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Sibelle et l’ami Christian


Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.

C’était samedi dernier, il y a pile une semaine. En début d’après-midi, un soleil digne du mois de mai baignait les hauteurs du village. Alors, grisés par un mercure qui s’approchait des 20 degrés, nous avons retroussé nos manches, abandonné les gilets sur le canapé, et avec un enthousiasme presque puéril, nous avons entamé nos premiers travaux de jardinage de l’an de grâce 2021.

J’ai extirpé avec quelque difficulté la tondeuse du fond de son abri et j’ai raccourci les quelques mètres carrés de pelouse. Le bruit du moteur a provoqué la fuite de Sibelle. En un gros quart d’heure, l’affaire était faite. La suite fut moins pétaradante. Elle consista d’abord à aménager trois jardinières colorées plantées de pensées achetées en ville. Les fleurs ont aussitôt conféré aux murets du bolet une note chatoyante, leurs pétales rouges, bleus, jaunes contrastant avec la pierre du Quercy. J’ai alors noté que Sibelle, rassérénée, avait regagné notre maison. Elle observait la scène avec une sorte d’ironie et/ou de distance qui caractérise l’état d’esprit un brin provocateur des chats quand ils s’amusent de nos tentatives de nous réconcilier avec la nature. Une nature que par ailleurs, nous maltraitons à longueur de journée. Le troisième acte me conduisit enfin à procéder à la taille des rosiers. Il s’agit d’un cérémonial qui exige rigueur et agilité dans le maniement du sécateur. Cependant, j’ai noté que ma protégée féline a préféré changer de place, au cas où. Elle a gagné l’autre bout de la terrasse, et a fait mine de piquer un roupillon. Quand je dis « les rosiers », c’est beaucoup dire. Dans notre humble jardinet, il n’y en a que trois. Mais ils ont des noms qui en jettent : Pierre de Ronsard, Léo Ferré et Laetitia Casta. Je ne sais lequel des deux poètes parvient ou parviendra à séduire la belle insulaire. Si le premier, dit grimpant, couvre désormais une grande partie du muret, le second lui répond en offrant des fleurs dont la teinte rouge-orangée est tout simplement d’une beauté rare. Quant à la Laetitia, qui nous a rejoints il y a un an seulement, pour l’heure, elle observe. Ne dit mot. Mais ce silence a tout d’une promesse.

C’était samedi dernier. Sur le Grand Cahors, s’achevait une opération de dépistage massif à l’abord notamment de grandes surfaces. Les résultats font état de 587 tests pratiqués pour un seul cas positif de Covid-19. Un pourcentage en deçà des chiffres globaux sur le département, lesquels demeurent néanmoins inférieurs aux statistiques nationales. Avec notamment un taux d’incidence qui tourne autour de 60 ces derniers jours. Mais si nous sommes loin de connaître une situation aussi alarmante qu’à Nice, Dunkerque et autres départements « placés sous surveillance renforcée », chaque semaine, dans notre cher Lot, des hommes et des femmes décèdent, et plusieurs dizaines sont toujours hospitalisés.

Et de la crise sanitaire à la crise économique et sociale, il n’y a qu’un pas, ou qu’une page à tourner. Tous les étudiants de Cahors ont droit désormais à des repas à un euro, et on annonce ce week-end une campagne de collecte, dans les supermarchés, au profit des Restos du Cœur. La solidarité ne consiste pas seulement à porter un masque et à observer les gestes barrières. Elle se décline aussi très concrètement. C’est à la fois rassurant et inquiétant. C’est la France, c’est le Lot en ce premier trimestre 2021. C’était samedi dernier.

Alors que j’achevais mes modestes travaux de jardinage, je n’imaginais pas l’impensable. Au même instant, à Reims, dans le quartier de Croix-Rouge, le photojournaliste Christian Lantenois de L’Union-L’Ardennais était victime d’une agression criminelle. A l’heure où j’écris ces lignes, il est toujours dans un état critique. Je connais ce quartier. J’y ai fréquenté dans les années 80 la faculté des lettres. Une sorte d’enclave avec ses amphis en forme de coquilles Saint-Jacques. Et tout autour, alors, ce qu’on appelait une immense ZUP. On dit désormais un quartier sensible. Je connais bien Christian. Il était photographe pigiste quand j’ai débuté comme rédacteur stagiaire à la locale de Reims, au sein du même journal. Plus tard passé aux Sports, je le retrouvais fréquemment les week-ends dans les stades, les gymnases, sur des courses. Un reporter compétent, un confrère bienveillant, un homme de bien. Agressé parce que journaliste. Que dans la société ensauvagée qui est désormais la nôtre, on s’en prenne à la presse pourrait ne pas surprendre, quand même les pompiers sont victimes de guet-apens. C’est pourtant hautement symbolique, c’est un crime en soi. Les journalistes, a fortiori en province, ont d’abord comme mission celle de rendre compte. De dire la réalité d’un territoire. A Reims comme à Cahors. Il y a les trains qui arrivent à l’heure comme ceux qui ont du retard ou sont stoppés en rase campagne. Il y a l’actualité positive et celle qui l’est moins. La presse régionale est un miroir. Ni plus, ni moins. Et c’est cela que certains sauvages ne tolèrent pas. On parlera un autre jour d’autres obstacles, heureusement moins violents, qui s’opposent à ce droit d’informer, en région, toujours… Cher Christian, ces quelques fleurs qui ensoleillent notre balcon, je te les dédie, je te les offre et je voudrais tant qu’elles t’accompagnent victorieusement dans ce combat. #TiensBonChristian.

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