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Réfugiée à Souillac, elle écrira plus tard le Mémorial de la déportation des Juifs de Grèce


Aure Recanati (1924-2018) a vécu l’année 1944 réfugiée dans le Lot. Elle y échappa miraculeusement à l’arrestation, sauvée par un inconnu. Des décennies après, elle a signé un ouvrage de référence sur la Shoah en Grèce.

Hiver 43-44. Aure Recanati et les siens s’installent au hameau des Cuisines, à Souillac, sur la route de Sarlat. La jeune femme n’a pas encore 20 ans mais elle est déjà maman d’un petit garçon né au mois de juillet. Elle est accompagnée de ses parents, de ses sœurs cadettes, de son fiancé, Pepo. Quelques semaines après l’arrivée de la famille, celui-ci est convoqué pour le STO. Il part – en vélo – se cacher en région lyonnaise où il avait entamé ses études… Pour le reste, la vie quotidienne de ces réfugiés juifs munis de faux papiers se déroule à peu près normalement. En tout cas guère différemment de celle de Monsieur et Madame Tout-le-Monde. Ainsi, alors que la répression allemande est maximale, que la division SS Das Reich effectue de véritables raids d’une violence aveugle, certaines nuits, comme les autres villageois, le père va se cacher dans la forêt. Juifs ou pas juifs, tous craignent les exactions d’occupants de plus en plus fous de haine. Alors, de bonnes volontés font le guet et à la moindre alerte, quand s’approche des Cuisines ce qui ressemble à une voiture ou à un camion de l’armée allemande, chacun se réfugie dans les chênaies.

Miracle à la mairie de Souillac

Mais Aure Recanati le sait, chacun à Souillac a deviné qu’elle est juive, et sa famille aussi. « Nous n’avons jamais porté l’étoile, nous n’avions pas de tampon « JUIF » sur nos papiers, mais ce devait être notre attitude, et cela venait aussi de nos vêtements sans doute. » Alors ce qui devait arriver arrive. Ou plutôt, ce qui aurait pu arriver n’arriva pas. « J’allais régulièrement en ville pour les formalités. A savoir faire contrôler nos cartes d’identité pour obtenir nos tickets de rationnement et ainsi faire les courses. Un jour, en juin 1944, quand j’arrive en ville à vélo, je me rends compte que tout y est silence, il n’y a personne dans les rues. L’atmosphère est étrange. Devant la mairie toutefois, on se presse. Je vais pour me rendre dans la salle où d’ordinaire je fais viser les documents. Je regarde la table où sont assis ceux qui contrôlent les papiers. Mon regard croise celui d’un homme debout près de la table. Il se penche, parle à son collègue et s’avance, fend la foule. Arrivé à ma hauteur, je lui tends nos papiers. Tout était complet, contrôlé par les parents. Il les regarde puis, me saisissant par l’épaule : « Mais vous êtes idiote, on ne fera jamais rien avec vous ! ». Il me bouscule, me sort de la queue et m’entraîne vers la porte d’entrée. Arrivés dans le hall : « Filez, il y a la Gestapo autour de la table ». Je bondis sur mon vélo et rentre à la maison sans respirer. Quelques jours plus tard, j’ai obtenu les papiers nécessaires sans problème. Je n’ai jamais revu ce jeune homme, je ne sais son nom. Il nous a sauvés… »

Les jours passent. La Libération survient. Mais ce n’est qu’en septembre que la jeune femme retrouve son fiancé. Quelque temps plus tard, tout le monde rejoint Paris. Entre-temps, quand même, d’autres frayeurs. Quand la Dordogne est sortie de son lit en automne et a inondé la maison !

Une alerte en gare de Toulouse

« Nous avons eu beaucoup de chance » admet Aure Recanati. Elle a perdu des oncles et tantes, des cousins, mais le petit cercle de ses proches a survécu : ses parents, ses sœurs, son futur mari, son fils. Née à Marseille en 1924, où ses parents (d’origine grecque) s’étaient installés après la Première guerre avant de déménager en région parisienne, elle avait déjà connu le Périgord : sur la route de l’exode en juin 1940, avec les siens, elle avait passé quelque temps à Salignac, près de Sarlat. Puis la famille a choisi de s’installer à Antibes. Le danger s’est fait plus menaçant quand, en 1943, l’armée allemande a remplacé les soldats italiens qui occupaient la Côte d’Azur et les Alpes. Or, contrairement à ce qui se passait en Italie même, dans les régions françaises qu’ils contrôlaient, les soldats de Mussolini ne s’en prenaient pas aux Juifs.

Dans plusieurs témoignages (l’un d’eux est aisément accessible en ligne), Aure Recanati a raconté un autre miracle. Ce fut à Toulouse, quand la famille a fui la Riviera pour se cacher dans la campagne quercynoise. « A la gare, queue interminable, froid, nuit, fatigue. Je regarde, essaye de voir ce qui se passe de l’autre côté. Mon regard croise celui d’un homme jeune. Il parle au contrôleur, avance le long de la queue en parlant aux gens. Arrivé près de moi : « N’avancez pas, il y a la Gestapo dans la gare ». Il passe. Et un cri : « Maman, j’ai oublié mon sac dans le train, venez vite ». Elles me suivent. Je leur explique. Le train avait déjà été vidé de ses marchandises, nous nous cachons derrière des caisses, mon bébé au sein toute la nuit, attendant, attendant, dans le soir et le froid, et ma prière : « Mas scura la notchada mas presto amenesce » (Plus la nuit est sombre, plus tôt elle menace, NDLR) répétée, répétée toute la nuit. Le jour gris et triste se lève, des hommes de peine arrivent vidant les quais, des passagers, nous allons en silence aux toilettes nous arranger un peu et retour sur le quai où nous prendrons le train pour Souillac… »

Une historienne reconnue

Plusieurs décennies plus tard, Aure a raconté sa guerre et elle a replongé dans ses racines, à savoir la communauté juive de Salonique (et de la Grèce en général) qui a payé un tribut très lourd à la Shoah. Et comme si elle ressentait comme une dette à payer longtemps après tous ces petits miracles qui lui ont permis de traverser les années noires, elle assiste en 1997 à un congrès où intervient Serge Klarsfeld. Elle décide de suivre ses traces… Aure Recanati a travaillé grâce aux archives du Musée de l’Holocauste à Washington (que personne n’avait étudiées jusqu’alors) à rédiger l’équivalent du travail effectué par Serge Klarsfeld pour les Juifs de France. Ainsi paraîtra en 2005 le

« Mémorial de la déportation des Juifs de Grèce », qui comprend plus de 50 000 noms… Elle a également publié des récits de souvenirs sous forme poétique. Que la terre lui soit légère à celle que le sang-froid d’un Lotois a sauvée !

Ph.M.

Sources : témoignage vidéo sur le site de l’US Holocaust Memorial Museum. Entretien réalisé en 2012. Intervieweuse : Irene Hatzopoulos.

Témoignage écrit sur le site Muestros Dezaparesidos. Photo : capture d’écran.

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