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Saura-t-on un jour qui est le « soldat inconnu » enterré à Espère ? 


25 juillet 1944. Des maquisards attaquent une colonne allemande à Espère. On recense 31 tués chez l’ennemi. Et un mort resté inconnu. Il pourrait s’agir d’un réfugié espagnol. 

C’est une tombe presque comme les autres, en marbre gris. Elle est située à gauche de l’entrée, dans le cimetière communal qui voisine l’église. Quand on s’approche de la sépulture, on constate vite pourtant que ne repose pas là un habitant du village. Sur une plaque, une phrase est gravée, à la fois énigmatique et solennelle : « In memoriam. A la mémoire d’un inconnu fusillé par l’ennemi lors des combats de la côte d’Espère le 25 juillet 1944. » 

Que s’est-il passé ce jour-là ? Si les faits sont relativement peu documentés par rapport à d’autres actes de résistance, ils ne sont pas absents des archives. Ni de la mémoire collective. 

Dans « Les chroniques du Musée de la Résistance de Cahors » (tome 2, publié en 2005), on lit que deux opérations sont organisées. « Les F.T.P mettent en place dans la côte d’Espère, très accidentée à l’époque, une embuscade d’une trentaine d’hommes, au matin du 25 juillet. Une deuxième opération est organisée le même jour : le minage de la voie ferrée entre Mercuès et Boissières en face d’Espère, qui saute cinq secondes après le passage du train blindé vers 16 heures. Le repli de l’équipe de destruction est signalé par les Allemands du train à un de leurs bataillons de « fantassins portés » au voisinage d’Espère. Cette unité, dans son mouvement vers le lieu du sabotage, tombe dans l’embuscade. Le combat tourne à l’avantage des F.T.P. Les Allemands fuient vers Cahors. » 

Le bilan est très lourd pour l’ennemi : « Atteints par les tirs d’une mitrailleuse, de deux fusils mitrailleurs et le lancer de grenades Gammon, trente et un tués, (déposés à la morgue de Cahors), dont le commandant de la feldgendarmerie et celui des Mongols (NDLR : soldats originaires des républiques soviétiques du Caucase ou d’Asie Centrale qui avaient été mobilisés dans l’Armée Rouge. Faits prisonniers, ils ont été enrôlés dans la Wehrmacht qui les utilise comme auxiliaires dans ses opérations de répression. Source : musée de la résistance en ligne). En matériel allemand : deux camions, un camion blindé, une camionnette, une voiture. » Et il est ajouté, toujours selon le Musée de la Résistance : « F.T.P. : un mort inconnu. » 

En marge de ce récit court mais précis, il est encore noté : « Le bilan lourd côté allemand fera l’objet d’un communiqué à Radio Londres. Les blessés allemands seront soignés par les médecins de l’hôpital de Cahors, qui purent obtenir, grâce à leur comportement humanitaire, la libération de la Kommandantur de personnes arrêtées pour circulation après le couvre-feu. Le mort inconnu est vraisemblablement un Espagnol du camp de Catus, qui cherchait à rejoindre les F.T.P. ». 

Pour autant, une autre version diffère quelque peu. On la trouve dans les archives des FFI (classées par départements) mises en ligne sur le site Mémoire des Hommes (voir fac similé). Dans un document rédigé postérieurement à la Libération qui récapitule les faits de résistance les plus importants s’étant déroulés dans le Lot, les deux événements (destruction du pont ferroviaire d’abord et embuscade sur la nationale 111 ensuite) ne sont pas reliés entre eux. Par ailleurs, il est stipulé que parmi les tués allemands, se trouvaient six officiers de la commission de contrôle allemand de Toulouse. Enfin, on lit ceci : « Pas de perte du côté du maquis ». 

Or, dans tous les autres faits relatés dans cet historique, les victimes même civiles sont mentionnées. 

