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Le prince qui s’est battu aux côtés des maquis du Quercy 


Juin 1944. Un commando allié est parachuté pour ralentir la division Das Reich. Parmi ces soldats d’élite, Michel de Bourbon-Parme. Sa vie est un roman. 

Une très grande majorité de « locaux » : paysans, ouvriers, artisans, fonctionnaires, retraités, mais aussi étudiants, médecins ou artistes (liste évidemment non exhaustive). Les résistants lotois représentaient plutôt fidèlement la sociologie du département. Par ailleurs, se sont battus à leurs côtés des dizaines de républicains espagnols, fixés dans la région depuis 1936 ou assignés à résidence voire enrôlés dans les groupements de travailleurs étrangers. Alors que Cahors et le département célébraient cette semaine le 79ème anniversaire de la Libération, évoquons l’un des rares « soldats d’une armée régulière » à avoir œuvré, certes ponctuellement, mais dans le Lot même, à cette victoire sur l’occupant nazi. Il s’agit du prince Michel de Bourbon-Parme. 

Les Alliés n’ont pas, en effet, uniquement parachuté du matériel et des armes. Dans la nuit du 8 au 9 juin 1944, à la verticale d’un terrain clandestin situé sur la commune de Saint-Saury, dans le Cantal mais en limite du Lot, près de Sousceyrac, un commando de trois hommes saute depuis un avion Halifax qui a décollé de Blida en Algérie. Il y a là deux officiers : un major écossais, Thomas MacPherson, le lieutenant français Michel de Bourbon-Parme (mais qui en l’espèce appartient à l’armée américaine) et un sous-officier radio, britannique, le sergent Olivier Brown. Ils forment – sous le nom de code « Quinine » – l’une des 94 équipes de l’opération Jedburgh menée de juin à septembre 1944 par le commandement allié en France et aux Pays-Bas pour coordonner les maquis et gêner les Allemands alors que le Débarquement a enfin eu lieu en Normandie. 

Il s’engage à 17 ans 

Quand il saute sur la terre de France, Michel de Bourbon-Parme a fêté ses 18 ans depuis quelques semaines. En 1940, quand l’Allemagne nazie a envahi le pays, ses parents ont gagné les Etats-Unis et se sont installés à New-York. Sa mère travaille dans une boutique de chapeaux pour joindre les deux bouts. Michel, avec ses frères, est placé dans un collège de jésuites à Montréal. L’adolescent est déjà une forte tête. Il se rebelle. Et fini par être renvoyé. A 16 ans, il questionne un officier de marine français en escale pour savoir s’il peut s’engager. « Trop jeune, et d’abord pour quoi faire ? » répond son interlocuteur. Alors tant pis. Quelques mois plus tard, il s’engage dans l’armée américaine. « J’avais tout juste 17 ans. J’ai convaincu mon père de me laisser faire. Je lui ai expliqué qu’il fallait que j’aide à bouter Hitler hors de France », racontera-t-il plus tard (1). Le prince intègre l’école d’officiers de Fort Benning et devient sous-lieutenant. Après la cérémonie au cours de laquelle on lui remet ses galons, « un homme s’est approché et m’a demandé si je voulais rejoindre l’OSS (Office of Strategic Services). Il m’a prévenu que j’aurais à voyager et sans doute bientôt serais en opération. » L’homme en question était le responsable de l’OSS pour l’Europe et se nommait William Casey. Dans les années 1980, il achèvera sa carrière comme directeur de la CIA (qui a succédé à l’OSS). A l’époque, il cherche de jeunes volontaires doués et courageux ayant aussi des compétences linguistiques. Un atout indispensable pour intégrer les commandos Jedburgh. 

« S’entraîner avec des armes à feu ou des couteaux, quand on a 17 ans, c’est un jeu » se souviendra plus tard le prince. Cependant, le jeu est assez sérieux cette fois. Le jeune homme est envoyé en Angleterre à la mi-décembre 1943 pour s’entraîner de façon plus intensive encore. Et il attend son Jour J à lui… Qui survient donc tout juste après le Débarquement sur les plages normandes. Au soir 8 juin, entre Cantal et Lot, sa mission débute toutefois sur une note d’humour. « Je me jetai au-dessus de l’Auvergne, suivi par Tommy et le radio Brown. La mission Quinine était lancée. J’atterris en lisière de forêt, dans un champ de navets. Un homme courut vers moi, passablement excité. Je lui hurlai (à cause du bruit causé par les moteurs de l’avion) la phrase de reconnaissance : « Connaissez-vous monsieur Chénier? » En théorie, il aurait dû répondre : « Non, mais je connais ses œuvres. » Comme le pauvre bougre ne disait rien mais se contentait de faire de grands gestes (je portais un uniforme anglais et il devait penser que je ne parlais pas français), un soupçon me prit et je sortis mon automatique pour l’éliminer. Il se contenta de secouer la tête et, sans se préoccuper du pistolet, se jeta à mon cou et m’embrassa sur les deux joues. Je me présentai : « Lieutenant Bourdon, nom de guerre Aristide. » Son regard était déjà attiré par autre chose : Tommy se dirigeait vers nous, son parachute dans les bras. Et le gars le regardait, éberlué. Au même moment, je vis une dizaine de maquisards sortir du bois et celui qui m’avait fait la bise leur cria: « C’est un officier français et il a amené sa femme ! » Car Tommy avait sauté en kilt, la tenue réglementaire de son régiment d’origine, les Cameron Highlanders. Avec le flegme de son peuple, le major MacPherson répondit simplement : « Non, je suis écossais. » Son accent d’Edimbourg les fit hurler de rire. » (2) 

