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Le Quasimodo de l’église Saint-Urcisse

Toujours fermée au public, l’église est le décor d’un conte mettant en scène une sorte de Quasimodo de Cahors.

Cela fait désormais un quart de siècle que l’église Saint-Urcisse est fermée au public. Pour des raisons de sécurité. Y compris en ce week-end des Journées du Patrimoine. Datant du XIIème siècle, l’édifice a beaucoup souffert en raison de ses fondations réalisées en bois. Or, le matériau a pourri, ayant été affecté par les eaux du Lot, qui s’écoule à proximité. Des travaux ont été réalisés depuis l’entame du XXIe siècle : stabilisation avec pose d’un tirant et d’agrafes, restauration de la toiture de la nef notamment. Mais d’autres chantiers sont encore nécessaires. Par ailleurs, l’église fut « alourdie » par l’installation d’un clocher au XIXème siècle et quand il fut ôté en 1968, l’opération a déstabilisé davantage encore le site… Protégée au titre des monuments historiques, l’église n’est pas oubliée et elle n’a pas été désacralisée, et du reste, les services de la ville précisent qu’un nouveau chantier sera programmé à court terme.

Parmi les richesses de cette église, sa façade qui donne sur la rue éponyme où l’on observe « un portail gothique (qui) rappelle, par ses dispositions générales, celui de la cathédrale Saint-Etienne », selon les termes mêmes de la base Mérimée du ministère de la Culture. Il comprend une statue de la Vierge. Celle-ci joue un rôle important dans un conte intitulé « Lardillon » publié le 15 décembre 1885 dans Le Journal du Lot. L’œuvre est signée d’un certain « Léon des Bois ». Nous ne sommes pas parvenus à retrouver qui se cache derrière ce pseudonyme… Toujours est-il que dans ce conte, l’église Saint-Urcisse et Lardillon sont à « Léon des Bois » ce que Notre-Dame de Paris et Quasimodo furent à Victor Hugo. Au sens où Quasimodo, selon le Larousse, « allie une repoussante difformité à une sublime délicatesse de sentiments ». Hugo allant encore plus loin dans son propre roman : « Quasimodo, borgne, bossu, cagneux, n’était guère qu’un à peu près. » Bonne lecture !

Le Toqué des Badernes

« LARDILLON. Nous sommes en 177… C’est l’hiver. Les Cadurciens considèrent avec étonnement l’épaisse couche de neige qui couvre le mont St-Cyr et le mont St-Jean d’Angély. C’est qu’en une nuit, plaines et collines ont blanchi sous une tombée de flocons semblables à des plumes versées d’une corbeille fantastique dans une atmosphère calme. Jean Lardillon, le toqué, le paillasse des Badernes, s’est levé, ce matin, bien avant le jour. Il a franchi le Pont-Neuf, gravi les hauts plateaux, couru à travers les vignes, se dirigeant vers les maisonnettes, dont il visitait une à une les terrasses. Matines avaient sonné qu’il était déjà de retour. »

« Jean Lardillon est une sorte de célébrité locale. Fort comme un taureau, laid comme un singe, à demi-idiot, beuglant dans les rues, redouté des enfants, son nom et son visage sont connus de la population entière. Déshérité qu’il est de la nature, objet de la raillerie des gamins et de la pitié des hommes, bien que couvert à peine de vêtements dépenaillés et couchant au fond d’une cuve renversée dans l’obscurité d’un sous-sol, il n’en a pas moins un coeur – et il aime. Voici : Non loin du misérable réduit où l’un de ses parents lui a donné asile presqu’aussi modeste que la tonne de Diogène, habite Rose, la fille d’un jardinier. »

« Or, Rose est si jolie que, malgré sa coquetterie, tous les ans, à la fête patronale, le curé de St-Urcisse lui confie la bannière de la paroisse, et ce jour-là elle ressemble à la Vierge, avec sa robe blanche et son front couronné. Lardillon n’aurait sans doute jamais senti une fleur germer et s’épanouir au plus profond de son être, si les voisins ne lui répétaient constamment lorsqu’il passe à côté d’elle : – Vois donc. Elle t’a regardé. Elle s’est retournée. Ah ! tu n’es pas galant. En vérité, est-ce la peine d’être beau garçon ? A ta place je serais moins bête. Puisqu’elle est amoureuse de toi, je lui prouverai qu’elle ne perd pas son temps. Et Lardillon, qui compte quarante-cinq ans, c’est-à-dire vingt-sept ans de plus que la jeune fille, a d’abord ouvert de grands yeux vagues. Puis il s’est mis à sourire ; maintenant il est devenu joyeux. Depuis quelques mois, on a cru remarquer un progrès dans sa toilette. Ses pantalons déformés laissent paraître moins de crotte; ses brodequins racornis au bout ne bâillent plus qu’une ou deux fois par semaine, et sa tête aux trois quarts chauve est toujours protégée d’un bonnet de coton bleu. Enfin, –  est-ce pour plaire à la bien-aimée, qui s’en moque, – il a constamment à sa boutonnière, fraîche ou fanée, la fleur qui porte le nom de son adorée. »

