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L’enfer d’Auschwitz raconté par un déporté lotois


Arrêté avec ses parents et son frère cadet au printemps 1944, Bertrand Selz (1928-2017) a survécu à Auschwitz. A l’été 1945, de passage à Cahors où la famille originaire de Paris s’était réfugiée début 1940, il livra un témoignage clinique sur le quotidien dans le camp libéré il y a pile 80 ans.

Début avril 1944 : la famille Selz qui était réfugiée à Cahors depuis le début de l’année 1940, et résidait rue Wilson, est arrêtée. Paul, le père (né le le 15 février 1904 à Paris 11ème) et le fils aîné Bertrand (né le 18 mars 1928 à Paris 4ème) étaient à la fois juifs et résistants. Interrogés à Montauban puis emprisonnés à Toulouse, avec la mère Suzanne (née le 19 octobre 1903 à Épernay) et le fils cadet Gérard (né le 21 septembre 1931 à Paris 16ème), ils sont transférés à Drancy. Et déportés à Auschwitz par le convoi n° 76 qui du 30 juin 1944.

Seul Bertrand survécut. Nous avons déjà ici même évoqué son témoignage bouleversant livré en 2004, qui avait conservé des souvenirs précis de ses années lotoises (voir cet article). Rentré en France en juin 1945, le jeune homme revint rapidement à Cahors même pour « récupérer » quelques biens. On ignorait qu’à cette occasion, il avait déjà témoigné de son expérience à la fois tragique et héroïque. Or, dans son n°33 en date du 7 juillet 1945, « Le Lot républicain », organe département du Mouvement de libération nationale, publiait un récit glaçant signé « Bertrand Selz, déporté à 16 ans, tatoué A 16851 ».

« Plus maltraités que des bêtes »

Au terme d’une semaine marquée par le 80e anniversaire de la libération d’Auschwitz, nous vous livrons ce petit trésor écrit avec précision et sans fioritures. Tel quel. Sélectionné à la descente du train, séparé des siens (le père et le frère furent dirigés vers les chambres à gaz, sa mère, sélectionnée elle aussi, mourra quelques mois plus tard), l’adolescent a connu le camp de travail de Buna-Monowitz. Voici…

« L’ENFER D’AUSCHWITZ._ Un de nos jeunes camarades, Bertrand Selz, qui a vécu près d’un an dans les bagnes hitlériens, nous fait le récit d’une de ses journées à Auschwitz.

« Déjà, dès l’embarquement dans le train, au départ de Paris, les Allemands se départissent de cette « correction » qu’ils observent en France. Les premiers coups commencent à pleuvoir pour nous faire monter à 70 dans le wagon, hommes, femmes, enfants, mourants que l’on amène sur des civières. Tout est bon pour la déportation, jusqu’à un bébé de 20 mois trouvé à la place de ses parents. »

« C’est le terrible calvaire qui commence, en plein mois de juillet, par un soleil de plomb, sans eau, sans un rai de lumière, nous passerons cinq jours dans ce wagon plombé, plus maltraités que des bêtes qui, elles, ont droit au moins à l’air pour respirer, et à de la paille pour se coucher. Mais l’arrivée nous réserve un sort plus terrible encore. Après la descente du wagon, nous défilons devant un S.S. qui, avec un sourire ironique, disperse les familles, et, d’un geste négligent de la main, indique ceux qu’on brûlera et ceux qui vont souffrir dans les camps. »

« Maintenant ceux qui ont échappé à la première sélection partent en troupeau pressé vers la « Jauna ». C’est là que l’on nous dépouillera de toutes nos affaires, et que l’on nous rasera de la tête aux pieds. Puis nous attendons nus sous la pluie battante jusqu’à ce que l’on nous lance, sans souci de la taille le costume rayé et que l’on nous tatoue sur l’avant-bras notre numéro. Maintenant il est 8 heures du soir. Nous partons les pieds blessés par des chaussures trop petites, pour le camp qui nous est affecté, 15 km. à pied après 24 h. sans sommeil et sans nourriture. A peine arrivés, nous sommes à nouveau désinfectés et l’on nous couche à 1 h. du matin, à 2 par paillasse de 60 cm. de large. »

« Comme des vautours à la curée »

