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Le notaire véreux s’évade en caleçon mais il retrouve quand même la prison


Automne 1927. Le notaire de Catus poursuivi pour abus de confiance tente de fuir en Espagne. Arrêté, il s’évade ensuite vêtu d’un simple caleçon. Il sera in fine condamné aux Assises.

On jase beaucoup en cet automne 1927 dans la bonne société lotoise. Et pas que. Pensez, un notable, notaire de son état, installé à Catus, fait l’objet d’une enquête ! Des irrégularités ont été mises au jour et des plaintes déposées. Le délinquant en col blanc, Emmanuel Pergot, par ailleurs conseiller d’arrondissement, est cependant laissé en liberté. Selon la formule consacrée, il est néanmoins tenu de rester à la disposition de la justice. Les faits reprochés ne sont pas minces. L’honorable professionnel aurait quand même détourné des dizaines de milliers de francs à son profit. L’équivalent, de nos jours, de centaines de milliers d’euros. Oui mais voilà. Vivre comme un proscrit, raser les murs après avoir été longtemps considéré comme une personnalité honorable et respectée se révèle insupportable aux yeux du père de famille.

Alors Maître Pergot prend la tangente. En l’occurrence, il décide d’aller se faire oublier par-delà les Pyrénées. Omettant un détail. Il ne pourra présenter de passeports en règle en cas de contrôle. Le 9 novembre 1927, Le Journal du Lot rend compte de son arrestation. « Le notaire prit le train à Castelfranc pour se rendre en Espagne, accompagné de ses deux enfants et de sa servante. A Cerbère, on refusa de lui laisser continuer son voyage sans passeport. M. Pergot se rendit en toute hâte à Perpignan pour accomplir les formalités. A l’obtention de cette pièce, l’attention des autorités administratives du Lot fut attirée par cette demande de passeport. Le parquet de Cahors informé lança un mandat d’arrêt contre le notaire fugitif qui fut arrêté. »

Dans le dossier, 33 abus de confiance

C’est donc depuis une cellule de la prison de Cahors qu’Emmanuel Pergot suivit la suite de l’instruction ouverte pour abus de confiance, faux et usage de faux. Mais l’affaire n’est pas simple. Le dossier s’alourdit au fil des semaines. A tel point que quand il sera devant ses juges, le notaire véreux aura de fait à répondre de « 33 abus de confiance portant sur plus de 50.000 francs et de plusieurs faux. »

Alors il faut du temps pour les enquêteurs, et de la patience pour l’inculpé. Ce qui n’apparaît pas comme sa qualité première. Dans ces cas-là, on cogite. On rêve. On veut tourner la page. Ainsi, l’honorable Maître Pergot ourdit le projet de s’enfuir de nouveau. Et il réussit son coup. Le 22 février 1928, Le Journal du Lot raconte par le menu comment il est parvenu à ses fins. « Le notaire Pergot attendait à la prison de Cahors sa comparution devant la cour d’assises du Lot ; il languissait dans sa cellule de l’édifice national de la rue du Château- du-Roi, d’autant plus qu’il n’était pas fixé sur la date de cette comparution. Serait-ce en mars, serait-ce en juin ? Le notaire Pergot languissait dans sa cellule, parce qu’il était privé de liberté d’abord, et de beaucoup d’autres choses surtout. Il supportait mal ce régime : une crise d’urémie survint à propos.. Et comme il n’y a pas d’infirmerie bien confortable au Château-du-Roi, tout détenu malade doit être transféré à l’hôpital. Là, pas de gardiens ; les infirmiers n’ont qu’un rôle, celui de donner aux malades les soins prescrits. Ils ne sont pas tenus d’exercer une surveillance spéciale sur un détenu transféré de la prison à l’hôpital. Aussi bien, tout ce qui avait été possible de faire pour surveiller le détenu-malade Pergot était de lui enlever ses habits, la nuit venue. C’est ce qui fut fait. Mais le manque d’habits n’empêcha pas le malade de quitter son lit et l’hôpital. Vers 2 heures du matin il se leva et se rendit aux cabinets, revêtu simplement du caleçon, seul vêtement qui lui avait été laissé. Un surveillant s’aperçut de sa sortie de la salle : sortie qui lui parut naturelle. Mais au bout de plusieurs quarts d’heure, ne voyant pas Pergot regagner son lit, il se rendit aux cabinets. La porte était ouverte ; mais le petit réduit était vide, et la fenêtre donnant sur la rue du Lycée était ouverte. Il comprit que le malade s’était enfui. Des constatations faites, il résulterait que le notaire Pergot aurait sauté de la fenêtre des cabinets dans le petit jardinet qui est en bordure de l’hôpital et séparé de la rue du Lycée par une grille. Pergot a-t-il franchi la grille? Les pointes qui la surmontent sont bien acérées. C’est un véritable tour d’acrobatie à accomplir pour un homme d’un certain âge. D’autre part, au bout du jardinet, en face le bureau de Poste, il y a une porte qui s’ouvre et se referme assez facilement. Est-ce par-dessus la grille, ou par cette porte que le notaire Pergot est passé ? Des traces de pieds ont été relevées dans le jardin… »

