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Le procès surréaliste et préhistorique d’André Breton


En 1953, André Breton comparut au tribunal correctionnel de Cahors pour dégradation d’une peinture rupestre, représentant la trompe d’un mammouth à la grotte de Pech-Merle.

André Breton choisit d’habiter Saint-Cirq Lapopie dès 1951. Il y demeura la plupart du temps en période estivale. « Saint-Cirq Lapopie a disposé sur moi du seul enchantement : celui qui fixe à tout jamais. J’ai cessé de me désirer ailleurs » écrivait-il.
En 1952, sa quiétude fut troublée par une affaire à la fois surréaliste et préhistorique. Le 24 juillet 1952, les gendarmes Pons et Combelles, de la brigade de Lauzès, furent prévenus téléphoniquement, à 16 heures, par le guide des grottes de Pech-Merle qu’une rixe venait d’éclater entre André Breton et Monsieur Bessac, député MRP du Lot et gérant de la grotte. Ce dernier avait sollicité l’intervention de la gendarmerie. Arrivés sur les lieux en motocyclettes, ils se livrèrent à une enquête poussée.

L’affaire

Dans la matinée, André Breton s’était rendu aux grottes de Pech-Merle pour les visiter, accompagné de sa femme, de son ami Adrien Dax , de l’épouse et de la fille de ce dernier. La visite commença sous la direction de monsieur Bessac, député du Lot, mari de la concessionnaire des Grottes. A ce moment, une trentaine de personnes faisait partie du groupe dont un certain nombre d’enfants conduits par leurs instituteurs. Tout à coup, le député Bessac s’aperçut qu’André Breton touchait avec le doigt un dessin figurant sur une des parois de la grotte. Le député-guide lui fit remarquer qu’il était interdit de toucher à ces dessins, ainsi que l’indiquaient d’ailleurs de nombreux avis affichés en divers points. Loin de s’incliner, le maître du surréalisme renouvela son geste, effaçant avec le pouce une partie du dessin. Il fut effacé sur une longueur de trois centimètres et le doigt d’André Breton fut recouvert d’une matière noire semblable à du fusain. Monsieur Bessac lui donna alors un coup de gaule sur la main. L’agresseur fut traité « d’épicier, de faussaire ». Une altercation s’ensuivit, suffisamment violente pour apeurer les enfants du groupe. Mme Bessac porta plainte. L’écrivain fut donc inculpé pour dégradation de monument historique. Il ne contesta pas les faits mais l’authenticité du dessin qu’il jugeait retouché ce qui l’avait amené à faire ce geste de vérification. Il prit pour le défendre Me Marty, professeur à la Faculté de Droit de Toulouse et Me Mercadier, avocat à Cahors.
Avant le procès, Breton tenta de faire intervenir des gens haut placés pour faire cesser les poursuites engagées contre lui. En vain. Plusieurs écrivains (Albert Camus, Julien Gracq, Claude Levi-Strauss, Pierre Mac Orlan, André Malraux, François Mauriac etc…) essayèrent via un communiqué, dans le Figaro littéraire, de lui éviter une amende. Les journaux parisiens tirèrent à boulets rouges sur le député Bessac, « forgeron de son état », « ex-mécanicien à Cahors » qui « s’est voué à la préhistoire ». La revue Arts alla même jusqu’à faire un montage entre deux photos du mammouth publiées avec 30 ans d’écart pour soutenir la thèse de Breton.

Le procès

Le procès eut lieu le 13 novembre 1953 devant le tribunal correctionnel de Cahors.
Me Faugère, un très jeune avocat du barreau de Cahors, représentait Mme Bessac, concessionnaire des grottes et la ville de Cabrerets, partie civile. Il n’y alla pas par quatre chemins, décrivant André Breton comme un poète avide de publicité, un anarchiste de salon et le surréalisme à ses yeux n’était rien d’autre que la préhistoire de la pensée. L’accusé s’amusait à écouter ses propos. « Trois centimètres effacés d’un pareil chef-d’œuvre, c’est beaucoup » s’écria Me Faugère « Je sais bien que M. Breton a fait le même geste dans des grottes de Dordogne. La couche calcaire a alors empêché la moindre dégradation, mais si la trompe de mammouth de Pech-Merle n’inspire pas confiance au visiteur, il pouvait l’écrire, le clamer. Toutes les tribunes sont à sa disposition. On ne fait pas de critique par la destruction ». L’avocat entreprit à nouveau la critique du surréalisme. « Théoricien du délire, champion de l’invective, André Breton est en fin de compte, accusé d’avoir voulu écrire là sa péroraison du dernier chapitre de « L’Humour noir » ». Il enchaîna en reprochant à l’écrivain d’avoir traversé l’Atlantique, en 1943, pour mettre à l’abri sa personne et défendre la civilisation « peau-rouge ». Ces derniers mots et le chiffre des dommages et intérêts demandés ( un million de francs) laissèrent la salle et le tribunal médusés. Me Malvy se porta partie civile pour l’Etat et demanda le franc symbolique de dommages et intérêts, après avoir rendu un hommage appuyé au talent d’André Breton, à la valeur littéraire de son œuvre, à sa probité intellectuelle.
Le substitut Aillères voulut qu’une amende assez forte sanctionna André Breton.
Et la défense prit la parole. Me Mercadier fut un avocat spirituel et sarcastique. Il déclara tout d’abord : « Les gens d’esprit sont avec nous. De grands écrivains ont pris parti pour André Breton et Paul Rivet, directeur du Musée de l’homme, en a fait autant ». Il cita ensuite l’abbé Brueil, expert : « Les millénaires contribuent à consolider les dessins préhistoriques ». « Cette phrase éclaire bien des mystères, encore qu’il y ait des miracles dans les grottes et que la salle des Mammouths soit, en outre, une chapelle. Mais une trompe de mammouth, vieille de trois cents siècles, ne devrait pas s’effacer comme cela…Bien sûr, il était défendu d’y toucher, mais l’atmosphère de foire qui entoure la grotte, avec vente de cartes postales, tronc pour le pourboire du guide, buvette à la surface, ne prédispose pas à un état de recueillement. Bessac vend de l’art. Breton est un artiste. Son geste ? Il n’y a pas de quoi fouetter un mammouth. Ne suivez pas le guide et relaxez mon client ». Il termina sa plaidoirie en citant une phrase d’Anatole de Monzie : « Il n’y a pas de pire péché que de pécher contre l’esprit ». Après Me Mercadier, Me Marty demanda aussi la relaxe et, dans le cas où André Breton serait condamné à une amende, que cette amende fusse assortie du sursis.
Le tribunal condamna André Breton à payer une amende de 25002 francs ; 1 franc pour la commune ; 1 franc pour l’Etat ; 5000 francs d’amende et 20 000 francs de dommages et intérêts.
Quand la réalité judiciaire foule au pied le surréalisme littéraire. L’histoire ne dit pas si André Breton s’acquitta de son amende.

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