, pour les fauteuils et les poussettes, c’est effectivement très compliqué), je propose qu’un de ces quatre, on puisse organiser une sorte d’expo-rétro regroupant des œuvres de tous genres et sur tous supports et de toutes époques représentant ou évoquant l’emblématique Pont du diable ! Attendez-vous quand même à ce qu’un incident survienne le cas échéant lors du vernissage si l’œuvre de ma protégée n’est pas accrochée. Il s’agit d’un autoportrait genre Photomaton. Ou plutôt Photo… matou. Son titre : « Moi, Sibelle, réfléchissant gravement sur le caractère remarquable du Pont Valentré de Cahors. »