Quand Sibelle rêve de cinéma à Saint-Cirq et que l’on défile pour les retraites et nos écoles
Chaque samedi, l’actualité lotoise vue par Philippe Mellet et surtout par ses chats.
Lundi._ Il se passe toujours quelque chose à Saint-Cirq-Lapopie. On apprend que des figurants sont recherchés pour quelques jours de tournage dans le village, fin février. Ce long-métrage titré « Roxane » où Dany Boon et Jérôme Commandeur seront au générique comprendra également des scènes filmés sur le chemin de halage de Bouziès et d’autres au Mans, dans la Sarthe. L’intrigue nous plongera en l’an de grâce 1640 : il y est question de Camille, 16 ans, et de Roxane. Celle-ci se retrouve accusée de meurtre par un procureur. Sauf que Roxane est en fait… la chèvre de Camille ! Laquelle va alors faire appel à un avocat pour la défendre. On ignore si le grand médiéviste Patrice Foissac, qui va publier dans quelques semaines une histoire de Saint-Cirq-Lapopie et de ses habitants des origines à 1540 a été sollicité pour endosser le rôle de conseiller scientifique. « Et on ignore également si des animaux de compagnie (en dehors de la chèvre en question), en costumes d’époque, seront sollicités pour ce tournage » se demande pour sa part ma protégée féline. « Il y a déjà des chats et des chiens à Saint-Cirq le cas échéant » suis-je obligé de lui répondre. « Certes. Mais ont-il ma présence ? Mon charisme ? Car je suis certaine que je crèverais l’écran » rétorque l’insolente.
Mardi._ Le cap hautement symbolique du million de voyageurs a été franchi en 2022 sur le réseau de bus du Grand Cahors. Après deux exercices évidemment plombés par la crise sanitaire, l’instauration de la gratuité en 2019 porte donc ses fruits. C’est du reste le cas dans toutes les villes ou agglomérations qui ont pris cette décision. C’est que les prix même modestes des tickets ou des abonnements demeurent des freins. Et la gratuité les lève, comme elle fait office de déclic. Dans un récent reportage consacré à Niort, où les transports en commun sont gratuits depuis 2017, TF1 notait : « Plus d’embouteillages le matin. A Niort, beaucoup ont adopté le bus pour se déplacer en ville. « Je suis ravie. Je ne pourrais pas me le payer pour faire toutes les démarches que j’ai à faire », « Je le prends trois à quatre fois par jour. Si tu fais tes calculs ça fait une économie notable », « C’est écologique, ça fait moins de voitures sur les routes », témoignent les habitants. » Et nos confrères ajoutaient : « Ce bus gratuit coûte en fait près de 14 millions d’euros chaque année. La ville a choisi de les financer par une taxe payée par les entreprises de plus de 10 salariés. » Et pourtant le maire Jérôme Baloge n’est pas un dangereux ayatollah du supposé lobby écolo. C’est un centriste jadis membre du Parti radical valoisien. Sibelle qui ne se rend que rarement à Cahors semble dubitative. Il est vrai que la semaine dernière encore, elle me tannait pour que j’achète un side-car adapté. Elle rêve de descendre le boulevard Gambetta à mes côtés, installée dans un panier, arborant des lunettes style aviateur.
Mercredi._ Dans plusieurs communes du département, enseignants, élus et parents d’élèves se mobilisent. On y annonce des fermetures de classes. C’est hélas devenu un rituel chaque année. On ne se rend pas compte à quel point conserver des écoles de proximité est vital dans (et pour) nos territoires. Dans mon village, pour l’heure, aucune menace. Et j’en suis ravi, même si mes enfants ont dépassé l’âge de la fréquenter depuis belle lurette… Mais quel bonheur, avec Sibelle, quand vers quatre heures et demie ou cinq heures, on entend les gamins et gamines rentrer chez eux en chantonnant, en criant… C’est la vie, dans toute sa splendeur. Ma tigresse le sait qui choisit généralement à ce moment-là de se poster sur le bolet, afin d’être vue depuis la rue par les écoliers. Elle sait qu’ils vont l’apostropher. Alors elle fait la fière. Elle enchaînes les poses et les manières. « Coucou minette » lance toujours un des enfants. Sibelle répond en silence, en clignant des yeux, radieuse. Une école dans le village, une épicerie et un bar dans le village voisin, un bureau de poste et un cabinet médical dans le chef-lieu de canton un peu plus loin, c’est à ce prix qu’on vit heureux à la campagne et même en zone péri-urbaine. C’est à ce prix qu’on peut y vivre, tout simplement. Et que ces communes restent en vie. Tout le reste n’est que posture voire imposture.
Jeudi._ La guerre en Ukraine : les pays européens décident d’envoyer des chars de nouvelle génération. Evidemment bien plus efficaces que les vieux blindés de fabrication soviétique qui équipent l’armée ukrainienne. Moscou répond par une pluie de missiles sur Kiev. Je ne suis pas un expert, et il y a un an, je pensais que cette « opération » allait être bouclée en quelques jours. J’imaginais l’armée russe en mode « blitzkrieg », et je ne soupçonnais pas la capacité de résistance des soldats ukrainiens. Je ne suis pas un expert, donc, ni un voyant. J’ignore comment tout cela va finir. Mais comment ne pas être effrayé tout en demeurant évidemment solidaire d’un peuple agressé ? Cette semaine, le président ukrainien a déjà demandé que les sportifs russes ne puissent participer aux JO de Paris en 2024. Comme s’il devinait qu’à cette date, le conflit ne serait pas achevé. Sibelle trouve cette citation de Machiavel, une référence bienvenue sur un tel sujet : « Une guerre est juste quand elle est nécessaire ». Le problème, c’est que tous ceux qui les déclenchent disent toujours ça…
Vendredi._ Aux infos, le réforme des retraites occupe toujours les éditorialistes et experts. Dans le Lot, les syndicats appellent à une mobilisation encore plus forte mardi prochain qu’elle ne le fut le 19 janvier. Sibelle se tâte. S’il fait beau, elle ira peut-être défiler. Par solidarité. « Les trois grandes époques de l’humanité sont l’âge de la pierre, l’âge du bronze et l’âge de la retraite » plaisantait jadis l’écrivain Jean-Charles. Sibelle préfère ce classique d’Audiard : « La retraite, l’essentiel, c’est de la prendre vivant. C’est pas dans les moyens de tout le monde ». Je n’ai pas encore 60 ans. J’ignore donc pour l’heure à quel âge je deviendrai retraité. Mais je préviens ma protégée : « Le moment venu, ne crois pas que tu deviendras la patronne. Retraité ne veut pas dire rangé des voitures. J’ai et j’aurai des tas de choses à faire, des voyages à programmer, une pile de livres à lire toujours plus haute. » Pas vous ?
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