« Dès 6 h., réveil, et pendant 3 jours, nous ferons les pantins dans le camp où l’on nous inculquera la discipline. Ce ne sera, pendant ces trois jours que marche au pas, garde-à-vous, béret bas, et quelques petits travaux copieusement assaisonnés de cris et de coups. Cependant entre Français, nous nous entr’aidons atténuant ainsi la dureté de la vie. Mais au soir du troisième jour on nous sépare à nouveau, nous répartissant dans le camp à raison d’une dizaine de Français par block. Le lendemain 4 h. réveil au « goumi », c’est-à- dire, avec des matraques en caoutchouc, puis, toujours sous les coups, nous faisons nos lits, nous plions notre couverture sur la paillasse et gare à ne pas laisser le moindre pli, sinon rien à manger jusqu’au soir. »

« A 4 h 30, distribution du pain. Comme des vautours à la curée, nous nous précipitons vers la porte du « tagersraum » où s’effectue la distribution. Nous, les Français, sommes très mal vus des autres pyjamas parce que nous ne parlons ni l’allemand, ni le polonais, tandis que les autres détenus se comprennent tous entre eux avec ces deux langues. Aussi la vie est-elle beaucoup plus dure pour nous car les Polonais surtout nous font essuyer brimades sur brimades. »

« Quand commence le véritable enfer »

« Après la distribution du pain, nous sommes rassemblés sur la place de l’appel. Nous restons en rang au garde-à-vous jusqu’au lever du soleil. L’été, c’est la meilleure partie de la journée, car pendant 1 h 30 environ on ne nous bat pas, nous ne travaillons pas et l’air frais du matin nous ragaillardit. Mais l’hiver, lorsqu’il faut attendre de 1 h. 30 à 8 h. sous la pluie ou la neige, avec le vent qui nous transperce, n’ayant pour tout vêtement que le misérable costume rayé, combien ne sont-ils pas qui, épuisés avant le commencement de la journée, tombent à nos côtés et qu’il nous est interdit de relever. »

« Lorsque nous serons partis au travail, une équipe ramassera les corps encore vivants pour les diriger directement vers les fours crématoires. Enfin le soleil se lève. Nous sortons au pas, défilant au son de la musique, devant les chefs S.S., et maintenant commence la marche harassante. Entourés de S.S. avec leurs chiens nous courons presque pendant le long trajet de 6 à 7 km. »

« Les pieds encore en sang des marches des jours précédents, avec nos souliers toujours trop petits, et toujours déchirés, enfonçant jusqu’aux genoux dans une boue quasi éternelle, en trébuchant à chaque fois dans la neige glacée. Enfin nous arrivons, n’en pouvant plus, croyant avoir quelques minutes de repos juste le temps de poser la gamelle et de prendre la pelle et la pioche. Ici nos gardiens nous quittent et nous remettent entre les mains de « meistres » qui sauront extirper toutes nos forces comme on presse un citron, le jetant une fois utilisé. »

« C’est maintenant que le véritable enfer commence. Sans avoir le temps de souffler, nous nous pressons vers la tranchée à creuser. Sans même les prévenir le « meistre » pousse dans le trou les 2 ou 3 détenus qui sont autour de lui. Ils tombent à plat ventre dans la boue et tâchent, tout en se relevant, d’enlever la terre collée à leurs habits. « Lauf, lauf, Haber schnell » rugit l’Allemand tout en les bombardant de pierres et de grosses mottes de terre. Puis il se tourne vers nous, troupeau passif, et commence à hurler : « Chacun à sa place d’hier », ce n’est pas la peine de lui faire remarquer qu’aujourd’hui, il y a 20 cm d’eau dans la tranchée. Nous sautons avec résignation dans la fange, et commençons à enfoncer la pelle. Ce n’est pas de la terre mais une matière liquide qui vient et à peine avons-nous levé la pelle de 80 mm qu’il n’y a plus rien dedans. Aussi l’Allemand doit se remettre à nous injurier. Il prend la pelle des mains de l’un de nous, nous montre en deux pelletées comment il faut s’y prendre et jette la terre à la tête d’un malheureux qui s’effondre dans la boue. Il y restera jusqu’à midi. »

« Tombé à demi-mort sous les coups de ces brutes »

