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Le Lotois qui murmurait à l’oreille du président


Né à Cahors, Abel Combarieu fut secrétaire général de l’Elysée sous la présidence d’Emile Loubet (1899-1906). Un poste qu’il modernisa. Ses mémoires demeurent un chef-d’œuvre.

« En mai 1902, après la visite qu’il venait de rendre en Russie à l’empereur et à l’impératrice de Russie, le président Loubet s’arrêta à Copenhague pour y saluer au passage, le vénérable roi Christian de Danemark, celui-là même qu’on avait surnommé jadis « le grand-père de l’Europe ». Au grand déjeuner donné à la cour en l’honneur du président de la République, M. Abel Combarieu était placé à côté du ministre de la Justice, qui, tout en causant avec lui, plongeait à chaque instant sa main fine dans un compotier rempli de dragées et s’en fourrait dans la poche de son uniforme. Comme le secrétaire général de la présidence le regardait avec étonnement, le ministre lui dit : – J’ai sept enfants, et au Danemark c’est une tradition d’apporter à chacun d’eux un peu de dessert du roi. »

Le 9 mai 1932, Le Journal du Midi (dont le siège est à Nîmes) est tout heureux de publier en avant-première une des nombreuses anecdotes qui feront le succès de « Sept ans à l’Élysée avec le Président Émile Loubet : de l’affaire Dreyfus à la conférence d’Algésiras (1899-1906) », recueil de souvenirs qui va paraître quelques semaines plus tard et dont l’auteur n’est autre que le natif de Cahors Abel Combarieu (1856-1944), qui fut secrétaire général de la présidence de la République…

Les présidents ne font pas qu’inaugurer les chrysanthèmes

Un ouvrage salué par de nombreux journaux : certains comme « La Croix » regrettant que les persécutions (sic) qui suivirent la loi de 1905 ne furent que sommairement évoquées, d’autres se félicitant qu’un homme de l’ombre puisse mettre en lumière les coulisses du pouvoir. Tel est le cas de l’Européen : « Les Français ont, en général, sur le rôle du président de la République, les idées les plus étrangères à la vérité. Ils ne sont pas loin de considérer le Président comme une sorte d’automate distingué, destiné à inaugurer des expositions, à signer des pièces sans les lire et, de temps à autre, à prononcer une allocution et à porter un toast. La raison de cette erreur vient, évidemment, de ce que, dans tous les débats politiques, on ne doit jamais mettre la personnalité du président de la République en cause. Il s’ensuit que les luttes les plus véhémentes ne s’engagent point autour de l’Elysée, mais bien autour du quai d’Orsay ou de la place Beauvau. Les louanges et les critiques, les injures et les dithyrambes s’écartent de l’homme qui vit dans la retraite de l’Elysée. La neutralité dont il bénéficie le voue aussi à l’obscurité. »

« Au surplus, peu d’anciens présidents ont eu l’occasion de raconter l’histoire de leur septennat ; plusieurs n’étaient pas des écrivains ; d’autres n’en ont pas eu le temps ; les mémoires du président Poincaré ont trait à la guerre et ne touchent que par incidence au fonctionnement de la machine constitutionnelle à l’Elysée. Si bien que les Français ignorent avec « sérénité » que le président de la République n’est pas seulement théoriquement le chef des armées de terre et de mer, et le directeur de notre politique extérieure. C’est pourquoi le livre de M. Abel Combarieu (…) intéressera non seulement ceux qui revivront ainsi la période qui s’étend de 1899 à 1906, mais tous ceux qui sont curieux de savoir ce qui peut bien se passer derrière certain mur de la rue du Faubourg Saint-Honoré. « Sept ans à l’Elysée » est un livre facile à lire, où le côté anecdotique ne l’emporte point sur le côté sérieux, mais où l’on voit très clairement l’étendue et les limites des pouvoirs que possède un président de la République. »

