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Qui se souvient du Docteur Gingold à Lacapelle-Marival ? 


En 1942, un médecin d’origine roumaine réfugié dans le Lot se voit retirer la nationalité française. Une note des Renseignements généraux le dit « israélite ».

« Monsieur le Maréchal de France, Chef de l’État. A ma grande surprise, j’ai eu la douleur d’apprendre que la nationalité française m’a été retirée par décret 3194 du 27 octobre 1942 paru au Journal Officiel du 10 novembre 1942. Pourtant, l’état de mes services militaires aurait dû me mettre à l’abri d’une telle injustice, qui m’a frappé alors que je n’étais même pas démobilisé. (…) Votre âme de Soldat ressentira vivement l’ingratitude qui m’est faite en tant que combattant et prisonnier pour la France, de me voir déchu de la nationalité française. Non seulement j’ai fait mon devoir de bon citoyen français, mais encore j’ai toujours été éloigné de toute politique subversive. Jamais je n’ai appartenu à aucune société secrète, et je ne suis pas israélite… » 

Ces mots sont exhumés d’archives longtemps « en sommeil », reflétant pourtant l’une des nombreuses pages noires du régime de Vichy. Datée du 20 janvier 1943, cette lettre est signée du Docteur Jacques Gingold, médecin lieutenant de réserve, (domicilié) 3 avenue de l’Opéra, Paris 1er, (mais) Résidant à Lacapelle- Marival (Lot). Il s’agit d’une supplique adressée au plus haut sommet de l’État, et elle restera du reste sans réponse. L’auteur du courrier y rappelle en outre son parcours personnel. Né à Braila en Roumanie le 24 juillet 1906, il est arrivé en France (vraisemblablement au lendemain de la Première guerre) avec ses parents Saül Gingold et Netty Steiner, et en compagnie de ses frères et sœurs (six enfants), tous nés en Roumanie. Si le père et la mère ne virent pas leur demande accordée « pour manque d’assimilation », les enfants obtinrent la nationalité française. Ils ont chacun une situation de haut niveau lorsque la guerre survient : quatre sont dentistes, l’un est médecin, le dernier prothésiste (on disait mécanicien dentiste à l’époque). 

Un parcours sans faute 

Jacques, ainsi, établi à Paris depuis 1920, a fréquenté les lycées Montaigne et Henri IV, obtenu son bac, puis suivi des études de médecine qui lui ont permis d’exercer comme spécialiste en chirurgie esthétique. En 1931, soit un an après sa naturalisation, il effectue son service militaire au Maroc comme « médecin auxiliaire ». Mobilisé en 1939, il est affecté en avril 1940 au 23e régiment d’artillerie coloniale et combat « près de Sedan » à compter du 13 mai. A l’armistice, Jacques Gingold est prisonnier à Arlon (Belgique) et soigne les blessés français, puis il est rappelé au Val-de-Gâce à Paris. Il est ensuite placé en « congé sans solde » et gagne alors le Lot (à une date non précisée). 

A son courrier, sont joints plusieurs certificats et attestations où sont mentionnés ses états de service et sa bonne conduite. Ils sont signés de ses supérieurs. Ce sont des copies que le maire de Lacapelle-Marival, Georges Cadiergues (également médecin, ancien combattant, premier magistrat de 1920 à 1960), a certifiées « conformes ». 

Cette lettre au Maréchal de France Philippe Pétain reste sans réponse, mais un échange suivra toutefois entre le ministère de la Justice et la préfecture du Lot, qui ne modifiera pas l’avis de la commission. Ce qui semble coller aux basques du médecin réfugié dans le Lot ? Une mention dans le rapport des Renseignements généraux qui évoque « une moralité douteuse » car l’aurait suivi dans le Lot sa maîtresse, une femme mariée ayant abandonné pour ce faire le domicile conjugal. Les mêmes services notent également – et surtout – que l’intéressé est « israélite ». Ce qu’il dément. Il produit même dans son courrier au chef de l’État français un certificat établi pour le compte du Chef de la Sûreté du gouverneur militaire allemand de Paris qui stipule que les six enfants Gingold ont présenté des « documents prouvant de manière irrécusable que ces personnes ne sont pas juives ». Il est en outre précisé que le document est censé permettre à « ces personnes de ne pas tomber sous le coup des ordonnances allemandes sur les Juifs en vigueur en France ou des lois françaises sur les Juifs ». Un commandant SS a paraphé ce papier. 