Cette fois, la cavale va durer un bon moment. Les autorités judiciaires pensent du reste que le suspect a pu bénéficier de complicité. A la mi-avril, un cadavre est repêché dans la Dordogne au Mas-d’Agenais, dans le Lot-et-Garonne. La commune est certes située en amont de la confluence avec le Lot mais on vérifie quand même. On ne sait jamais. De fait, la dépouille est celle d’un ouvrier d’Agen. Et puis, fin avril, le parquet de Cahors est avisé que l’évadé a été arrêté. A Perpignan. La nouvelle est annoncée dans l’édition du 27 avril 1928 du Journal du Lot. Nos confrères d’alors sont impatients d’en savoir plus sur les explications qu’il pourra fournir une fois rapatrié sur les lieux de ses exploits. Cela ne tarde pas. Le 2 mai, un article conte par le menu l’aventure du notaire indélicat.

Direction Perpignan via Montauban

« Interrogé par le juge d’instruction, Pergot a raconté sa fugue. Il s’est enfui par la fenêtre des cabinets et est sorti par la petite porte du Jardinet de l’Hôpital. Il était vêtu de la chemise et du caleçon, mais il avait sur lui une somme de 400 F et il emportait quelques provisions, du pain, du saucisson. Pergot se dirigea vers la barrière du chemin de fer du Pont Valentré : il franchit la barrière et suivit la voie ferrée jusqu’aux Sept Ponts. Là, il pénétra dans une maisonnette près du tunnel, s’abrita, déjeuna et fit du feu pour se réchauffer. Au matin, un employé de la voie passa. Pergot l’appela et lui expliqua comment il se trouvait à cet endroit et en cette tenue sommaire. Il déclara que la veille il avait bu plus que de raison et qu’il est parti sur la route pour se rendre à Perpignan dont, a-t-il dit, il était originaire. Il demanda à cet employé de lui vendre un pantalon. Le marché fut fait. Pergot, affublé du pantalon se rendit à la gare de Cieurac et prit le train omnibus du matin. Il descendit à Montauban (puis gagna Perpignan). Là, il s’embaucha chez un électricien sous le nom de Louis Brun. Chaque jour, il travaillait dans la banlieue de Perpignan et il rentrait chaque soir en camion automobile. Pergot se tenait caché le plus possible. Une fois même, comprenant qu’il était recherché, il sortit en ville habillé en femme. Mais tout a une fin. Dimanche 22 avril, il se trouvait à la gare de Perpignan lorsque tout à coup il s’entendit appeler : « Eh Pergot, comment ça va ? » Brusquement, Pergot se retourna et se trouva en présence d’un agent de la Sûreté : « Je m’appelle Louis Brun », déclara Pergot. « Soit, répondit l’agent, mais suivez-moi au poste. » Et la fugue de Pergot se termina là. »

De retour dans sa cellule de la prison de Cahors, le notaire n’aura plus à patienter longtemps. L’audience est inscrite au rôle des assises qui se tiennent à la fin du mois de juin. Le compte-rendu paraît le 29 dans Le Journal du Lot. Et le journaliste de service ne cache pas sa déception.

