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Né à Duravel, le vice-amiral était aussi poète


Entré dans la marine à 18 ans, Charles Joubert (1875-1947) en est sorti vice- amiral. Il commanda la division navale du Levant. On lui doit aussi des recueils de poèmes, des récits et des essais.

Un destin hors nomes pour un gamin né à Duravel. A moins que déjà les gabares qui descendaient la rivière ne l’invitassent au rêve, à désirer des ailleurs lointains comme son contemporain Rimbaud ? Mais la comparaison s’arrête là…

Fils de notable (son père est avocat et sera même un temps maire de la commune), au sein d’une fratrie nombreuse (il a notamment un frère jumeau et un cadet qui décèdera de ses blessures en 14-18, et dont le nom fut donc gravé sur le monument aux morts du bourg), Charles Joubert veut voir du pays et l’aventure ne lui fait pas peur. Il a tout juste 18 ans quand il entre à l’Ecole navale. Il en sort aspirant et sa carrière se révèle aussi brillante que fournie en destinations lointaines, miroir de l’empire français qui reste encore à consolider.

Après avoir débuté en Méditerranée, le jeune officier participe à plusieurs campagnes en Extrême-Orient à la fin du XIXème puis au début au XXème siècle… Devenu lieutenant de vaisseau, il est aussi officier interprète après un stage à Londres. En 1915, il est d’abord basé à Marseille avant de commander un torpilleur. Il sera ensuite attaché naval à Madrid, commandant d’une escadrille en Méditerranée puis attaché naval à Rome (1923). Il termine sa carrière à Marseille puis est nommé commandant de la division navale du Levant.

Des torpilleurs aux salons littéraires

Promu vice-amiral en 1935, commandeur de la Légion d’honneur, Charles Joubert prend alors sa retraite, se fixe à Paris et se consacre à l’écriture. A la fin de la Seconde guerre, il est élu à l’Académie de marine, non sans avoir présidé pendant une dizaine d’années la Société des Œuvres de mer. Il décède à 72 ans à Vernet-les-Bains. Sa brillante carrière a été certes un peu oubliée. Mais pas ses poèmes, ni ses récits de voyages et ses essais. Et encore moins une Histoire de la Marine qui fait encore autorité.

Une partie des ouvrages a été signée sous le pseudonyme de Jean de La Jaline. C’est le cas de « Journal de bord sentimental : les chemins du rêve », paru dès 1905 aux éditions Lemerre. Le style est étonnamment poético-littéraire, imagé, un brin désabusé. On y distingue quelques formules racistes à l’image de l’époque. A chacun de juger avec cet extrait, plus loin, dans lequel est décrit Port-Saïd…

Il défend Franco contre les Rouges

Mais dans le civil, Charles Joubert sort aussi de son devoir de réserve. Il fait partie des défenseurs de Franco quand la guerre civile espagnole provoque de vifs débats en France, et notamment dans l’intelligentsia. A propos de Guernica, considéré en avril 1937 comme le tout premier raid d’une aviation militaire sur une population civile sans défense, il écrit dans « L’Espagne de Franco », en 1939 : « A Guernica (…) un bombardement a eu lieu dont l’importance et les dégâts ont été très exagérés.(…) La seule église incendiée l’a été par les Rouges, qui ont systématiquement détruit la ville avant leur départ, à l’exception du quartier que les Basques ont défendu. Il y a une différence essentielle entre les effets sporadiques d’un bombardement et la destruction méthodique d’une localité maison par maison ».

Le vice-amiral Joubert publie également une réponse à Jacques Maritain et réfute que l’on puisse être, de l’autre côté des Pyrénées, catholique et républicain dans « La Guerre d’Espagne et le catholicisme », paru en 1937. Faut-il dès lors s’étonner qu’en 1942, d’une brève annonce dans Le Journal du Lot, en rubrique Duravel : « M. l’amiral Joubert donnera, le dimanche 12 juillet à 16 h 30 une conférence sur le sujet suivant : « La situation actuelle et les conditions de relèvement de la France. » M. l’amiral Joubert est un enfant de Duravel et qui fait honneur à son clocher. »