Conseillé par Gambetta et soucieux d’indépendance

Abel Combarieu, qui a débuté comme avocat, puis journaliste avant de servir l’État (sur les conseil d’un certain Léon Gambetta) en étant nommé secrétaire particulier du préfet de Dordogne en 1879, est préfet de la Meuse quand il est appelé en mars 1899 par le nouveau président à ses côtés. Le nouveau chef de l’État a sans doute opté pour quelqu’un de confiance. Emile Loubet en effet est ami de la famille Charrier, dont le Lotois a épousé une descendante… Le Caducien est resté dans l’histoire pour avoir su donner une nouvelle dimension à sa fonction. Il permit aux civils de prendre le pas sur les militaires au sein du palais… Comme l’écrit l’historien Gilles Le Béguec (*) : « Les choses changèrent du tout au tout l’année suivante (1900) : le général Bailloud s’était rendu insupportable en affichant des opinions de plus en plus marquées par le « nationalisme » et « l’antisémitisme » (dixit Abel Combarieu, qui, de toute évidence, entretenait d’exécrables relations avec lui), il prit la décision de quitter l’Elysée au cours de l’été et, d’une façon générale, l’heure n’était plus à ménager les susceptibilités d’officiers généraux soupçonnés de vouloir sortir de leur rôle. C’est Abel Combarieu qui prit l’initiative de convaincre un président de la République encore un peu hésitant de trancher dans le vif. Telle est du moins la version que l’intéressé devait ultérieurement présenter dans ses souvenirs. Il convient d’ajouter que l’entreprenant directeur de cabinet fut le grand bénéficiaire de l’opération, puisqu’il fut nommé secrétaire général de la Présidence dans la foulée et qu’il occupa le poste, avec d’ailleurs une distinction reconnue de tous, jusqu’au terme du septennat. »

« L’aboutissement du processus qui a conduit à la création d’un secrétariat général civil destiné à prendre aussitôt le pas sur le secrétariat général militaire tient à des causes multiples. Les travaux disponibles ont mis généralement l’accent sur le malaise né des péripéties de l’affaire Dreyfus et sur la nécessité de plus en plus pressante de procéder à une clarification des rapports entre les influences militaires et les influences de nature civile à l’échelon élyséen. Mais on doit veiller à ne pas confondre causes circonstancielles et causes profondes, les difficultés, bien réelles, liées à l’ « Affaire » ayant joué finalement surtout comme l’accélérateur d’une évolution inscrite dans les faits. En premier lieu, la place centrale occupée par la maison militaire et son chef durant la décennie quatre-vingt était contraire à l’esprit des institutions parlementaires et à l’essence même de la culture républicaine ; de nombreuses polémiques avaient d’ailleurs vu le jour sur ce sujet sensible dès l’époque Grévy, en provenance notamment du camp radical. »

Maire d’Anglars-Juillac et fin mélomane

Après son expérience élyséenne, Abel Combarieu rejoint la Cour des Comptes, comme conseiller-maître puis président de Chambre. En 1927, il devient membre du Conseil d’administration de la Compagnie foncière de France, dont il est élu président en1937. Il se retire en 1943, et décède l’année suivante. Entre-temps, il avait cultivé ses origines lotoises, maire pendant quelques années d’Anglars-Juillac durant l’entre-deux-guerres. Fils d’imprimeur, oncle par alliance de l’écrivain Paul Morand, mélomane averti (son frère Jules fut lui-même professeur agrégé de l’Université, chef de cabinet du ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-arts, musicologue, professeur au Collège de France), Abel Combarieu n’est pas oublié.

En avril dernier, c’est en se basant sur les notes du Cadurcien conservées aux Archives nationales que l’Association drômoise dédiée à Emile Loubet a pu publier une somme de 600 pages intitulée « Journal Intime de la Présidence de la République, Emile Loubet, 1899-1906 ». Le président du Sénat Gérard Larcher en a rédigé la préface. Où l’on comprend que ce cher Abel n’avait pas tout dit dans son livre paru en 1932. Il est vrai qu’entre analyse politique et anecdotes, de toute façon, on ne pouvait faire plus croustillant que les dernières heures de Félix Faure, auquel succéda Emile Loubet…

Ph. M.

(*) Dans « Les entourages du chef de l’Etat sous la IIIème et la IVème République », 2009, revue Histoire Politique, centre d’histoire de Sciences Po.

Autres sources : site Gallica-BNF.

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