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Le « préfet des bois » était un maire très généreux


La suite de notre évocation de Robert Dumas. Avant d’être le premier préfet du Lot à la Libération, il avait combattu dans la Marine en 14-18 et fut dès 1933 le maire « peu ordinaire » de Calamane.

23 août 1919. Le quartier-maître Robert Dumas, 25 ans, est « mis en congé illimité ». Un certificat de bonne conduite lui est accordé, et il sera ensuite titulaire de la Croix du Combattant et de la Médaille Coloniale. Mais pour l’heure, après six ans de service dans la Marine, dont quatre ans de guerre, le jeune homme prend le train à Toulon pour rallier la capitale (voir notre article sur la première partie de la vie de Robert Dumas ici). Sur la fiche matricule conservée aux archives, il est écrit qu’il « se retire à Paris, 111 rue du Faubourg-Poissonnière ». A cette adresse, dans le 9ème arrondissement, s’élève toujours un petit immeuble cossu de trois étages, bâti au début du XIXème siècle.

Voilà pour le logement. Reste à travailler. C’est à cette période que le maître d’hôtel (profession indiquée lors de son engagement dans la Marine) va exercer son métier dans un établissement pas tout-à-fait comme les autres. Il s’agit d’un cercle de jeux. La définition juridique des « cercles » a évolué au fil du temps. Il y a un siècle, disons simplement que ces établissements avaient des différences notables avec les casinos (réservés aux seules stations balnéaires et thermales) : la clientèle y était sélectionnée et la loi veillait à ce que certains jeux (roulette, machines à sous…) y soient prohibés. On n’y organisait pas non plus de spectacles.

On ignore à quelle date précisément, Robert Dumas est recruté comme employé au Cercle Haussmann, situé au 22 rue de la Michodière, à deux pas de l’Opéra. Ce cercle avait été fondé par le Duc de Morny (1811-1865), personnage central du Second empire, demi-frère de Napoléon III, député, ministre et homme d’affaires très fortuné. Il créa d’abord dans cet immeuble haussmannien le Cercle des Chemins de Fer (l’homme politique avait de fait fondé auparavant une société ferroviaire). Puis, le cercle changea de nom, mais resta abrité dans le même hôtel particulier il est vrai typique de la rénovation urbaine entreprise par Haussmann. D’où la nouvelle dénomination…

Un témoin de mariage prestigieux

Robert Dumas va visiblement donner satisfaction à ses employeurs. En 1926, on note qu’il a déménagé, et il est recensé au 14 rue du Ruisseau dans le 18ème arrondissement, au pied de la butte Montmartre. On remarque qu’il y est mentionné comme célibataire. Mais trois ans plus tard, un événement considérable se produit. Le 1er juillet 1929 (un lundi), à quelques jours de fêter ses 35 ans, Robert Dumas épouse Marie Adeline Fonvieille, née à Graulhet dans le Tarn en 1895. L’acte de mariage comprend deux mentions qui éveillent l’attention : le marié avance comme profession celle de « propriétaire ». Et son témoin se nomme Jean Victor, directeur du Cercle Haussmann, domicilié avenue de Versailles dans le 16ème arrondissement.

Les époux, pour leur part, indiquent demeurer rue du Ruisseau. Mais il n’y sont plus recensés en 1931. Entre-temps, sur le plan professionnel, Robert Dumas a rejoint la casino Palm Beach de Cannes. Et il a acquis une propriété (une demeure avec ses terres) dans le Lot, où son épouse a de la famille. On connaît le nom du village : Calamane. A partir du début des années 1930, le couple Dumas va ainsi partager son temps entre la Côte d’Azur et le Quercy. A Cannes, l’homme occupe rapidement des responsabilités importantes au sein de l’établissement que fréquente une clientèle richissime : têtes couronnées (ou en attente de l’être), hommes d’affaires fortunés, artistes réputés… Robert Dumas devient l’ami de certains, un confident et un homme de confiance. Son carnet d’adresses s’épaissit, et ses propres revenus aussi.