Il invente des bombes très spéciales 

Une fois sur place, le trio ne perd pas de temps. Il faut dire que Michel de Bourbon-Parme alias Aristide alias Michel Bourdon est accompagné d’un sacré bonhomme. Plus tard anobli par la reine, Thomas MacPherson fait figure de vétéran alors qu’il n’a « que » 24 ans. Il a déjà combattu en Afrique du Nord et en Italie. Quelques heures après leur arrivée, les commandos de « Quinine » épaulent le maquis dans une opération de guérilla contre la division Das Reich Panzer, qui se dirigeait vers la Corrèze. Le groupe a démoli un pont, ce qui a retardé les Allemands pendant plusieurs heures, puis en a défendu un autre pendant six jours contre les attaques ennemies. Ensuite, ils s’activent également dans le sabotage de la voie ferroviaire entre Montauban et Brive et le 1er juillet ils sont de l’opération qui supprime tout trafic ferroviaire entre Cahors et Souillac. 

Les Allemands mettent bientôt à prix la tête du major britannique, lequel gagne un surnom : « The kilted killer ». Le tueur en kilt. Il en faudrait plus pour déconcerter ce héros. Qui s’amuse à traverser les campagnes du Quercy et d’Auvergne dans une traction Citroën floquée d’un côté d’une croix rouge, de l’autre de l’Union Jack. Le prince n’est pas en reste. Michel de Bourbon-Parme acquiert une expertise dans la pose de bombes… enfouies dans la bouse de vache sur les routes empruntées par les Nazis. Il invente également une bombe miniature qui explose dans les toilettes, déclenchée par la poignée de la chasse d’eau. 

Plus tard, n’ayant jamais froid aux yeux, il se souvient « avoir fait sauter un pont juste au moment où les premiers chars arrivaient et les avoir tous vus tomber dans la rivière profonde ». Et il y eut ce coup de maître, en septembre. Les trois hommes volent un véhicule de l’armée allemande et se dirigent vers le quartier général de première ligne allemand, où ils sont confrontés au major- général Botho Henning Elster. Des trois, MacPherson est le seul « armé » – mais seulement avec son poignard écossais traditionnel, glissé dans sa chaussette droite. Il explique à Elster que les Alliés avaient 20 000 soldats d’élite à proximité et que les bombardiers américains et de la Royal Air Force étaient prêts à bombarder les Allemands pour qu’ils se rendent. Un bluff total, mais Elster se rend le 16 septembre 1944 sur le pont de la Loire à Beaugency, se livrant lui-même et 19 500 de ses hommes au major-général américain Macon et à la Résistance française… A cette date, le Lot est libéré depuis un mois. 

Emprisonné par le Viet-Minh 

Michel de Bourbon-Parme reste en France jusqu’en mai 45. Ayant rejoint l’armée de son pays, d’autres missions l’attendent… D’autres chapitres d’une vie en forme de roman… Son expérience de commando en fait un candidat idéal pour aller se battre en Asie. Il est parachuté fin août 1945 en Indochine. Capturé par le Viet-Minh, il est emprisonné huit mois puis s’évade en mars 1946 pour gagner le Laos. Il est repris. Des pourparlers permettent sa libération en juin. Il rentre en France très affaibli à une date ô combien symbolique pour un prince de sang royal neveu du comte de Paris : le 14 juillet ! Peu importe, il sait qu’il a de nouveau vu la mort de près. Il racontera : « Avec mes compagnons prisonniers, on a un jour été placés devant un peloton d’exécution, qui a tiré une volée. Les balles étaient à blanc. Les soldats et les villageois locaux éclatèrent de rire. Puis ces villageois ont été encouragés à lapider les prisonniers ou à nous battre avec des bâtons. Un de mes camarades qui tentait de s’enfuir a été mangé par un tigre… » 

Le retour à la vie civile n’est pas synonyme de pré-retraite. Décoré de la Légion d’honneur, de la croix de guerre 1939-1945 mais aussi de la Military Cross britannique, l’ancien commando travaille pour la société Zodiac puis se passionne pour la course automobile. Dans les années 1960, il participe à plusieurs reprises comme pilote aux 24 heures du Mans, sur le rallye de Monte Carlo et alors qu’il assiste (en spectateur) au grand prix de Monaco en 1967, il se précipite sur la piste pour sauver un pilote italien dont la Ferrari était en feu et l’extrait in extremis de l’habitacle. Enfin, dans les années 1970, en Iran cette fois, le prince joue les intermédiaires entre le gouvernement du Shah et des industriels français. 

Après une retraite bien méritée à Miami, le prince (cousin de la reine du Danemark) décède à Paris à l’âge de 92 ans. Ses obsèques se déroulent le 13 juillet 2018 en la cathédrale Saint-Louis des Invalides. Il avait été en son temps le plus jeunes des Jedburgh. Il fut le dernier à tirer sa révérence. Celui qui avait toujours à l’été 44 une capsule de cyanure à portée de main pour ne pas parler en cas d’arrestation avait toute légitimité à être associé au 79ème anniversaire de la Libération du Lot… 

Ph.M.
(1)
Nécrologie publiée dans le « Washington Post » en août 2018 et entretien accordé au « Palm Beach Daily News ».

(2) Livre « Un prince dans la tourmente », co-signé par le prince Michel de Bourbon-Parme et Jean-Louis Tremblais, éditions Nimrod, 2010. 

On trouve par ailleurs sur Internet nombre de témoignages et d’entretiens accordés par Sir Thomas MacPherson. Il évoque son action dans le Lot où il reconnait avoir eu parfois des difficultés de communication (qui n’avaient rien à voir avec la langue) avec les résistants FTP dont il loue cependant l’action et le courage. 

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