Le maire de Cahors nommé ministre des Finances !
Un coup de théâtre dont la IIIème République avait le secret. Il y a tout juste un siècle, Anatole de Monzie était nommé en pleine nuit ministre des Finances. Il le resta à peine deux semaines.
3 avril 1925. La France connaît une période de turbulence. Le Cartel des Gauches (alliance des socialistes et des radicaux) qui a remporté les législatives de 1924 se heurte à l’hostilité des milieux d’affaires. On parle dans les manuels d’histoire du « mur d’argent » (spéculation, fuite des capitaux) qui provoque inflation et chute du franc. S’ouvre bientôt une période d’instabilité. Elle prendra fin en juillet 1926 avec la formation d’un ministère d’union nationale à l’été 1926 présidé par Raymond Poincaré puis un succès des modérés aux législatives de 1928. En attendant, en 1925, quelques personnalités parviennent à tirer leur épingle du jeu au milieu de ce paysage presque caricatural, si fidèle à l’image que laissera dans l’imaginaire collectif la IIIème République. Tel le sénateur-maire « rad-soc » de Cahors Anatole de Monzie (1876-1947). Jeune avocat, il a débuté comme chef de cabinet du ministre Chaumier en 1902 puis d’Emile Combes en 1905, ayant entre-temps été élu conseiller général de Castelnau-Montratier en 1904. Le début d’un parcours long comme le bras. Parlementaire de 1909 à 1940, maire de Cahors de 1919 à 1942, il obtint son premier portefeuille en 1913 comme sous-secrétaire d’État à la Marine marchande (ça ne s’invente pas). En avril 1925, sa nomination aux Finances lui permet d’obtenir son premier grand maroquin. C’est plus tard cependant à l’Instruction publique qu’il laissera sa marque… Avant, bien plus tard, de quitter la scène politique de la pire des façons, votant les pleins pouvoirs à Pétain puis tentant en vain de se faire une place sous Vichy.
> Un passage éclair…
Son passage aux Finances sera bref. Moins de deux semaines. Le temps de proposer un plan d’assainissement financier qui sera aussitôt rejeté par les députés. Le temps aussi, dans le Lot, pour la presse locale et l’opinion de se réjouir de voir une célébrité du Quercy se faire une place au soleil. Voilà comment Le Journal du Lot, alors de tendance radicale modérée, annonça la nouvelle dans son édition du dimanche 5 avril 1925. Où l’on remarque, d’ailleurs, que le nouveau ministre s’engage à mettre un terme aux tracasseries infligées par le fisc aux contribuables. Tout change, rien ne change…« C’est par le Journal du Lot que les Cadurciens ont appris, vendredi matin, la désignation de M. de Monzie, sénateur-maire, aux fonctions de ministre des Finances. A 8 heures, nous recevions, en effet, de notre correspondant parisien, le télégramme suivant, que nous faisions afficher aussitôt sur les Boulevards :
« Paris – 3/4, 7 heures. M. Clémentel, s’étant jugé désavoué par certaines paroles que prononça M. Herriot hier, au Sénat a envoyé sa démission au Président du Conseil. Le Conseil de Cabinet réuni cette nuit, a accepté la démission de M. Clémentel. M. de Monzie Sénateur du Lot, remplace M. Clémentel. »
« Aussitôt la nouvelle connue, la municipalité fit pavoiser l’Hôtel de Ville qui, le soir, à 8 heures, fut illuminé. La population cadurcienne s’est réjouie, vivement de la marque de confiance dont M. de Monzie, maire de Cahors, sénateur du Lot venait d’être l’objet.Nous adressons au nouveau ministre des finances nos félicitations. Au Sénat, où il était vendredi matin, M. de Monzie, très entouré s’entretint assez longuement avec quelques sénateurs amis. Il leur narra les péripéties de la nuit. « A trois heures du matin, disait-il, j’ai été réveillé par Dalbiez, qui venait me prier de venir immédiatement à la présidence du Conseil. Je m’y suis rendu. M. Herriot m’a mis au courant de la situation, de la démission de M. Clémentel, et m’a offert de prendre la succession de ce dernier. Il y avait, naturellement, quelques points à élucider, notamment la question du Vatican, sur laquelle j’ai, on le sait, des idées bien arrêtées. »
> Pas un « monsieur qui se renie »
« C’est à cinq heures du matin qu’un accord s’est fait avec le gouvernement. Si j’ai demandé une si longue conversation préalable, c’est parce que je ne voulais pas offrir à M. Herriot le triste appoint d’un « monsieur qui se renie ». Il n’y avait entre le gouvernement et moi qu’un différend depuis juin 1924. J’ai tout fait dans ces dix mois pour l’aplanir, pour trouver et faire admettre une solution transactionnelle qui nous permit de faire une politique de bon coeur avec le concours de toutes les bonnes volontés. J’ai obtenu satisfaction, dans les conditions mêmes que j’avais envisagées à la réunion de la commission des finances du Sénat où s’était expliqué le président du conseil. Finalement, M. Herriot s’est rangé à ma manière de voir. Finalement, nous sommes tombés d’accord pour que la mission du chargé d’affaires auprès du Vatican fut élargie : il s’occupera, non seulement des affaires d’Alsace et de Lorraine auprès du Saint-Siège, mais de celles « de la France entière », tout au moins pendant un certain laps de temps. En outre, le chargé d’affaires recevrait une mission spéciale pour la question d’Alsace et de Lorraine. »
