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« On n’avait pas le droit d’être heureux » : Le procès du père accusé d’inceste se poursuit devant les assises


Le procès en appel pour les faits qui se sont déroulés entre 2007 et 2018 dans le Lot-et-Garonne et en Gironde continue. La deuxième journée d’audience a été marquée par les témoignages des enfants.

Les visages portent le même air de famille, les histoires sont tristement similaires, mais les attitudes à la barre divergent. Le procès en appel de David B., 50 ans, jugé pour des faits de viols incestueux, d’agressions sexuelles et de violences sur mineurs se poursuivait ce mardi 6 janvier 2024 devant la cour d’assises de Cahors. Cinq de ses enfants, les aînés nés entre 1999 et 2005, se sont constitués parties civiles. Face à un père qui réfute presque tous leurs dires, leurs témoignages, et notamment ceux des trois filles, ont plongé le tribunal dans l’horreur familiale.

« La première fois, je m’en souviendrai toute ma vie. Maman était dans une autre caravane et mon père m’a appelée. Il m’a pris la main, m’a fait toucher son sexe, m’a pris la tête pour lui faire une fellation et m’a touché les fesses. J’étais tétanisée. J’avais 6 ans ». Les propos de Sara* résonnent dans le silence glaçant de la salle d’audience. La deuxième fille de David B. parle vite, fort et ne retient ni ses larmes ni sa colère. « Je me suis sentie sale, violée. Tout ce qu’il a pu me faire… c’est trop ! Je ne le souhaite à personne. Aujourd’hui, j’ai envie de crier ma haine ! », s’insurge la jeune fille. Deux longues tresses noires encadrent son visage sur lequel les larmes continuent de rouler. A plusieurs reprises, elle traite David B. de « charogne », de « déchet humain » ou de « gros dégueulasse ». C’est elle qui, la première, a réussi à échapper à l’emprise de son père en rejoignant sa mère. C’est elle aussi qui, la première, a déposé plainte en 2019.  « Il a volé notre enfance, on n’avait pas le droit d’être heureux, on n’avait pas le droit de jouer, on ne mangeait pas à notre faim », raconte-t-elle.

Avant elle, sa sœur Lola*, de deux ans sa cadette, a également livré son terrible récit, émaillé lui aussi d’attouchements et de viols. La tête haute, elle affiche un air déterminé et son ton est dur. « Toute ma vie, je vais le détester », affirme-t-elle en parlant de son père. La présidente du tribunal lui demande son sentiment lorsque les faits se produisaient. « Sur le moment, je ne pensais à rien, juste que ça se termine vite. Et puis après il y avait le dégoût, la honte. Il ne fallait pas que j’en parle, sinon ça allait mal se passer », confie Lola. Elle évoque d’ailleurs les violences régulières, presque quotidiennes, dont auraient été victimes tous les enfants. « On restait à la maison, on faisait le ménage, on mangeait du pain dur. Il nous frappait tout le temps, pour tout et n’importe quoi, avec tout ce qu’il avait sous la main. Il me laissait dans la salle de bain pendant des heures. Aujourd’hui, je ne peux plus dormir dans le noir », assure-t-elle. Selon les médecins légistes, les deux sœurs souffrent de troubles du sommeil et d’un manque de confiance en elles. En 2019, une mesure éducative est mise en place pour les enfants. Sara et Lola ont été placées à leur demande. Aujourd’hui, la première vit avec son compagnon et la seconde a décroché un contrat en alternance.

Dans ce sinistre tableau, la relation de la sœur aînée, Ines*, avec son père ajoute une nouvelle nuance de noirceur. Une ancienne voisine de la famille témoigne : « Je trouvais qu’il avait une attitude étrange. Je n’ai jamais vu de geste déplacé, mais ils avaient l’air amoureux, ne se quittaient jamais. Un jour, elle l’a traité de pédophile, mais ils s’insultaient tellement que je n’en ai pas fait cas ». Au cours de leurs déclarations, les autres enfants se sont toujours accordés à dire qu’Ines et son père formaient un couple. Longtemps, ils l’ont reproché à leur sœur. Devant le tribunal, la jeune femme porte encore le poids de cette culpabilité. Ses mains tremblent. Sa voix aussi : « Les viols pour moi ont commencé à l’âge de 3 ans. Un soir d’été, il m’a demandé de me tourner, a baissé ma culotte et a frotté son sexe contre mes fesses. Il m’a demandé si j’aimais, j’ai hoché la tête. Je m’en voudrais toute ma vie, c’est comme si j’avais dit oui. Après, ça me fait comme un trou noir. Je me laissais faire. J’ai essayé de faire comme si je n’existais pas ».  Elle raconte aussi comment à 14 ans, elle aurait subi une intervention volontaire de grossesse sous les yeux de son père.  « On ne naît pas pour être violée par son père », assène-t-elle.

Les deux fils aînés font également partie des victimes. Le plus jeune des deux a été placé en foyer fermé : « Il faisait comme son père : à 13 ans, il volait, buvait, n’avait pas de respect envers les femmes », raconte sa mère qui confie avoir été victime de violences de sa part. Et puis, il y a l’autre frère, celui qui ne viendra pas à l’audience, celui qui depuis un an ne sort plus de sa chambre. « Il ne fait plus rien, s’est complètement isolé, refermé sur lui-même. Le procès l’a détruit. C’est pour ça que j’ai arrêté de travailler, pour le surveiller », soupire sa mère. « C’est pas une vie pour un jeune homme de 22 ans ».

De cette audience, les enfants attendent d’être reconnus en tant que victimes. Ils le disent et le répètent. Mais dans le box, leur père nie presque tous les faits. Seul changement : il admet désormais quelques violences verbales, de rares bousculades et deux gifles. Il continue en revanche d’accuser ses filles de se liguer contre lui afin de ne plus subir son autorité et de pouvoir fréquenter des hommes comme bon leur semble. « Ce n’est pas un complot, on n’est pas là pour se venger. Aujourd’hui, je suis libre, je suis une femme, pourquoi je viendrais m’embêter devant une cour d’assises si ce n’était pas vrai ? », souligne Sara. Elle se tourne vers son père, la voix déchirée par les pleurs : « Je veux que tu reconnaisses, s’il te plait, je t’en supplie ».

En première instance, l’accusé avait écopé de 16 ans de détention. Son procès en appel se termine ce mercredi.

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