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Sibelle et le Lot : qui l’eût crue ?


Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.

Décembre 1993 puis janvier 1995. Nous habitions alors à Mézières, un des quartiers de Charleville-Mézières dans les Ardennes. Une ville où la Meuse semble tracer un S : comme si le fleuve hésitait quelque peu avant de fendre le vieux massif ardennais dont le schiste est couvert par une belle forêt que le romancier (et géographe) Julien Gracq comparait volontiers à celle de Brocéliande… Décembre 1993 puis janvier 1995 : deux hivers de rang, des pluies diluviennes se sont abattues sur des sols gelés en profondeur et couverts de neige. Le thermomètre est trop vite redevenu positif. Le niveau de la Meuse monte à vue d’œil.

La première fois, nous sommes piégés. Heureusement que nous occupons un appartement situé au 2ème étage d’un immeuble des années 60. Parce que l’eau a si vite envahi la rue qu’il faut partir en barque au petit matin. La veille au soir, j’avais bien remarqué qu’il y avait des flaques, au loin… Mais de là à imaginer qu’en quelques heures, la crue serait si spectaculaire…

La seconde fois, on a pris les devants. Et on est allé se réfugier chez mes parents, à Sedan. Mais pas question de se plaindre. Il y a eu des morts, il y a eu des dizaines, des centaines de familles qui ont tout perdu. Mais ces souvenirs sont restés vivaces. Je me souviens encore de ces Ardennais de tous âges qui quittaient leur maison avec une valise faite à la hâte avant de grimper dans un camion militaire. Une sorte d’improbable exode, leur village ou leur quartier envahi par les eaux, une sorte d’exode effrayant, dont l’image renvoyait à celui de mai 1940, quand il fallait fuir, à pied, en charrette ou en voiture pour les plus chanceux, voire en train, quand il fallait gagner la côte atlantique ou le Midi alors que les Nazis après avoir envahi la Belgique s’apprêtaient à attaquer la France en passant de nouveau par les Ardennes. Comme en 14.

L’histoire bégaie volontiers, contrairement à l’adage qui affirme qu’elle ne ressert jamais les plats. Disons alors que l’assaisonnement n’est pas toujours le même, mais que les ingrédients demeurent. Bref, cette semaine, elle a bégayé dans le Lot. Comme si on avait besoin de cela, en pleine pandémie, avec toutes les conséquences que celle-ci engendre. Il y a dans cette actualité une sorte de remake des Dix plaies d’Egypte à la mode quercynoise. Comme si la rivière voulait rappeler aux gens d’ici que ce n’est pas pour rien qu’à la Révolution, on avait donné son nom au département nouvellement créé, en même temps qu’une centaine d’autres, pour se substituer aux provinces de l’Ancien régime. Bien qu’à l’abri de la crue, sur les hauteurs du village, nous avons vécu cet épisode avec effroi. Sibelle, à qui j’avais rappelé mes souvenirs ardennais, craignait le pire. Elle ne quittait pas des yeux l’écran de l’ordinateur, scrutant les courbes de niveau diffusées par Vigi-Crues. Les communiqués se succédaient. Routes coupées, parkings évacués, habitations inondées. Nous avons appris avec consternation le décès de cette dame suite à l’effondrement d’un pan de falaise sur sa maison, à Saint-Martin-Labouval.

« Et dans le même temps ou presque, il y a eu ce conte de Noël survenu… en février à Pradines, où une maman a accouché chez elle, l’habitation étant cernée par les eaux, avant d’être prise en charge puis évacuée par les pompiers… » relève Sibelle. Ma protégée féline en convient. Après tout, elle non plus ne sait pas davantage si l’histoire bégaie. Mais elle convient qu’au fil des siècles, comme le Lot, elle charrie le pire et le meilleur.

Alors que dans notre département au moins, le retour à la normale est plus qu’amorcé (même s’il demeure des traces : des chaussées déformées, des caves ou maisons à nettoyer, etc.), avec ma tigresse domestique, nous relevons par ailleurs un fait d’actualité singulier. Très réconfortant. Qu’il pleuve, qu’il vente, pandémie ou pas, inondations ou pas, la réputation du 46 se perpétue, mélange de générosité et de gourmandise, de solidarité et de raffinement. Une nouvelle fois, cette semaine, les restaurateurs des Bonnes Tables du Lot se sont ainsi associés à la collecte organisée par l’Etablissement Français du Sang. Les donneurs ont eu droit pour se requinquer à une collation gastronomique. Des verrines parfumées et revigorantes, concentrés de savoir-faire et de richesse du terroir étaient proposées. « Dommage, ils n’ont pas voulu de moi quand j’ai tendu ma patte à l’infirmier » soupire ma belle. Elle affichait le même dépit l’an passé. L’histoire bégaie, donc.

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