Il « prend » la mairie en 1933

L’homme est encore jeune, mais il en impose. Et en 1933, un évènement inattendu parachève son enracinement lotois. A l’automne, Jean Pierre (dit Marcelin) Riblé, maire de Calamane depuis 1892, présente sa démission. Né en 1859, ses quelque 40 années de mandat ont été marquées par la réalisation de l’assainissement et de l’électrification de la commune. Au printemps 1934, il est sera fait chevalier de la Légion d‘Honneur, décoration remise par le député René Besse. Reste que ce départ prématuré va provoquer des élections anticipées. Des « partielles » en deux temps. Car aucune majorité ne se dégage pour désigner un nouveau maire après l’élection de deux conseillers. Ces derniers démissionnent, et deux anciens aussi. Il faut reconvoquer les électeurs. Et cette fois, sollicité, Robert Dumas accepte. Il est élu conseiller municipal et tout aussitôt, nouveau maire. On lui prête alors l’étiquette de « radical-socialiste ». Et le 3 décembre 1933, on lit dans le Journal du Lot qui a rendu compte de ce feuilleton : « Nous félicitons vivement le nouveau maire de Calamane qui compte dans la commune, et nous pouvons dire à Cahors, dans la région, de nombreux amis. » C’est peu dire qu’en quelques années seulement, le futur « préfet des bois » est devenu un notable.

Et un maire « généreux ». Quelque temps après son élection, le nouveau premier magistrat inaugure son (long) mandat de manière éclatante. Là encore, le même Journal du Lot _ via son correspondant _ est à la fois sans fard et admiratif (édition du 14 janvier 1934) : « Calamane. A l’occasion de son élection, M. Dumas, notre sympathique et dévoué maire, a versé au bureau de bienfaisance de la commune une somme de 500 francs*. D’autre part, Mme Dumas, la gracieuse femme de notre maire, a distribué, à l’occasion de la Noël, des vêtements et surtout de beaux jouets aux enfants de la commune. Avec tous les habitants , nous adressons à M. et Mme Dumas, nos bien vifs remerciements. »

Un maire qui puise dans ses propres deniers

Durant l’été, cette année-là, le maire ne peut assister en juillet à la remise de la Légion d’Honneur à son prédécesseur. Le Journal du Lot note simplement : « M. Dumas, maire de la commune, empêché au dernier moment de se trouver à Calamane ce jour-là avait envoyé un télégramme d’affectueuses félicitations. » Cependant, en août, quand une souscription est lancée pour ériger un monument rendant hommage au Dr Rey à Saint-Denis-Catus, Robert Dumas signe un chèque de 100 francs quand la plupart des mairies, élus et personnalités du canton contribuent à hauteur de 50 francs. Le Dr Emile Rey (1838-1922), ami de Gambetta avait été maire, conseiller général mais aussi député et sénateur. On lui doit plusieurs lois sur les retraites et l’assistance médicale gratuite…

A l’été 1935, Robert Dumas inaugure une autre tradition : sur ses propres deniers, il donne un éclat particulier à la fête patronale… Là encore, la lecture du Journal du Lot vaut son pesant (édition du 2 août 1935) : « Fête locale.- Dimanche dernier a été célébrée la fête votive de Calamane. Une affluence inaccoutumée en a rehaussé l’éclat. De nombreux Cadurciens et de nombreux vacanciers sont venus voir le beau feu d’artifice dû à la générosité de M. Dumas Robert, maire, qui malgré ses multiples occupations, n’a pas hésité à faire le voyage de Cannes pour rehausser par sa présence cette fête, qui a charmé tous les spectateurs. Grâce à une géniale conception, une brillante illumination a donné à la fête un attrait tout particulier et le bal n’a cessé que le mardi matin, aux premières lueurs du jour. Que ceux qui ne connaissent pas le gai village de Calamane, blotti au pied de la colline, dominé par le vieux château, vestiges du passé et par le magnifique viaduc qui enjambe la vallée, viennent le voir et ils y trouveront en ces jours de canicule une agréable fraîcheur, un séjour calme et reposant et un bienveillant accueil. » Il en sera ainsi jusqu’à la Seconde guerre (si l’on ne se base que sur la collection du Journal du Lot), sachant évidemment, qu’en mai 1935, le maire et son conseil ont été réélus haut la main dès le premier tour.

Il offre un terrain de sports aux enfants

En janvier, les époux Dumas distribuent jouets et friandises qu’ils ont eux-mêmes achetés (la cérémonie a parfois lieu d’ailleurs chez eux) et en été, en finançant feu d’artifice et concerts, ils donnent à la fête du village un éclat évidemment supérieur à ce qu’il serait s’il ne fallait compter que sur le budget de la commune… En 1938, parce qu’encore une fois, le seul budget communal ne permettrait pas un tel investissement, c’est le maire qui puise dans des fonds personnels pour une autre noble cause. Dans le Journal du Lot en date du 23 mars, on apprend ainsi : « Dimanche dernier a eu lieu l’inauguration du terrain de sports des enfants de l’école, et la remise des tenues et jouets de gymnaste offerts par M. le Maire et le maître. Fillettes en tuniques tango, garçons en tenue blanche, ont évolué avec joie sur le terrain dû aussi à la générosité de M. Dumas. L’éclat de la fête fut rehaussé par la présence de quelques élèves de Mme Colas, professeur d’E.P. à Cahors, qui nous ont charmés dans leurs danses rythmiques, « Le sabotier » et « Le thé chez les hannetons ». Parents et amis des élèves ont pu juger de l’entrain de tous, grands et petits, y compris le maître, et de la nécessité de l’exercice physique, pendant qu’une toute petite fille hissait le pavillon de la Fédération, aidée par Mme Dumas, la marraine du terrain. Grâce à la générosité de M. le Maire et à l’activité de notre maître qui prêche par l’exemple, nul doute que l’expérience d’éducation physique ne réussisse à Calamane. »