Inhumé en catimini 

Nous avons enfin, pour l’heure, une troisième source. Un film vidéo réalisé au tournant de l’an 2000 à l’initiative d’un ancien instituteur, réunissant quelques retraités d’Espère. Il s’agit d’une conversation au coin du feu durant laquelle les intervenants, tous nés avant la Seconde guerre, confrontent leurs souvenirs de jeunesse, évoquent la vie quotidienne dans le village. Quand est abordée la guerre, avec son cortège de difficultés liées notamment au ravitaillement, tous évoquent l’embuscade. Ils mentionnent les explosions des véhicules suites aux jets de grenades. Puis l’évacuation d’une partie des troupes vers Cahors avec morts et blessés. Une mitrailleuse allemande est par ailleurs positionnée en direction du village. Plus tard, des soldats allemands viennent fouiller quelques maisons à la recherche de résistants. Certains sont ensanglantés, se lavent. Il n’y a pas de représailles à proprement parler. Il en eût été évidemment autrement si des SS avaient été visés. Une retraitée se souvient avoir été mandatée le lendemain pour aller, avec des adultes, le plus discrètement possible, chercher via une carriole de fortune, près de la fameuse côte, « un soldat » (sic) laissé pour mort. La dépouille fut déposée à l’entrée de l’église. Le curé de l’époque l’inhuma. Hâtivement. Bien plus tard, à l’orée de ce siècle, cette tombe et cette plaque furent réalisées par la commune. 

Entre-temps, selon certains villageois, quelques jours après les faits, fin juillet 1944, une petite délégation de résistants serait venue à Espère pour tenter en vain d’identifier la victime. Est-ce à ce moment qu’il put être établi cependant qu’il s’agissait d’un Espagnol ? L’hypothèse n’a certainement pas été inventée. 

Les Espagnols de Catus 

En 1941, le groupement de travailleurs étrangers de Catus comprend 1031 hommes dont 978 Espagnols. Ils sont affectés à des exploitations agricoles du secteur ou des chantiers (comme la centrale de Luzech ou la réparation des voies ferrées). Au fil des mois, nombre de ces républicains ayant fui Franco sont réquisitionnés pour travailler sur la côte atlantique (dans le cadre de lʼorganisation Todt). D’autres désertent et/ou rejoignent la résistance française. « Il nʼy a pas eu dans le Lot de maquis sans Espagnols et il y a eu des maquis espagnols constitués dans le Lot » affirme ainsi l’historienne Nathalie Bousquet qui recense 230 éléments espagnols au total dans les forces lotoises de la résistance (*). 

Dès lors, il est permis d’espérer que l’Inconnu d’Espère soit un jour identifié. Dans le cadre du futur musée de la Résistance, de la déportation et de la libération qui ouvrira ses portes en 2025 au Grand Palais, mais dont les travaux ont déjà débuté, toutes les archives et sources disponibles seront sans doute de nouveau passées au peigne fin. Et puis on peut également imaginer qu’avec les avancées de la science, via des analyses ADN par exemple, il soit envisageable de retrouver des parents de la victime, même 80 ans plus tard. 

Car il y a bien des listes des Espagnols rattachés au GTE de Catus ! Il y a bien des descendants de ce réfugié en Espagne, de nos jours. 

Moins de trois semaines après l’embuscade d’Espère, Cahors était libérée. Et le département avec lui. Enfin réunis – ce qui n’est encore le cas en juillet -, les maquisards lotois, pour nombre d’entre-eux, gagnent ensuite Toulouse pour participer à la libération de la capitale régionale. 

Devoir de mémoire 

Si les sabotages et destructions d’ouvrages ferroviaires ont un but évident, l’embuscade d’Espère a fait partie de ces incessantes opérations de harcèlement de l’ennemi qui a fini par fuir Cahors sans se hasarder à un baroud d’honneur. 

Mais les pertes chez les résistants, notamment dues aux raids de la division das Reich, furent conséquentes avant ce jour J lotois. Le devoir de mémoire n’est jamais vain. Collectivement, nous nous devons de retrouver l’identité de ce soldat. Quand bien même les circonstances de sa mort demeurent floues. 

En attendant, outre la tombe du cimetière d’Espère, ce maquisard inconnu est mentionné dans le réputé dictionnaire Maitron (**). Il y est noté comme décédé le 25 juillet 1944 à 16 heures, sur la route nationale 111. Selon cette fois l’état- civil de la commune. 

Philippe Mellet 

Le fac-similé issu des archives en ligne sur le site Mémoire des Hommes. 

(*) Article « Les Espagnols dans le Lot pendant les années noires », dans « Vivre et mourir en temps de guerre de la préhistoire à nos jours, Quercy et régions voisines », Presses universitaires du Midi. Disponible en ligne ici. 

(**) Article du Maitron en ligne ici. 

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