Déchu de la nationalité française, Jacques Gingold reste dans le Lot. Le préfet a demandé d’ailleurs aux services de Vichy quel titre de séjour (et pour quelle durée) accorder à cet « ancien français » redevenu roumain. 

Un ultime recours en 1944 

Ainsi, c’est toujours depuis Lacapelle-Marival que le 8 mars 1944, apprenant que l’un de ses frères a obtenu gain de cause (la déchéance de nationalité a été annulée), Jacques Gingold envoie un ultime courrier, au Garde des Sceaux, cette fois. Il plaide en substance n’avoir « pas démérité plus que lui pour que cette réintégration » ne soit accordée… Il indique avoir été démobilisé en mars 43 et ne plus pouvoir désormais exercer comme médecin. Une note au crayon de papier a été ajoutée sur le courrier : « A soumettre à nouveau à la commission. Le 23 mai 1944 ». 

On ignore si ce fut le cas effectivement, les dernières réunions s’étant justement tenues en mai 1944. Toujours est-il que dès la Libération, Jacques Gingold rentre à Paris. Il bénéficie bientôt des dispositions qui annulent la loi scélérate de Vichy. Et il reprend son activité de médecin. Le 9 février 1946, il épouse Rosine Janisson, née le 27 juin 1902 à Paris (qui décèdera en 1983). En janvier 1951, une ordonnance du tribunal civil de la Seine autorise Jacques Gingold à substituer à son patronyme celui de Valmont. Nous n’avons pas retrouvé la date de son décès mais une annonce légale stipule qu’en date du 30 juillet 1960, Madame veuve Valmont née Rosine Janisson est nommée gérante d’un commerce d’articles de parfumerie et de voyages, au 178 rue de Rivoli. 

Où habitait exactement le Docteur Gingold à Lacapelle-Marival lors de son long séjour lotois ? S’y est-il fait des amis ? Y a-t-il, bien qu’il n’en eut plus l’autorisation, soigné quelques personnes ? Après la guerre, se présentant dès lors comme le Docteur Valmont, est-il revenu dans le Lot ? Comme on pourrait le lire dans un roman de Patrick Modiano, entend-on encore parfois, à l’ombre d’une ferme du Quercy, un quidam s’exclamer à voix haute ? « C’est bizarre… Cet homme, tout à l’heure, qui sortait de l’épicerie, on aurait juré qu’il s’agissait du Docteur Gingold… » 

Philippe Mellet 

Notes 

– On ignore à quelle date Jacques Gingold quitta Lacapelle-Marival. Et donc s’il était présent le 12 mai 1944, quand des éléments de la division SS Das Reich regroupèrent tous les hommes, de 16 à 60 ans sur la place du village. Soixante-treize furent arrêtés. Neuf moururent en déportation. 

C’est par la loi du 22 juillet 1940 que l’État français décide de réexaminer toutes les naturalisations accordées depuis 1927. Au final, la mesure aboutit au retrait de la nationalité française 15 154 personnes (hommes, femmes et enfants) sur des motifs essentiellement politiques et raciaux. La procédure fut annulée par l’ordonnance du 24 mai 1944. Source : archives nationales. 

– La loi de juillet 1940 répondait aux vœux d’une grande partie de la droite et de l’extrême droite qui accusait la loi de 1927 sur la nationalité d’avoir fait des « Français de papier ». Parmi les plus de 15 000 personnes concernées par la déchéance de nationalité, 902 hommes, femmes ou enfants furent déportés parce que juifs ou considérés comme tels. 388 retraits auraient été rapportés 

(annulés), et 651 440 personnes furent maintenues dans la nationalité française. Source : « Identifier, connaître et compter les victimes « absolues » de la dénaturalisation (1940-1944) », par Annie Poinsot et Bernard Raquin. Publié en 2019. Disponible en ligne. 

– Une grande partie des dossiers des 15 000 « dénaturalisés de Vichy » sont disponibles en ligne depuis 2019 après un considérable travail de numérisation. 

– Aucun membre de la famille Gingold originaire de Roumanie n’a été déporté. En revanche, des Gingold natifs d’Allemagne l’ont été. 

– Photos : 1 : Copie du Journal officiel du 10 novembre 1942 (décret de retrait de la nationalité). 2 : Extrait d’une note à l’attention de la Commission chargée d’examiner les dossiers de dénaturalisation. 3 photo de une : Extrait de la lettre de recours adressée par Jacques Gingold au Maréchal Pétain. 

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