Entre Loti et les Hussards

Gardons donc plutôt le souvenir d’un jeune officier de marine à la plume acérée voire acide mais qui quelque part, évoque Claude Farrère voire Pierre Loti, et les futurs Hussards… « Le Nil a jauni la Méditerranée. A cinq heures une ligne de maisons blanches émerge au ras de l’horizon : Port-Saïd. La statue de Lesseps, sur la jetée, tend le bras d’un geste poli : « Donnez-vous donc la peine d’entrer. » Voici le port, c’est-à-dire l’évasement qui sert de bouche au canal. Une forêt de vergues obliques : tartanes, felouques, chebecs, se presse le long du quai, que dominent des maisons jaunes rayées de balcons et de vérandas. En face, contre la rive asiatique, des navires sont amarrés. Au milieu du chenal, d’autres sont en proie à un furieux assaut de démons noirs, dans un tohu-bohu de chants, de cris et de poussière. Cela s’appelle : faire son charbon. Port-Saïd est toujours le même foyer de cosmopolitisme pourri, la crépine de cet immense égout de l’Europe qu’est le canal de Suez. »

« Dans cet étroit chenal, où le trop plein du vieux monde s’engouffre vers le Sud et vers l’Extrême-Orient, où les mêmes navires ramènent un jour cette foule lasse d’exils et de fièvres, qui vient reprendre vie au contact du sol natal ou s’y coucher dans la tombe des aïeux, le flot parfois laisse une épave, un peu d’écume : c’est de cela qu’est faite la population de Port-Saïd. Les hommes ont des faces jaunes, émaciées par on ne sait quels labeurs ; les femmes, des visages minés ou impudents. Les vices se vautrent ici comme les crapauds dans la vase du Menzaleh. Ceux qui restent se mettent à l’affût pour exploiter ceux qui passent, admirablement servis d’ailleurs par l’espèce de fièvre qui règne à bord des paquebots chez des êtres brusquement jetés hors de leur vie normale, par l’incognito assuré pour ceux dont le « qu’en dira-t-on » fait toute la bourgeoise vertu. Ici tombent vite les badigeons de beauté morale, et surgissent les bêtes immondes que l’on nourrissait dans la fange intime du cœur. »

« Un paquebot nous a escortés depuis Bonifacio. Tous les soirs nous apercevions sa fumée sur l’horizon doré. C’était un compagnon, presque un ami. Il arrive une heure après nous. C’est le Djemma, des Messageries, courrier de Madagascar. Il repart à onze heures du soir. Au moment où il appareille, un camarade me fait remarquer l’atmosphère d’indifférence qui règne sur le quai. Pas un de ces mouvements de sympathie qui font découvrir les têtes, jeter un cri d’adieu, ou agiter un mouchoir, un peu dans tous les ports du monde, vers l’inconnu de la veille en partance pour un voyage lointain. Ici le sentiment de la fraternité humaine n’existe pas. C’est une halte de la vie féroce. On s’approvisionne de charbon, de vivres et de cigarettes sous l’œil rapace de quelque Juif, et l’on s’en va sans laisser ni garder plus de souvenir que le voyageur penché dans une gare à la portière du chemin de fer. »

« Du passé, personne n’en a dans cette ville »

« Les maisons de Port-Saïd, construites en bois et en fer, à la hâte, suivant les besoins du commerce, sont bien celles d’une ville où l’on ne s’établit pas pour la vie. On sent que nulle part ici il ne peut y avoir le « home », la douceur du foyer où se sont assis les aïeux. Du passé, personne n’en a dans cette ville. Elle est sortie hier des marécages ; et ceux qui s’y arrêtent ont presque tous intérêt à chercher l’oubli de soi-même et des autres. Nous nous sommes échoués dans un café-concert de dixième ordre, pour échapper à l’obsession de gamins vicieux et d’ignobles proxénètes. Un orchestre d’Autrichiennes raclait lamentablement des airs d’origine française, sur lesquels des femelles de toute nationalité débitaient des horreurs en diverses langues. Quelques-unes se croyaient obligées à des contorsions explicatives. Quelle ignominie que ces femmes ! Dans quelle nuit l’on se sent, loin de toute grâce et de toute beauté ! C’est la torture de la soif au désert, quand le mirage fait trembler l’horizon devant les yeux hallucinés, quand on aperçoit des oasis fraîches, où l’on sait qu’il y a des sources et qu’on ne s’y désaltérera jamais… »

Ph.M.

Sources : site BNF Gallica, site « Parcours de vie dans la Royale », archives départementales du Lot.

Photo : vue de Port-Saïd (carte ancienne) et portrait de Charles Joubert en médaillon.

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