Un monceau de pétales

« Ecoutez ! ce matin les cloches de St-Urcisse partent en volées éclatantes. Le vieux curé de St-Urcisse a permis qu’on ornât d’une manière inaccoutumé l’autel de la mère de Jésus. Tentures aux antiques dessins, bouquets dorés, plantes vertes disposées en allées sous la nef, feuillage semé partout sur les dalles, – l’église a perdu son air sévère pour prendre celui d’une fiancée. La fille du jardinier se marie ; elle va venir au bras de son père. Mais les mêmes plaisants qui ont persuadé à Lardillon que la jeune fille est éprise de lui, ont fini par le convaincre que c’est lui qui l’épouse aujourd’hui. Il est donc parti dès une heure de l’après-minuit, et, en rôdeur des environs qu’il est depuis son enfance, aidé à peine d’une lueur pâle de la lune à travers l’obscurité d’un ciel neigeux, il a pu saccager tous les rosiers de bengale. Il a rapporté de sa tournée de maraudage une énorme brassée de ces merveilles d’hiver. Elles sont là, dans une vaste corbeille garnie d’un linge blanc qui pend sur les côtés. Lardillon en a fait un monceau où les pétales incarnats sont mêlés aux pétales de pourpre. »

« Cependant le cortège nuptial a quitté le logis du jardinier, Rose en tête. Le voilà entré dans l’église paroissiale. – Hâte-toi dit-on au toqué qui n’a rien vu. C’est le moment ! N’as-tu pas entendu les cloches ? Que penserait-on de toi si tu arrivais en retard ? Une dizaine de voisins endimanchés l’entourent, le pressent. On l’a affublé d’une loque de pourpoint, garni de réseaux de dentelles et de rubans multicolores. On a emprisonné ses jambes tordues dans une culotte verte serrée de jarretières bleues, tandis que sa tête disparaît sous l’ancien casque d’un saladier. – Puisque l’heure est venue, répond-il en route ! A ces mots, il quitte son réduit, la corbeille sous le bras. Il se dirige vers la demeure de celle qu’il aime. Ceux qui font de lui un objet de risée, le suivent du regard en étouffant leur rire. »

Une punition du ciel ?

« Arrivé à la porte de la jeune fille, il prend à poignée les pétales effeuillés et en jonche le chemin qui va à l’église. Les passants, étonnés, s’arrêtent pour le regarder. Il n’en éprouve aucune émotion. Les gamins ne tardent pas à être mis en éveil. Ils s’appellent de loin. Ils sont dix, vingt, cinquante. Ils se hasardent à l’agacer de leurs quolibets. Qu’est-ce que cela peut bien faire à Lardillon ! Il ne répond à rien, à personne. Il s’avance lentement sous son costume grotesque pour les curieux et beau pour lui. Ses larges mains répandent les roses. L’on entend crier à l’envi autour de lui : – Mouche-toi, Lardillon ! mouche-toi ! D’où nous vient ce nouveau suisse ? Cré nom ! Quelle tête ! Deux chandelles sous le nez et en plein jour ! Vrai Dieu ! en voilà un qui veut y voir clair ! Salut, monseigneur des Badernes ! Où est ton château, dis donc, marquis des saladiers ? Les railleries s’abattent sur lui avec les boules de neige. Bardé au moral par son impassibilité et au physique par son dur épiderme, il laisse la cohue s’agiter et le conspuer. Il s’avance toujours. Il est sous le porche de l’église. Ici Lardillon vide sa corbeille avec une prodigalité plus grande encore. Sa tâche va être terminée. On le voit sourire. Mais, en levant les yeux, il remarque la statue de la Vierge dressée au-dessus du portail. Il veut lui offrir en hommage une poignée de roses. Il presse dans ses mains d’hercule toutes celles qui lui restent afin de les réunir en boule ; puis il les lance à la statue. Elles s’arrêtent au piédestal. »

« A ce moment, la porte s’ouvre et sa bien-aimée paraît au bras du jeune marié. Ramené enfin au sentiment de la réalité, Lardillon laisse tomber ses bras le long du corps. Sa bouche, démesurément ouverte, montre les créneaux faits par les dents absentes, et sa stupéfaction se traduit en un rugissement de bête fauve. La foule éclate de rire pendant qu’un grand diable de vagabond, muni d’un battoir pris à une lavandière, écrase sur la tête de l’idiot son casque de fer battu. Celui-ci s’affaisse en bavant. Le lendemain, on devait le trouver mort au fond de sa cuve. Mais pendant cette scène, qui avait duré un clin d’oeil, Rose avait eu, comme les autres, un malicieux sourire. Elle allait franchir le pavé qui se dessinait en mosaïque sous le porche, quand les fleurs jetées par Lardillon se détachant du piédestal de la Vierge sculptée, roulèrent d’en haut et s’effeuillèrent sur sa robe blanche, semblables à des taches de sang ! »

« Elle devint très pâle. Un mois après elle était au cimetière. Longtemps, dans Cahors, on crut voir dans sa fin prématurée une punition du Ciel. Quoi qu’il en soit, on planta des rosiers sur sa tombe ; ces arbustes végétèrent et aucun d’eux ne porta jamais de fleurs. »

Source : site Gallica-BNF.

Photo DR

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