Charles est devenu un peintre reconnu, Pierre un médecin et chercheur émérite.
11 mai 1944. Des éléments de la sinistre division Das Reich encerclent Gramat et rassemblent les hommes. Il cherchent les réfractaires au STO, d’éventuels résistants, et ils veulent aussi voire surtout rafler les Juifs. Ils en possèdent la liste. Depuis le recensement de 1941, lequel fut mis à jour, l’occupant nazi et ses complices vichystes ont collecté des noms, des adresses. Il ne reste ensuite qu’à retrouver les intéressés quand ils n’ont pas fui.
11 mai 1944 : « Au fond, ma vraie date de naissance » aime à dire encore aujourd’hui Charles Goldstein, qui est né cependant le 7 décembre 1937 de parents originaires de Wisznice, en Pologne, et qui établis à Paris au seuil de la décennie, dans le 11ème, sont devenus marchands forains (ils travaillent sur les marchés). Son frère aîné, Marcel, est né plus tôt, en 1930.
Quand la guerre survient, en septembre 1939, le père, Simha, veut s’engager. Mais il tombe malade. Il n’est pas au foyer quand en juin 1940, la mère, Léa, et ses deux enfants doivent quitter la capitale. Il leur faut une semaine pour rejoindre Gramat. La concierge de leur immeuble leur a conseillé le village lotois, elle y a de la famille.
Le père, remis sur pied, les rejoint quelque temps plus tard. Et des cousins, aussi. Et d’autres familles juives. On n’y craint pas la faim grâce aux fermes alentours, et les enfants peuvent y fréquenter l’école où enseignent des instituteurs « aux fortes convictions républicaines », se souvient Charles. Clin d’œil du destin, justement, Simha, Léa et leurs fils demeurent dans un appartement place de la République. Et sur le plan matériel, encore, le paternel a trouvé un emploi grâce à un entrepreneur qui produit dans son usine des capotes pour l’armée allemande, mais qui demeure un solide patriote, Robert Ruscassié.
11 mai 1944 : Marcel qui fréquente des groupes de résistants prévient les siens. La mère s’échappe avec le petit dernier et fuit sur le causse en direction de Thégra. Un temps, un side-car allemand les repère et les pourchasse. Sa mère cache derrière les murets de pierre sèche son enfant, que les broussailles écorchent. Ils finissent par frapper à la porte d’une ferme, chez les Castagné. Le couple de paysans les recueille et les dissimule dans une meule de foin. Ils mettent à l’abri également une tante et un cousin, Pierre, né en mai 1939. Mais le temps presse. Alors, on fait appel à Robert Ruscassié qui transporte les enfants jusqu’à Luzech et les place au couvent. Après la guerre, Charles saura que son père, son frère aîné et sa mère ont pu échapper à la rafle.
Charles et Pierre Goldstein demeurent dans le Lot, au sein de l’institution religieuse, jusqu’au printemps 1945. D’abord réfugiés, puis enfants cachés, ils vont apprendre après la guerre que leur famille restée en Pologne a payé un tribut extrêmement lourd à la Shoah. Des proches, en France, furent également déportés et assassinés. Mais ces enfants qui, à Luzech, ont parfois survécu en mangeant des hosties ont une vie à construire. Et elle sera extraordinaire à tous points de vue.
Charles, l’artiste
Après des séjours en sana, il pense un temps prendre la succession de ses parents commerçants. Mais un de ses enseignants au lycée a déjà repéré son talent pour le dessin. Alors le jeune homme travaille, apprend, et une rencontre va bientôt tout changer : il rend visite à Marc Chagall qui l’autorise à visiter son atelier à Saint-Paul-de-Vence et à l’observer des heures durant. Charles a trouvé sa voie. Hors l’épreuve de la guerre d’Algérie où il est confronté au terrible sentiment d’être devenu « le bourreau » dont les siens, et lui-même, furent victimes une quinzaine d’année seulement auparavant, il va peindre. A corps perdu. Ses toiles que l’on peut qualifier d’abstraites se révèlent cependant des explosions de couleurs, et il les considère à compter des années 1990 comme autant de pierres tombales qui retranscrivent l’indicible deuil… Il rencontre Jorge Semprun, il s’engage aussi dans la vie publique (conseiller puis adjoint au maire de Melun, ville à laquelle il a décidé de léguer et sa maison, et ses œuvres exposées dans des galeries de renom, l’ensemble étant estimé à plusieurs millions d’euros).