« Maintenant il s’acharne sur une autre qui a des quintes de toux. Il le fait monter sur une poutre qui se trouve à 2 m de hauteur environs, il la lui fait scier jusqu’à ce qu’il tombe avec. En voici déjà deux de moins. Une pluie torrentielle commence à tomber. Le Meistre va à l’abri tout en continuant à nous surveiller de sa place, il lance des morceaux de bois sur ceux dont le travail semble se ralentir. Plus nous creusons, plus la terre s’éboule. A midi il faudra deux hommes pour me tirer hors de ce trou parce que je suis dans la boue jusqu’à mi-cuisse. »

« Midi… enfin nous pourrons nous asseoir… Nous étions debout depuis le réveil. La soupe, bouillon d’épluchures de pommes de terre et de feuilles de poirier a cependant le mérite d’être chaude, et c’est ce dont nous avions le plus besoin, après 4 h. de travail sous la pluie, presque nus. Quand il ne pleut pas en été le soleil est si accablant que l’on voit fréquemment des hommes tomber n’en pouvant plus de chaleur et de faim. Combien de fois par jour m’est-il arrivé de voir noir, d’avoir les tempes pressées comme dans un étau. A 1 heure changement de programme : un travail urgent nous attend. Nous devons aller placer des câbles dans un fossé long de 3 km. Le câble est gros comme la moitié du poignet et pour le tirer on ne place qu’un homme tous les 10 m. Maintenant c’est toute une escouade de nazis qui se place au bord du fossé. Chaque garde porte à la main une sorte de fouet dont le manche serait en bois et la lanière en fil de fer entouré de caoutchouc. Les ordres, contre-ordres, coups de sifflet, hurlements pour nous faire presser contribuent à nous affoler. De temps en temps une secousse dans l’épaule nous fait savoir qu’un camarade a lâché le câble, épuisé, ou est tombé à demi-mort sous les coups de ces brutes. »

« X… qui couche avec moi ose dire que nous ne sommes pas assez nombreux à tirer. Le malheureux… Il n’a pas fini que deux S.S. se précipitent sur lui, le jettent à plat ventre tandis qu’un troisième lui pose une planche en travers du cou, et mettant ses pieds sur les extrémités, commence à se balancer en fumant une cigarette. Horrifiés par ce spectacle, nous serrons les dents et continuons sans mot dire. Sur les 100, 17 tomberont avant la fin de la journée. La nuit commence à tomber. Nous cessons le travail. Et la dure marche reprend dans le vent du soir qui souffle de plus belle. Nous rentrons au camp portant chacun deux briques pour la construction d’un nouveau block. Nous faisons le « mitzen-ab » (béret bas) et le garde-à-vous sous la neige qui commence à tomber. A peine allons-nous mettre le pied dans notre block, que la cloche sonne le rassemblement. Que peut-il donc se passer ? En arrivant sur « l’appel – place » nous sommes fixés. Trois potences s’élèvent au milieu. Mais avant que la sinistre exécution ait lieu, nous restons une heure debout tête nue, au garde- à-vous. »

« Nous défilons devant les morts »

« A peine les condamnés sont-ils morts que nous défilons devant eux. Enfin, nous rentrons au block. La soupe est là, mais nous ne la mangerons pas encore. Tous à la douche ! beugle le chef de block en allemand. Nous nous déshabillons complètement, et courons tout nus dans la neige ou la boue par une température parfois de – 20°, avec un vent terrible, prenons une douche bouillante de deux minutes et sortons encore tout trempés pour refaire le même trajet. Nous voici rhabillés. Enfin la soupe ! Non. Pas encore. Deux S.S. viennent d’arriver. Que veulent-ils aujourd’hui ? C’est pour la « Sélection » (triage pour le crématoire). Nous nous redéshabillons et passons nus devant ces S.S. qui, d’un air indifférent, désignent ceux qui doivent mourir, ne paraissant pas assez forts pour travailler. Comme s’il ne suffisait pas qu’ils en tuent un millier par mois en nous empêchant, lors des bombardements russes, d’aller à l’abri. »

« Maintenant, les rescapés du triage font la queue pour la soupe ; 3/4 d’une pomme de terre-rutabaga, et enfin, à 9 h. 30, nous nous couchons, tâchant de récupérer dans le sommeil, des forces pour un lendemain semblable. Bertrand SELZ. Déporté à 16 ans. Tatoué A 16851. »

Ph.M.

Sources : site Gallica-BNF, Mémorial de la Shoah (Paris).

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