L’accusé reconnaît tout, c’est « un grand enfant »

« C’est à 9 heures du matin que s’ouvre l’audience pour cette affaire qui a fait dans le département un bruit énorme, mais qui présentera bien peu d’intérêt aux débats. Ceux-ci se sont déroulés dans la banalité d’une succession d’escroqueries, toutes les mêmes, et sans aucun incident notable. Il avait été prévu qu’elle durerait deux jours. Elle a été liquidée en moitié moins de temps. Pergot n’a cherché à aucun moment à soulever des incidents ni à discuter les charges relevées contre lui. Quant à ses victimes elles n’ont pas d’amertume. Elles ne manifestent ni colère ni rancune. »

Suit le résumé de l’acte d’accusation. Notaire à Catus depuis 1913, de famille honorable (sic), jouissant d’une certaine aisance (re-sic), « Jean-Maurice- Emmanuel Pergot, 42 ans, semblait offrir les garanties nécessaires à son état quand, le 10 mars 1927, il fut l’objet d’une plainte de M. C., de Villeneuve-sur- Lot, qui révélait qu’il avait détourné à son profit la somme de 14.800 F, montant du prix d’un immeuble acquis par ce M. C.. L’examen de sa gestion établit de nombreux autres abus de confiance dont le premier eut lieu le 25 juillet 1923, dans le règlement de la succession T., décédé à Catus. Pergot vendit la maison, liquida les titres, paya certaines dettes et s’attribua 18.000 F. A la même époque, il dissipa une somme de 14.000 F qui lui avait été remise en payement d’une terre. En août 1925, il s’attribua une somme de 1.119 F à lui remise pour couvrir les frais d’enregistrement par M. H. A celui-ci qui réclamait une expédition de l’acte, le notaire Pergot remit une pièce portant la fausse mention de l’enregistrement. En janvier 1926, M. E. lui remettait 1.000 F pour frais d’enregistrement sur une liquidation à intervenir. Il les gardait (…). Ces quelques faits ne sont pas les seuls que l’on ait relevés contre lui. Entre temps, il ne commettait pas moins de 26 détournements frauduleux au préjudice de divers cultivateurs. Tous accomplis de la même façon. Il gardait l’argent remis en payement des frais d’enregistrement ; il ne délivrait pas de reçu ou, si ses clients insistaient, il avait soin de ne pas le tirer du cahier à souches réglementaire. Ainsi ses détournements passaient inaperçus lors de la vérification annuelle de ses comptes. »

Un verdict somme toute mesuré

Cela étant, s’il fut un prévenu agité, devant la cour, le notaire est un accusé très docile. Il reconnaît tout. Il oppose un seul argument : sa fortune est telle qu’il pensait pouvoir répondre (c’est-à-dire rembourser) à tout moment quiconque l’aurait souhaité. Mais lui-même n’en eut jamais l’intention… Quel mobile, alors ? « L’accusation prétend qu’il a été poussé à ces actes par une mauvaise administration de ses biens et une vie déréglée. Il se livrait à la boisson et était habitué à ne ne se priver de rien… Quand on lui demande pourquoi il a voulu se soustraire à la justice, il répond : « Je suis parti, dit-il, parce que je m’ennuyais. J’avais le cafard ! »

Le défilé des victimes et témoins se déroule sans plus de passion. On apprend que l’un d’eux a retiré sa plainte, car le notaire l’avait remboursé. Après chaque témoignage, le Président demande à Pergot s’il reconnaît les faits. Il répond invariablement : « Oui, c’est exact ! ». Et quand est sollicité le point de vue de M. Delpech, maire de Catus, il présente Pergot comme « un grand enfant, esprit léger, insouciant… ».

Ainsi, la mission du ministère public n’est pas aisée. L’avocat général évoque des faits graves, le notaire ayant abusé de la confiance placée dans sa personne mais aussi dans sa fonction. Il estime aussi que l’alcoolisme serait une circonstance aggravante. Il réclame donc un verdict sévère. Au fond, la défense peut jouer sur du velours. Me Tassart décrit son client comme « un être sans duplicité ni méchanceté et comme on l’a dit, un grand enfant. » Il note que l’argent n’a pas été employé à des usages personnels. Que le notaire est déjà « cruellement puni par la ruine et le déshonneur ». Le jury sera du même avis ou presque, accordant même des circonstances atténuantes. Le notaire est condamné à 18 mois de prison.

Ph.M.

Sources : Archives du Lot.

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