Alors que son frère aîné a publié ses mémoires, lui peint et témoigne. Encore aujourd’hui, en dépit de l’âge Et il demeure viscéralement attaché à Gramat où il revient fréquemment, toujours aussi ému. Charles _ chevalier des Arts et Lettres (sa fierté, souligne-t-il) _ a bataillé ainsi pour que ceux qui l’ont sauvé soient reconnus Justes parmi les nations.
Pierre le médecin et chercheur
Et son cousin ? Lui aussi va se plonger dans le travail. Mais dans un tout autre domaine. Docteur en médecine en 1966, désormais dénommé Golstein (ses parents ont décidé d’ôter le « D » à la Libération, comme pour symboliser une renaissance), il se fixe à Marseille où il s’affirme comme une figure de proue du centre d’immunologie (CIML), qui dépend de l’Inserm. En 2018, toujours directeur de recherche émérite, l’Inserm, justement, lui décerne un prix Spécial pour couronner son travail inlassable. Et l’organisme d’expliquer alors : « En 1987, alors que Pierre Golstein et son équipe recherchaient les « armes » utilisées par certaines cellules du système immunitaire pour tuer les cellules nocives circulant dans l’organisme, ils découvrent la protéine CTLA-4. Des années plus tard, James Allison développera une approche thérapeutique se fondant sur l’inhibition de l’activité de cette protéine – l’immunothérapie – dont la mise au point a été récompensée par le prix Nobel de médecine 2018. »
On apprend par ailleurs sur le CV long comme le bras de ce scientifique hors pair que fidèle à sa conception de la recherche médicale et d’une certaine façon, du service public, Pierre Golstein n’a jamais fait breveter ses découvertes qui ont pourtant révolutionné ce pan de la médecine…
Le traumatisme du voyage en Pologne
Les deux gamins cachés au couvent de Luzech sont restés très proches. Et soucieux de cultiver le devoir de mémoire. La leur, et celle des leurs, celle de la Shoah en général. Charles raconte ainsi avoir visité Auschwitz et y a voir été pris de vertiges. Et il explique encore : « Pierre a également effectué ce pèlerinage. Mais il a fait plus, il a poussé jusqu’au berceau familial, la petite ville de Wisznice. Je me souviens de son coup de téléphone. Il m’a expliqué en pleurant que nos aïeux et cousins y étaient morts deux fois. D’abord en 1942, puis après la guerre. Tout a disparu de leur présence. Plus rien, pas une mention au service de l’état-civil, pas un bâtiment, pas un nom. Nulle part… »
Un appel lancé à Luzech
Si la vie de Charles et Pierre est bien documentée, seul leur séjour à Luzech, dans le couvent qui dépendait alors de « la maison mère » de la Congrégation des Filles de Jésus de Vaylats (qui a fusionné depuis avec les Filles de Jésus de Kermaria, en Bretagne) reste encore à éclaircir.
Dans son long témoignage accordé en 2023 aux historiens Alexandre Doulut et Christelle Bourguignat, mis en ligne sur le site du Mémorial de la Shoah, Charles indique que les religieuses logèrent les deux enfants dans un grenier, et qu’ils se nourrirent pour l’essentiel de blé et d’hosties. Une chose est certaine : les religieuses n’ont pas osé refuser à Robert Ruscassié d’accorder l’asile aux petits cousins. Mais au bout de quelques mois, autre fait établi, ils étaient très affaiblis voire malades quand les familles respectives les retrouvèrent…
C’est pourquoi l’association des Greniers de Luzech que dirige avec dynamisme Michèle Landois lance un appel : il demeure peut-être des témoins (alors enfants et pensionnaires) ou des anecdotes, des souvenirs que l’on se transmet au fil des générations, sur Luzech même, relatifs à ces deux garçonnets qui en 1944 et 1945, furent ici cachés puis dans l’attente de retrouver leur foyer. Ne pas hésiter à contacter l’association par le biais de cette adresse mail : greniersdeluzech@orange.fr
Ph.M.
Source principale : Mémorial de la Shoah.