« Quelqu’un interroge M. de Monzie sur ses projets financiers. Mais le nouveau ministre est moins loquace sur ce sujet, et chacun, d’ailleurs, le comprend. « J’entre dans le ministère, dit-il, avec toutes mes idées. Je souhaite que ma contribution à l’effort du gouvernement consiste surtout à y apporter ce certain libéralisme de caractère dont on m’a fait parfois un mérite et souvent un grief. »
> Une sorte d’amnistie pour certains litiges fiscaux
« – Mais l’inflation ? Questionne un sénateur. Reprendrez-vous les projets financiers de votre prédécesseur ? « – Attendez lundi. Vous verrez les projets que je dois déposer devant les Chambres. Jusque-là… » Et M. de Monzie achève sa phrase par un geste qui signifie qu’il doit avoir la bouche close. « Mais si vous déposez lundi après-midi les mêmes projets financiers que M. Clémentel, qu’adviendra-t-il lundi soir ? » Le nouveau ministre des finances, pour toute réponse, lève évasivement les bras au ciel. Puis il ajoute : « Actuellement, il faut du courage et de la franchise. Je tâcherai d’être sans frayeur et sans détour. Maintenant, tant pis pour moi si j’ai pris une charge trop lourde. Mais j’espère bien faire en sorte qu’on ne puisse pas me dire : tant pis pour le pays. »
« Au cours de la conversation, M. de Monzie tint à marquer qu’il est l’adversaire du contentieux d’Etat et du contentieux fiscal, et que parmi les nombreuses économies auxquelles il avait depuis longtemps songé avant de devenir ministre des Finances, se trouvaient, ainsi qu’il les qualifia, « les économies de tracasserie et de chicane », faisant ainsi prévoir une sorte d’amnistie réelle pour certains litiges fiscaux en cours.
D’autre part, le Journal des Débats, qui est loin d’être un organe du Cartel, apprécie l’entrée de M. de Monzie dans le Gouvernement en ces termes : « Le nouveau ministre des Finances, qui est parmi les cadets du Sénat et qui a une grande réputation de compétence, entre avec une ardeur juvénile dans un ministère usé et discrédité. Il était en droit d’avoir de plus brillantes espérances. S’il a de l’intelligence pour dix, aura-t-il du crédit, de l’autorité, de la décision et de l’équité pour tous, dans les circonstances où nous nous trouvons ? Bien qu’il fasse partie du groupe radical-socialiste du Sénat, il ne passe pas pour partager toutes les idées du Cartel. »
« Ni en matière diplomatique, ni en matière fiscale, il n’a pas les partis pris qui forment le caractère principal du ministère. S’il entre dans un Cabinet diminué, ce n’est pas, nous voulons le croire, pour abandonner ses conceptions personnelles. S’il consent à prendre, devant le Sénat et devant le pays, la responsabilité d’une lourde charge, ce n’est pas pour achever d’y jeter le trouble et de précipiter les secousses révolutionnaires que le ministère a préparées. Il est d’autant plus en situation de se faire écouter, que le ministère, qui s’accroche éperdument au pouvoir, lie survivrait pas à une seconde démission du second ministre des Finances. Le Sénat tout entier veille. La question est de savoir si le Cartel sera sacrifié à la France, ou si c’est la France qu’on sacrifiera au Cartel. » Si l’on en croit le Journal des Débats, on voit que M. de Monzie serait appelé à exercer une influence prépondérante au sein du Gouvernement… »
> Tout cela vaut bien un punch !
Mais à peine le temps de prendre ses marques que le maire de Cahors doit quitter son bureau pour celui du ministère de l’Instruction. Qu’importe, il reste dans la lumière. Alors le dimanche 19 avril, les adjoints Tassart et Bessières publient un communiqué : « Chers Concitoyens. M. de Monzie, Sénateur, Maire, Ministre de l’Instruction Publique, sera à Cahors ce dimanche. Nous avons décidé pour fêter l’accession au pouvoir de notre Maire et ami, de lui offrir un punch d’honneur à cinq heures du soir au magasin des tabacs, à l’issue du concert qui sera donné sur les allées Fénelon. Nous vous prions de venir tous assister à cette manifestation de sympathie bien due à celui dont la sollicitude et l’affection pour Cahors, ne se sont jamais démenties. La cotisation est fixée à 1 fr 50. Des tickets d’entrée seront mis en vente chez Melle Euphrasie Imbert et chez M. Rollès, marchands de journaux, dès dimanche matin. Il en sera délivré également à l’entrée de la salle au magasin des tabacs. »
Ph.M.
Sources : site Gallica BNF pour le texte du Journal du Lot et la photo de l’agence Rol datée du 3 avril 1925 avec cette légende : « Conseil des ministres : M. de Monzie quittant l’Elysée ».