Au fil du temps, Robert Dumas collectionne les premiers honneurs officiels : il est distingué au titre des « Palmes académiques » et devient correspondant de la très honorable Société des études des Lot. Et de surcroît, une nouvelle passion occupe ses séjours lotois en hiver : la chasse. Devenu président de la société locale, il invite des amis cannois à traquer les sangliers (tel Léon Bérenger, promoteur du tourisme sur la Côte d’Azur et futur maire de Saint-Laurent-du-Var, près de Nice). Tandis que la population de Calamane augmente doucement, 170 habitants au recensement de 1936 contre 149 en 1931 _ « une des rares communes où l’on constate une augmentation », se réjouit la presse _, le maire obtient du ministère de l’Agriculture une subvention spéciale en 1937 pour étendre le réseau d’eau potable.

Le discours prémonitoire de 1938

Dans un autre domaine, le 2 mars 1938, Le Journal du Lot rend compte de l’inauguration du monument dédié aux enfants du village morts pour la France durant la Première guerre. En présence du préfet, de parlementaires et de nombreuses personnalités, Robert Dumas prononce son premier discours public faisant référence à la situation politique nationale et internationale. Lui qui a connu l’épreuve du feu sait de quoi il parle, il est vrai : « Au nom de la commune, qui en sera la pieuse dépositaire, je reçois cette pierre où s’inscrivent les noms de nos morts… (…) Ce monument, émouvant, dans sa sobriété, restera le témoignage fidèle de notre souvenir et de notre reconnaissance. Pour commémorer nos deuils et nos gloires, pour perpétuer le culte de nos morts, pour qu’il reste une preuve tangible de l’hommage que nous leur devons et que nous leur rendons, il fallait que fût érigée, au centre même du village où ils ont vécu, aimé et souffert, cette pierre digne de leur sacrifice. Ici sera le lieu où, chaque année, nous viendrons nous recueillir et retremper nos âmes au souvenir de leur vertu. Il n’est pas de qualificatif assez élogieux pour désigner ceux qui ont consenti tous les sacrifices, enduré toutes les souffrances, gravi l’ultime calvaire, pour défendre la terre de France, la Patrie, et pour forger la paix au prix de leur vie, car ils sont morts, on l’oublie trop, pour que la France vive et que règne désormais la paix sur le monde. Vingt ans sont passés depuis qu’ils tombèrent, et la grande leçon de l’hécatombe paraît oubliée. Partout retentissent les appels aux armes, les nations fléchissent sous le fardeau des armements, le droit est violé et les peuples assistent, comme impuissants, à la lamentable destruction de tout ce qui représente leur raison de vivre et d’espérer : accords, contrats librement consentis, foi jurée, sont devenus de vieux principes dont on se débarrasse comme on fait de vieux oripeaux. Non, Messieurs, nos morts n’ont pas voulu cela ; ils seraient morts pour rien, si les survivants n’instauraient pas un régime où la liberté ne sera plus brimée, où la justice sociale et le droit fondé sur la responsabilité deviendront une vivante réalité. En ces heures d’alarme, un seul souci emplit nos coeurs, commande nos actes, la paix, la paix pour laquelle sont morts ceux dont c’est aujourd’hui la fête funèbre. Élevons, Messieurs, notre pensée et nos âmes vers les sommets de leur sacrifice, puissions-nous, et ceux qui ont la charge des destinées de notre pays, y puiser la foi dans notre propre génie et le courage nécessaire à notre salut. »

Une ode vibrante aux combattants d’hier, une ode vibrante à la paix mais déjà, une forme de prémonition : comment comprendre autrement les derniers mots de ce discours ? En 1938, pointait déjà l’esprit de résistance du futur « préfet des bois ».

Ph.M.

* : soit un peu plus de 40 000 euros selon le convertisseur en ligne de l’INSEE.

Sources : Archives départementales du Gard, Archives de la ville de Paris, Archives départementales du Lot, site Gallica-BNF.

Prochain article : « Un résistant exemplaire ». 

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